La langue française et la loi. Langues régionales et baccalauréat.

Question écrite n° 25427 de M. Paul Molac (Libertés et Territoires – Morbihan ), JO, 24/12/2019, p. 11273.

Paul Molac alerte M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sur les conséquences désastreuses de la récente réforme du baccalauréat sur l’enseignement des langues régionales. En effet, en plus d’instaurer des épreuves rénovées, la réforme a mis un terme aux séries L, ES, S. Pour rappel, auparavant, au sein de la série L, il était possible de choisir la langue régionale comme LV2, à l’écrit comme à l’oral, avec un coefficient 4 représentant un peu plus de 10 % de la note finale. Ce coefficient était doublé si l’élève choisissait l’enseignement dit approfondi ; et la langue régionale pouvait par ailleurs être choisie comme LV3. Dans les autres séries (ES et S et voie technologique), la langue régionale pouvait être choisie, mais en LV2 seulement, et avec des coefficients nettement moins avantageux. Malheureusement, avec la nouvelle réforme et la fusion des anciennes filières, c’est une harmonisation par le bas qui s’est opérée à l’encontre des langues régionales. La nouvelle réforme conserve la LV2 (désormais appelée LVB), et elle seule, dans le cadre des enseignements communs, sur le mode du contrôle continu, avec un coefficient qui ne représente plus que 6 % de la note finale. Quant à la possibilité de choisir la langue régionale en LV3 (LVC dans la terminologie nouvelle), cette possibilité ne s’inscrit plus dans le cadre des enseignements communs jusqu’ici possibles en série L, mais uniquement comme enseignement optionnel, en concurrence avec quatre autres options. Par ailleurs, dans la voie technologique, cela n’est autorisé que pour une filière qu’est celle l’hôtellerie et restauration. Autre nouveauté : avec la réforme il n’existe plus qu’une option facultative pour les langues et cette seule option possible n’a plus d’attractivité en ce sens qu’elle ne représente que 1 % de la note finale et qu’elle peut même faire perdre des points, ce qui n’était pas le cas précédemment. De plus, comme elles le faisaient depuis deux années, les associations de promotion des langues de France demandent à ce que le coefficient soit aligné sur celui dont bénéficient les langues anciennes (coefficient 3). Cette demande n’a jamais été prise en considération. Pire, dans la réforme proposée, non seulement les langues anciennes conservent leur coefficient, mais elles se trouvent la seule option cumulable avec une autre, laissant complètement pour compte les langues régionales. Pourtant, la Constitution, par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 portant modernisation des institutions de la Ve République qui affirme que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », devrait confirmer la volonté institutionnelle d’œuvrer pour la préservation et la valorisation des langues régionales. D’ailleurs, les chiffres le prouvent : avec la réforme du baccalauréat, la baisse des effectifs en langues régionales dans les lycées est brutale. Pour ne prendre que deux exemples : dans l’académie de Toulouse, sept lycées viennent de supprimer les cours d’occitan sur les 42 où il était enseigné avant l’été 2019, ce qui représente une baisse de 16 %. En Bretagne, la chute des effectifs est également saisissante en ce qui concerne l’enseignement optionnel : le nombre d’élèves de seconde est passé de 48 à 29 cette année en lycées publics. C’est pourquoi il demande au Gouvernement de respecter la Constitution, la « loi Peillon » qui stipule que l’enseignement des langues régionales doit être favorisé et les conventions signées par l’État afin de stopper ses politiques « linguicides ». A contrario, il lui demande d’opter en faveur de politiques linguistiques porteuses d’espoir pour l’avenir des langues régionales, et plus précisément visant à assurer leur survie.

Réponse du ministre de l’Education nationale, 24 mars 2020, p. 2359.

Le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse est attaché à la préservation et à la transmission des diverses formes du patrimoine linguistique et culturel des régions françaises : la circulaire n° 2017-072 du 12 avril 2017 a ainsi rappelé, d’une part, cet attachement, et d’autre part, le cadre du développement progressif de l’enseignement des langues et cultures régionales. Lors de la concertation pour la réforme du baccalauréat, des responsables des associations des langues régionales, ainsi que des représentants de la Fédération pour les langues régionales dans l’enseignement public, ont été reçus plusieurs fois. Dans le cadre de la réforme du baccalauréat et du lycée, qui entre en vigueur pour les élèves de première à partir de la rentrée 2019 et pour les élèves de terminale à partir de la rentrée 2020, l’enseignement de spécialité  » langues, littératures et cultures étrangères et régionales » (LLCER), proposé dans la voie générale, conforme à la dynamique de renforcement de la place des langues régionales, présente la possibilité de choisir une langue vivante régionale à l’instar des langues vivantes étrangères. Le choix d’une langue vivante régionale est effectué par l’élève parmi les langues suivantes : basque, breton, catalan, corse, créole, occitan langue d’oc, tahitien, conformément aux dispositions de l’arrêté du 22 juillet 2019 relatif à la nature et à la durée des épreuves terminales du baccalauréat général et technologique à compter de la session 2021. Cela est possible dès lors que l’élève suit par ailleurs un enseignement dans cette langue régionale en langue vivante B ou C. La spécialité bénéficie à ce titre d’un enseignement à hauteur de 4 heures hebdomadaire en classe de première, puis de 6 heures en classe de terminale, en plus des heures de l’enseignement commun en langues vivantes. Elle est évaluée dans le baccalauréat pour un coefficient 16 sur un coefficient total de 100. Ceci correspond à un réel progrès par rapport à la situation précédente où la langue vivante régionale approfondie ne pouvait être choisie que par une minorité d’élèves, ceux de la série L. En outre, les programmes spécifiques à l’enseignement de spécialité « langues, littératures et cultures étrangères et régionales » ont été publiés dans l’arrêté du 28 juin 2019 (BOEN du 11 juillet 2019) modifiant l’arrêté du 17 janvier 2019 (BOEN spécial n° 1 du 22 janvier 2019) pour la classe de première, et dans l’arrêté du 19 juillet 2019 pour la classe de terminale (BOEN spécial n° 8 du 25 juillet 2019), avec un programme spécifique proposé pour chacune des langues régionales précitée. A la rentrée 2019, pour la classe de 1ère, on compte 24 élèves pour LLCER breton, 20 pour LLCER occitan. Par ailleurs, pour le baccalauréat général, il est toujours possible pour le candidat de choisir une langue vivante régionale (LVR), en tant qu’enseignement commun au titre de la langue vivante B, et également en tant qu’enseignement optionnel, au titre de la langue vivante C. En ce qui concerne la voie technologique, dans toutes les séries, le choix d’une langue vivante régionale demeure possible au titre de la langue vivante B dans les enseignements communs. Pour l’enseignement optionnel de la voie technologique, le choix d’une langue vivante régionale est toujours proposé dans la série « sciences et technologies de l’hôtellerie et de la restauration » (STHR), en raison de l’intérêt que comporte un tel enseignement pour des élèves se destinant à des carrières où l’accueil du public est primordial. Le rétablissement d’un enseignement optionnel dans toute la voie technologique n’est pas pour l’instant envisagé pour la LVR. En effet, du fait d’horaires déjà élevés en raison d’une pédagogie spécifique, très peu d’élèves choisissent aujourd’hui de suivre un enseignement facultatif. A la rentrée 2019, pour la classe de 1ère, on compte 65 élèves pour LVC breton (102 pour la LVB), 272 pour LVC occitan (45 pour la LVB). Au même moment, pour la classe de seconde GT, on compte en LVB 36 élèves pour l’occitan, 110 élèves pour le breton, et en LVC 396 élèves pour l’occitan, 93 élèves pour le breton. En conséquence, la réforme du baccalauréat conforte le poids des langues régionales dans l’examen. Ainsi, la langue vivante régionale (LVR) choisie au titre de la langue vivante B constitue l’un des six enseignements communs ayant exactement le même poids dans l’examen, c’est-à-dire que tous ces enseignements comptent dans leur ensemble à hauteur de 30 % de la note finale, et en y incluant les notes de bulletin, la note de langue régionale compte pour environ 6 % de la note finale. S’agissant de la LVR choisie au titre d’enseignement optionnel comme langue vivante C, tous les enseignements optionnels ont exactement le même poids et les notes de bulletins de tous les enseignements comptent dans leur ensemble à hauteur de 10 % de la note finale de l’examen. La situation précédant la réforme dans laquelle seules les notes au-dessus de la moyenne étaient prises en compte dans l’examen disparaît. Désormais, il faut suivre les enseignements optionnels en cours de scolarité tout au long du cycle terminal et la note annuelle obtenue au titre des enseignements optionnels compte pour l’examen, quelle que soit sa valeur. La valorisation des LVR peut enfin s’opérer grâce à l’accent mis par la réforme sur l’enseignement des disciplines non linguistiques en langue vivante, notamment régionale. L’arrêté du 20 décembre 2018 relatif aux conditions d’attribution de l’indication section européenne ou section de langue orientale (SELO) et de l’indication discipline non linguistique ayant fait l’objet d’un enseignement en langue vivante (DNL) sur les diplômes du baccalauréat général et du baccalauréat technologique, publié au JORF du 22 décembre 2018, prévoit ainsi que, hors des sections européennes ou de langue orientale, les disciplines autres que linguistiques (DNL) peuvent être dispensées en partie en langue vivante donc en langue régionale, conformément aux horaires et aux programmes en vigueur dans les classes considérées. Par exemple, sur 3 heures d’histoire-géographie, 1 heure peut être dispensée en langue vivante régionale. Dans ce cas, et cela est nouveau, le diplôme du baccalauréat général et du baccalauréat technologique comporte l’indication de la discipline non linguistique (DNL) ayant fait l’objet d’un enseignement en langue vivante étrangère ou régionale, suivie de la désignation de la langue concernée, si par ailleurs le candidat a obtenu une note égale ou supérieure à 10 sur 20 à une évaluation spécifique de contrôle continu visant à apprécier le niveau de maîtrise de la langue qu’il a acquis. Enfin, la ressource enseignante en langues vivantes régionales est pérennisée. L’enseignement des langues régionales dans le second degré dispose de professeurs titulaires du CAPES langues régionales (basque, breton, catalan, créole, occitan-langue d’oc) et du CAPES section tahitien, ainsi que du CAPES section corse. Une agrégation de langues de France a été créée en 2017, cette disposition permettant de recruter des IA-IPR de langues de France. Le suivi de la mise en œuvre de la politique des langues vivantes régionales au niveau académique est assuré par des chargés de mission, au statut divers, dont des enseignants. Toutes ces nouvelles dispositions œuvrent en faveur de la valorisation de l’apprentissage des langues vivantes régionales pour les élèves du lycée général et technologique.

La langue française et la loi. Place de la langue française dans les institutions européennes

Question écrite n° 09009 de M. Guillaume Chevrollier (Mayenne – Les Républicains), JO Sénat du 21/02/2019, page 928.

M. Guillaume Chevrollier attire l’attention de M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur la place du français dans les institutions européennes. Il rappelle que le français est l’une des langues officielles et de travail de l’Union européenne, conformément au règlement CEE n°1/1958 du 15 avril 1958. Selon le secrétariat général des affaires européennes, « dans les réunions officielles, les représentants de la France s’expriment en français, qu’il y ait ou non interprétation. Si aucune traduction n’est prévue, ils s’attachent à faire connaître les positions françaises auprès des interlocuteurs non-francophones, par exemple, en diffusant des éléments de position écrits susceptibles d’être traduits dans une autre langue pour la meilleure compréhension de tous. » Même s’il convient de privilégier fortement l’expression dans notre langue et la publication d’ouvrages, de documents de travail dans notre langue, il est indispensable de veiller à la traduction systématique en anglais afin que la diffusion des positions et des réflexions françaises soit assurée. Il l’interroge sur la place du français demain dans les institutions européennes et sur le plan gouvernemental qui pourrait être mis en place pour y promouvoir la langue française.

Réponse du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, JO Sénat du 07/11/2019, p. 5631.

Aux termes de l’article 3 du Traité sur l’Union européenne (TUE), l’Union «respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ». Le régime linguistique de l’Union est régi, en application de l’article 342 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), par le réglement n° 1/1958 du 15 avril 1958 qui dispose notamment que les réglements et les autres textes de portée normative générale sont rédigés et publiés dans les vingt-quatre langues officielles. Le respect du multilinguisme au sein des institutions européennes représente un enjeu démocratique important et une condition de la légitimité de l’Union auprès des citoyens, qui doivent pouvoir comprendre son action et sa parole. Les autorités françaises attachent une grande importance à l’utilisation de l’ensemble des langues officielles de l’Union européenne dans les institutions, et en particulier du français. À ce titre, la France soutient activement le recours au programme pluriannuel de formation linguistique de l’Organisation internationale de la Francophonie « Le français dans les relations internationales » à Bruxelles. La France contribue également à l’entretien de réseaux francophones à Bruxelles comme le groupe des ambassadeurs francophones ou le club de la presse francophone. Conformément à ce qu’avait annoncé le Président de la République dans son discours du 20 mars 2018, intitulé « une ambition pour la langue française et le plurilinguisme » (cf point 10 du plan d’action), une journée bruxelloise du multilinguisme et de la francophonie a eu lieu les 6 et 7 mars 2019 à Bruxelles. Un effort de vigilance vis-à-vis des institutions pour le respect du régime linguistique et du multilinguisme est aussi fourni, notamment quant au respect des exigences en matière de connaissance de plusieurs langues de l’Union européenne comme condition pour le recrutement et la promotion des fonctionnaires, de mise en œuvre du multilinguisme dans la communication externe des institutions ou encore du régime linguistique des sessions informelles du Conseil européen. Plusieurs textes viennent appuyer ces efforts : un vade-mecum relatif à l’usage de la langue française dans les organisations internationales et son guide de mise en œuvre a été adopté à Bucarest en 2006 pour rappeler les règles applicables dans les différentes enceintes internationales et notamment au sein de l’Union européenne ; un plaidoyer en faveur de la langue française et du multilinguisme dans les institutions européennes a été adopté par les représentants de la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, l’Estonie, la France, la Grèce, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque et la Fédération Wallonie-Bruxelles le 9 octobre 2018 à Erevan en marge de la Conférence ministérielle de la Francophonie ; des fiches pratiques destinées aux agents français et mises en ligne sur le site du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) décrivent l’ensemble des démarches à entreprendre si les règles relatives à l’usage oral du français ne sont pas respectées. Toute circonstance rendant impossible l’emploi du français lors d’une réunion officielle, alors que le régime d’interprétation le prévoit, doit faire l’objet d’une protestation inscrite au procès-verbal. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères finance en outre des stages intensifs de français pour les commissaires, les membres de leurs cabinets et le personnel d’encadrement des institutions. La France soutient enfin l’ensemble des associations et initiatives en faveur de la francophonie. Pour mémoire une mission parlementaire de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie a eu lieu entre le 31 janvier et le 1er février 2019 à Bruxelles afin de rencontrer et auditionner différents responsables administratifs et politiques des organes européens comme la Commission et le Parlement.

 

Langue française. La troncation.

« Vélocipède » ? Oublié. « Métropolitain » ? Disparu. « Taximètre » ? Volatilisé. « Vélo », « métro » et « taxi » les ont remplacés. On ne s’en rend pas toujours compte, mais les syllabes tombées au champ d’honneur de la langue française sont innombrables. Il faut dire que nous les utilisons tous, ces vocables résultant d’une abréviation. « Météo », « radio », « photo », « pneu » ou « kilo », et tant d’autres : un numéro entier de L’Express ne suffirait pas à les citer de façon exhaustive.

Ce drôle de phénomène porte un nom savant : la troncation, soit « l’abrégement d’un mot par la suppression d’une ou de plusieurs syllabes », que le sagace et facétieux observateur du français Bernard Cerquiglini a eu l’excellente idée d’étudier de plus près dans un ouvrage qui vient de paraître : Parlez-vous tronqué ?*.

Michel Feltin-Palas, L’Express, 15 octobre 2019.

 

Muriel Gilbert et les bonbons sous la langue

Amis des mots, phobiques de l’orthographe et amateurs de la langue de Molière vont se frotter les mains : Muriel Gilbert est de retour avec un livre malin, ludique et désopilant pour tous les amoureux du français. En une centaine de chroniques, la plus célèbre des correctrices distille ses petits conseils et déchiffre les excentricités de notre langue. Elle tente par exemple de nous réconcilier avec la ponctuation, fait le point sur ce qu’on appelle les signes diacritiques, ou lève le voile sur les mystères de l’impératif. Le tout en répondant à un tas de questions que l’on n’oserait jamais se poser : comment accorder le pronom « on » ? Faut-il dire « c’est les vacances » ou « ce sont les vacances » ? Pourquoi écrit-on « finiS ta soupe », mais « mangE ta soupe » ? Des textes aussi courts qu’éclairants qui mettent la langue française et ses mystères à la portée de tous.

Acheter les livres de Muriel Gilbert.

Ecouter les chroniques de Muriel Gilbert sur RTL.

JDD, 13 octobre 2019

Langue française : la grammaire des Académiciens

Toujours la grammaire et l’Académie…

Si, après tous les efforts qu’on a dépensés à l’apprendre, on savait jamais l’orthographe ! Mais les écoliers, je dis les plus huppés, ne la savent pas ; et non seulement les écoliers, mais les instituteurs, chargés de l’enseigner ; mais les membres de l’Académie française, chargés de rédiger le dictionnaire ; mais M. le duc d’Audiffret-Pasquier, qui, dans la lettre où il posait sa candidature à l’Académie, écrivait « accadémie » avec deux c; mais le secrétaire perpétuel de l’Académie, M. Gaston Boissier, qui un jour, dans une vente aux enchères, vit un de ses autographes adjugé à un prix assez élevé, parce qu’il contenait à son insu des fautes d’orthographe. Pourquoi, après tout, ne pas narrer l’histoire ?

Et voici la curieuse anecdote que nous conte M. Renard dans la Revue des Revues :

Un matin — ou un soir — M. Boissier arrive tout joyeux chez Renan, son collègue à l’Académie et au Collège de France.

— J’ai à vous annoncer, dit-il au célèbre exégète, une nouvelle qui va vous humilier.

— Comment ça ?

— Mes autographes se vendent plus cher que les vôtres.

— Ça ne m’étonne pas ! répond Renan, d’un air entendu qui en disait plus long que ses paroles.

— Hier, à la salle des ventes de la rue Drouot, on a mis aux enchères deux lettres, une de vous et une de moi ; la vôtre a été adjugée à trois francs, la mienne à cent sous.

— Je le sais, reprit Renan; mais il n’y a pas de quoi être si fier : en connaissez-vous la raison?

— Non.

— C’est qu’il y a, dans votre lettré, plusieurs fautes d’orthographe Je l’ai là sur mon bureau, votre autographe vendu cent sous ; c’est un de mes amis, qui, se trouvant à la vente et ayant remarqué les perles fausses qui ornaient votre prose, a poussé l’enchère et se l’est fait adjuger. Il me l’a apportée aussitôt en me disant : « Vous remettrez cette lettre M, Boissier ; si on la laissait circuler dans le public avec ses ornements grammaticaux, ça pourrait faire du tort à l’Académie.»

Et Renan ajouta, en remettant la lettre a son collègue :

— Tenez, la voilà ; quand vous serez à cour! d’argent, vous pourrez la reporter à la salle Drouot.

Et les deux Immortels éclatèrent de rire.7

Je n’affirme pas que tous les détails de cette anecdote soient authentiques, mais le fond est vrai.

Et qu’on ne s’imagine pas que M. Gaston Boissier et M. le duc d’Audiffret-Pasquier soient des exceptions dans l’illustre Compagnie : pas un des Quarante ne sait l’orthographe. Parmi ceux d’entre eux qui, en 1868, à Compiègne, à la prière de l’impératrice Eugénie, voulurent bien se soumettre à l’épreuve de la dictée fameuse forgée par Prosper Mérimée, pas un ne sortit de cette épreuve avec honneur, pas un n’eût reçu le brevet élémentaire. Quant à l’impératrice. — qui avait déclaré ne pas comprendre qu’on ne sût pas l’orthographe— sa copie était un écrin royalement garni : elle contenait quatre-vingt dix fautes, graves ou légères, trente de plus que celle de l’empereur. Il est vrai que la dictée était un nid à chausse-trappes, que Mérimée s’était appliqué à la semer de pièges de toute sorte.

Tags : Langue française – Grammaire – Orthographe – Syntaxe

Langue française et loi. Utilisation de la langue corse sur le site internet de la collectivité de Corse

Question écrite n° 06071 de M. Philippe Dallier (Seine-Saint-Denis – Les Républicains), JO Sénat, 12/07/2018, p. 3426.

M. Philippe Dallier attire l’attention de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, au sujet de l’utilisation de la langue corse par la collectivité de Corse.

Les dirigeants de la collectivité de Corse viennent d’introduire la langue corse sur le site internet officiel. Sur « www.isula.corsica », les langues corse et française se mélangent sans qu’une traduction soit proposée systématiquement. À titre d’exemple, le conseil régional de Bretagne met à la disposition des internautes une version de son site en français et une version avec la traduction des contenus en breton.

L’utilisation d’une langue régionale, sans traduction systématique en français, sur le site internet d’une collectivité territoriale de la République va à l’encontre de la loi n° 94–665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite loi Toubon, et à l’article 2 de la Constitution de 1958 qui dispose que « la langue de la République est le français. ».

Il souhaiterait donc connaître la position du Gouvernement sur cette rupture d’égalité pour nos concitoyens habitant en Corse.

Transmise au Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Réponse du Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, JO Sénat du 10/01/2019, p. 126.

L’article 2 de la Constitution dispose que « la langue de la République est le français », son article 75-1 précisant par ailleurs que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». En outre, si l’article 1er de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française dispose que « la langue française (…) est la langue (…) des services publics », son article 21 précise que « les dispositions de la présente loi s’appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s’opposent pas à leur usage ». Par ailleurs, l’article 76 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique a complété la disposition de l’article 1er du décret du 2 thermidor an II (20 juillet 1794), qui prévoit que « nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire de le république, être écrit qu’en langue française », pour préciser qu’elle n’a ni pour objet ni pour effet de prohiber l’usage de traductions lorsque l’utilisation de la langue française est assurée. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les autorités publiques peuvent produire des écrits en langues régionales dans la mesure où ceux-ci sont accompagnés d’une version française, permettant à tous une compréhension de la publication et garantissant le principe d’égalité des usagers face au service public.

Sérignes, « La réforme de l’orthographe », 1887.

La Société philologique française a entendu une communication de M. Pierre Malvezin sur la réforme de l’orthographe. Une tentative dans ce sens a déjà été faite, cet hiver par M. Pol Passy, qui essaya de défendre l’ortografe fonétique. La réforme était fort simple, à la portée de toutes les intelligences, surtout des… intelligences au-dessous de la moyenne ; mais elle dénaturait à tel point notre langue, elle lui donnait un tel dessin, qu’elle rencontra plus de, sarcasmes que d’adhésions.

Cette idée est reprise sous une autre forme. Il ne s’agit plus, cette fois, d’écrire le son, mais d’amener la suppression des contradictions et des bizarreries de l’orthographe, en examinant le dédoublement des consonnes, en mettant de l’uniformité dans les dérivés pour garder aux mots leur caractère, en se conformant à l’étymologie ou en la’ redressant – dans le cas où elle a été violée. Voici un échantillon de la prose que ces résultats offriraient :

On peut regrèter de voir doner d’eux consonnes à des mots qui soneraient tout aussi bien avec une seule. Est-ce afaiblir un mot que de lui enlever une lettre qui l’alonge inutilement, avec, cette circonstance agravante que cette soie orthographe jète une certaine obscurité sur la racine qui n’aparaît plus nettement ?

La presse parisiène, loin de l’aclamer, a bondi comme une cabre ou, si vous aimez mieux, a monté à l’escale quand on a parlé de l’orthographe phonétique. « Qu’est-ce que cette antiène ? s’est-èlle écriée, qu’est-ce que cette nouvèle bagatèle ? » Et chacun des méchants garsons de la chronique que ne flate pas ce système musical, anonce à ses lecteurs que M. Paul Passy ne renouvèle point l’orthographe, mais l’écartèle, et amoncèle hérésie sur hérésie. Le fait est, parole d’honeur, que sa réforme était une horeur. Nous autres, nous ne garotons pas l’orthographe projetée que nous anonçons ; nous lui laissons son caractère de race ; nous le lui rendons même quand une mole condescendance le lui a enlevé. Nous rendons à charrette ses deux r gaulois ; ce qui fait carrette ; nous, retournons à l’étymologie qui nous rend carriolet, qu’on s’obstine à nommer cabriolet ; nous y atelons des poulins et des poulines, qu’un méchaht argot d’écurie désigne sous le nom de poulains et de pouliches, au mépris du bon sens.

Ainsi, cette réforme exigerait donc une connaissance approfondie de la langue et de ses racines. Cabre remplacerait chèvre parce que chèvre vient de capra et de capros. Escale remplacerait échelle parce que sa racine celtique est skal. Cependant, M. Pierre Malgevin veut bien considérer que ces dernières modifications pourraient n’être apportées que dans la suite… Elles sont, en effet, très peu pratiques. Qu’on supprime quelques lettres doubles et contradictoires, comme dans donner qui fait donation ou dans renouvelle du verbe renouveler, c’est parfait ; mais que, par amour du celte, on nous fasse dire escale pour échelle, ah ! c’est trop de pédanterie. Excusez-nous, monsieur Malgevin, mais nous ne connaissons pas le celte.

Le défaut des réformateurs est de ne jamais vouloir s’en tenir à l’essentiel et par là, de faire avorter … les projets les plus heureusement conçus.

Simplification de l’orthographe (1893). L’Académie vote « pour », Alfred Capus en rit.

L’Académie française, par 7 voix contre 4, a décidé, sur la proposition de M. Gréard, qu’il y avait lieu de réformer notre orthographe. Les premières réformes vont porter, paraît-il, sur la suppression du trait d’union dans les noms composés, sur la régularisation du pluriel, etc.

C’est une grande victoire pour le vice-recteur et distingué académicien qui a soutenu son plan de réformes avec beaucoup de talent et d’éloquence.

Aussi, à en croire Alfred Capus, M. Gréard, depuis ce succès, ne rêve plus que réformes nouvelles et simplifications d’orthographe plus perfectionnées et plus hardies encore. Notre malicieux confrère prétend même avoir assisté à la scène suivante :

GRÉARD, seul. — Il est doux d’avoir changé l’orthographe de tout un peuple, et c’est une noble satisfaction pour un esprit cultivé. Gréard assis sur les ruines de l’orthographe, voilà un beau sujet de tableau. J’en parlerai à M. Bonnat. Mais qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Je sais bien qu’il ne manque pas de choses à réformer… Il y en a même trop, c’est très embarrassant.

LE VALET DE CHAMBRE, entrant. — Le concierge est là qui prétend que monsieur lui a dit de venir ce matin.

GRÉARD. — C’est vrai, je n’y songeais plus. Introduisez-le. Car ce n’est pas tout de voter des réformes, il faut encore les appliquer. (Le concierge entre.) Vous aurez la complaisance de faire poser contre la maison un grand écrite au avec ces mots en grosses lettres : « On désapran lortograf an 25 lesson. Cour de di zeur à midi tou lé jour. »

LE CONCIERGE. — Ce sera fait aujourd’hui, monsieur. (Il sort.)

GRÉARD. — Simplifions, simplifions ! Certes, je suis fier d’avoir simplifié l’orthographe, mais il faudrait aussi simplifier la langue française. Elle est trop compliquée, il y a des tas de mots inutiles. D’ailleurs, les trois quarts des mots sont inutiles, je l’ai déjà remarqué plusieurs fois… Je trouverai un moyen. (Il réfléchit.) Essayons. Jean ?

LE VALET DE CHAMBRE. — Monsieur ?

GRÉARD (désignant ses pieds). — Donnez-moi mes… choses.

LE VALET DE CHAMBRE. — Les bottines de monsieur ?

GRÉARD (joyeux). — Il a compris. Oui mes bottines. Et puis (montrant sa tête) mon… machin.

LE VALET DE CHAMBRE. — Le chapeau de monsieur ?

GRÉARD (au comble de la satisfaction).— Parfaitement. C’est admirable ! Je suis sûr que chose et machin peuvent remplacer à peu près tous les autres mots, en les employant bien. C’est une affaire de tact. Ainsi : Jean ?

LE VALET DE CHAMBRE. — Monsieur ?

GRÉARD. — Vous me ferez pour mon déjeuner deux machins à la coque…

LE VALET DE CHAMBRE. — Deux œufs ?

GRÉARD. — évidemment, et une chose sur le gril…

LE VALET DE CHAMBRE. — Une côtelette ?

GRÉARD. — Parbleu ! il n’y a rien de plus simple. Je crois que j’ai trouvé la plus belle réforme du siècle. Je vais faire une proposition à l’Académie française…

*

Mon Dieu ! que dirait Vaugelas de tout ce grabuge. Et les ombres de Noël et Chapsal ne vont-elles pas tressaillir dans leur tombe !…

Édouard Lockroy, « Les fautes d’orthographe de l’Académie », 1866.

Je consultais l’autre jour — par hasard — cet oracle infaillible. Tout en feuilletant ces pages vénérables, je tombais sur le mot : « Haleine. »

— Je m’aperçus alors, non sans étonnement, que les académiciens lui avaient refusé un pluriel.

— Or, — je vous l’avouerai, — ce refus me paraît injuste.

Il me semble qu’on, devrait, autant que possible, tâcher de rendre les mots égaux devant le dictionnaire comme les Français le sont devant la loi. Pourquoi ce malheureux-ci est-il condamné au singulier à perpétuité ? Je n’y vois pas de bonne raison.

On doit dire, je le sais :

« Ces femmes ont l’haleine douce — ou embaumée. »

Mais ne pourrait-on pas écrire aussi bien cette phrase moins poétique :

« Les haleines des quarante académiciens avaient échauffé l’atmosphère de la salle des séances ? »

Faudrait-il donc mettre — pour s’exprimer correctement :

« L’haleine des quarante académiciens ? »

Il est, d’ailleurs, bien difficile d’obtenir de l’Académie une règle claire. Elle pose, par exemple, en principe, que les locutions françaises, composées de plusieurs mots étrangers, — ne doivent jamais prendre d’S. « Qui-pro-quo» lui sert d’exemple. Or, quelques pages plus haut elle annonce qu’elle tolère « in-promptus.» et elle serait — je crois— toute prête à déclarer que vous ne savez pas l’orthographe si vous écriviez des « fac-totums » sans la marque distinctive du pluriel.

A la vérité, — ces mots étant latins, on peut croire que l’Académicien s’en soucie peu et les laisse se gouverner à leur fantaisie.

Voyons donc les locutions composées de deux mots français.

Le dictionnaire écrit un « va-nu-pieds » — avec un S. Cela se conçoit puisque ce terme indique un homme qui marche les pieds nus. Ici nous ne pouvons que féliciter l’Académie de son bon sens. Malheureusement elle écrit aussi « couvre-pied » — sans S — et « essuie-main  » sans S. — S’imagine-t-elle donc qu’on ne se couvre jamais qu’un pied et qu’on ne s’essuie jamais qu’une main? N’est-il pas, d’ailleurs, bien ridicule de faire suivre ce mot de

Couvre-pied — sans S

de la définition suivante :

« Sorte de petite couverture d’étoffe qui sert à couvrir les pieds. »

On n’en finirait pas si l’on voulait relever toutes les inconséquences semées dans ce grave volume. J’en voudrais, cependant, citer deux encore, qui me semblent plus fortes que les autres. Prenons le mot Gelée. L’académicien affirme, toujours avec le même sérieux, qu’on doit écrire. Gelée de Pomme — sans S. — parce que c’est une gelée qui se fait avec un fruit appelé « pomme ». — Très bien. Fort de ce renseignement et procédant par analogie vous voulez, je suppose, mettre une étiquette sur un pot de confiture aux coings. — Vous écrivez Gelée de Coing — n’est-ce pas ? Hé bien ! — vous vous trompez grossièrement. Consultez, plutôt, le savant dictionnaire, — non plus au mot : Gelée, mais au mot : Coing, il vous apprendra, cette fois, qu’on doit écrire : Gelée de Coings — avec un S, — attendu que c’est une gelée qui se fait avec des fruits nommés coings. Comment n’avez-vous pas deviné cela ?

Mais ce n’est rien. Ouvrez le dictionnaire au mot « oeillet.» Vous y trouverez qu’on doit écrire un pied d’oeillets avec un S, — remarquez !

Voyez-le ensuite au mot : Pied, — il vous apprendra qu’on doit toujours écrire: un pied d’oeillet — sans S — bien entendu !

Mon Dieu je n’attache pas à ces choses plus d’importance qu’elles n’en méritent, j’avoue, cependant, que je ne serais pas fâché d’être fixé sur ces pluriels. Ce n’est point se montrer trop exigeant que de demander cela. Notre pauvre langue est déjà pleine de bizarreries et d’inconséquences ; l’Académie ne devrait pas chercher a en augmenter le nombre. Elle est payée pour ne rien faire, et, il me semble que quand elle travaille à embrouiller les premiers principes de l’orthographe ; — elle ne gagne pas son argent.

Édouard Lockroy, 1866.