L’Afrique/Les Afriques. Trois livres d’histoire et de géopolitique (Fauvelle, Lafont, Le Gouriellec)

« Une histoire mondiale de l’Afrique, une histoire africaine du monde. Tel est le double pari de cet ouvrage ambitieux qui nous plonge dans la conversation que les sociétés du continent africain ont, au cours de l’histoire, toujours entretenue avec celles du reste du monde. Une conversation multimillénaire, depuis la dispersion des humains modernes jusqu’à nos jours, dont les auteurs et autrices nous invitent à écouter toutes les tonalités. Car cette histoire est faite de rapports de domination et de violences, de rejets et de révoltes, mais également d’interactions à toutes les échelles, de circulations de biens et d’idées, d’innovations et d’adaptations locales, de mutations globales.
S’émancipant des monologues factices qui divisent le passé, ce livre propose une histoire polyphonique. Il s’appuie sur les recherches les plus actuelles et les plus poussées pour éclairer la manière dont les sociétés africaines ont toujours pris part au monde ».

Lire un extrait

Comment faire l’histoire de l’Afrique ? une conversation avec François-Xavier Fauvelle (entretien avec Florian Louis, Le Grand Continent, 7 septembre 2002)

Avant tout discours, l’africaniste doit expliciter sa position, déclarer d’où il parle. En histoire, cela oblige à d’autant plus de rigueur, de nuance et de finesse. C’est sur cette ligne de crête que se situe le travail de François-Xavier Fauvelle, professeur au Collège de France et dont le dernier livre sort aujourd’hui. Dans ce grand entretien, il revient sur sa pratique d’un métier singulier : historien de l’Afrique.

Faire l’histoire de l’Afrique, comme au demeurant de n’importe quelle autre région du monde, pose à l’historien des questions fondamentales relatives à l’espace-temps qu’il étudie. C’est particulièrement vrai dans le cas de l’Afrique puisqu’il s’agit d’étudier une région dont les contours comme le nom sont exogènes en ce qu’ils ont été fixés depuis d’autres régions du monde et par des non-Africains. Le concept d’Afrique est-il néanmoins opératoire et quels contours donnez-vous à cette région  ?

De même que tout chrononyme est anachronique, tout toponyme est «  anatopique  ». C’est évident quand il s’agit d’un nom de période  : par définition, il est toujours donné après la période en question, quand l’expérience ou la volonté d’un changement de période fait saillir la précédente comme une butte-témoin géologique. Il n’y a d’Ancien Régime que lorsqu’on entre dans la Révolution  ; de Moyen Âge que lorsqu’on a décidé qu’on voulait passer à autre chose qu’on appelle la Renaissance  ; de Trente glorieuses que lorsqu’on est sûr qu’il n’y en aura pas quarante. Un nom de période n’est donc jamais donné par les indigènes de la période en question. De la même façon, un nom d’espace est toujours donné de l’extérieur ou à tout le moins de façon surplombante à l’égard des sociétés qui y sont englobées. Il n’y a rien là de spécifique à l’Afrique  : Europe, Amérique, Australie, sont des noms qui n’ont rien d’européen, américain, australien. Ce qui est cependant intéressant avec le nom «  Afrique  », c’est que c’est un nom au départ africain, désignant une société africaine de l’actuelle Tunisie, puis qui a désigné la province d’Africa romaine, puis l’Ifriqiya arabe. Ce nom a donc une longue histoire de réappropriations, d’extensions, de compétitions avec d’autres noms. Au Moyen Âge et à l’époque moderne, on parlait également d’Éthiopie supérieure, d’Éthiopie ultérieure ou encore de Guinée, pour désigner de très vastes régions d’Afrique qui n’ont rien à voir avec les pays qui portent ces noms actuellement. Puis le toponyme «  Afrique  » a fini par s’imposer à tout le continent, au terme d’une histoire qui est celle de la formation d’une notion dans la géographie mentale du monde moderne et dans la géographie politique et identitaire du monde contemporain. Est-ce un handicap pour les historiens et historiennes que d’utiliser un nom anatopique  ? Non  : en histoire, il est nécessaire d’employer des catégories analytiques extérieures aux sociétés du passé, c’est même la condition de leur intelligibilité. Mais il faut le faire sans les naturaliser, en les neutralisant exactement comme on le fait avec les noms de période.

User du concept d’Afrique, ce n’est pas seulement user d’un nom, mais aussi d’une idée qui postule une cohérence entre les espaces regroupés sous ce toponyme. Qu’est-ce qui fait l’unité de l’espace africain et l’Afrique est-elle une ou plurielle  ?

Elle est les deux et il est nécessaire de faire avec les deux. Certains ont envie que l’Afrique soit une, ont envie de dire «  Africa is a country  » en la promouvant en tant qu’entité existante et légitime. C’est une affirmation fréquente au sein de la diaspora afrodescendante à travers le monde, notamment aux États-Unis, où le vocable d’Afrique a une forte résonance dans la grammaire identitaire américaine. Il existe aussi un évident sentiment panafricain qui, comme en Europe, désire l’unité. Mais inversement, certains ont envie de dire  : «  Africa is not a country  ». Et on doit leur donner raison aussi  : l’Afrique, c’est 54 pays. Et au-delà même de la multiplicité politique, c’est une très grande diversité des sociétés, des formes culturelles, des langues – plus de 2 500 langues sont parlées en Afrique –, des formations politiques, des types d’interaction entre les sociétés. Ces deux affirmations sont donc vraies à tour de rôle. Et elles sont problématiques à tour de rôle. Promouvoir une «  africanité  » homogène, c’est nier les identités nationales ou locales, c’est céder à ce que Joseph Tonda appelle une «  afrodystopie  » (Afrodystopie  : la vie dans le rêve d’autrui, Karthala, 2022). Mais inversement ne parler que de diversité, c’est défendre un fractionnement ethnique qui était l’idéal de gouvernance du colonialisme et de l’apartheid, et qui reste le principe organisateur des musées d’art africain. Alors, entre dystopie intellectuelle et vertige sentimental, il faut tenir la barre. L’Afrique est à la fois singularité et pluralité et cette pluralité des sociétés africaines est par certains aspects la singularité de l’Afrique. On ne peut pas ne pas s’interroger sur cette diversité qui est un produit de l’histoire et qui, comme je l’ai écrit (Penser l’histoire de l’Afrique, CNRS Editions, 2022), devrait être «  bonne à penser  » pour toute historienne ou historien, quelle que soit sa société de prédilection.

Lire la suite

« Constituée de cinquante-quatre États, berceau de nombreuses civili­sations, l’Afrique représente à elle seule un continent-monde de plus d’un milliard d’habitants. Trop souvent considérée comme un tout homogène, elle devrait plutôt être pensée dans sa diversité et sa profondeur.

Sur le plan géopolitique, on la croit marginalisée. Ses acteurs sont souvent perçus comme passifs et dépendants du reste de la communauté internationale. Or, c’est une tout autre représentation que propose Sonia Le Gouriellec dans cet ouvrage. Celle, au contraire, d’un continent ouvert sur le monde, ayant depuis toujours participé aux échanges et aux équilibres politiques, commerciaux et intellectuels, et qui est aujourd’hui intégré à la mondialisation et aux dynamiques contemporaines, au point d’apparaître comme un nouveau centre névralgique des défis de notre époque.

S’appuyant sur de nombreuses études de cas, Sonia Le Gouriellec n’écrit rien de moins qu’une géopolitique des Afriques. »

Lire une recension du livre

 

Ce diaporama nécessite JavaScript.

« Pourquoi ne connaissons-nous pas le nom de la capitale de la Côte d’Ivoire ou du Nigéria ? Pourquoi les séries américaines se déroulent-elles dans des pays d’Afrique qui n’existent pas ? Comment expliquer que l’Afrique soit aujourd’hui encore dépeinte comme un espace uniforme, primitif, un espace de pauvreté et de conflits ? Un espace hors de l’Histoire, hors du monde en mouvement, en retard. Existe-t-il chez nous ce que le philosophe camerounais Achille Mbembe appelle une « volonté d’ignorance » ?  Ce livre donne des clés de compréhension de nos représentations caricaturales de l’Afrique. Il interroge la persistance d’un imaginaire colonialiste, d’une vision globalisante et dévalorisante du continent africain. Mettons à mal nos préjugés mille fois rebattus, et prenons conscience que l’Afrique est entrée dans l’Histoire, sans nous ! »

Dan Morain : Kamala Harris. Des rues d’Oakland aux couloirs de la Maison-Blanche, Talent Editions, 2021

Dan Morain, reporter au Los Angeles Times, nous raconte comment cette enfant d’immigrés, née en Californie au temps de la ségrégation, est devenue l’une des actrices majeures du pouvoir américain.
Son récit nous plonge au cœur des années que Kamala Harris a passées en tant que procureure générale de Californie, explore son soutien téméraire à un Barack Obama encore peu connu, et montre comme elle a su jouer des coudes pour accéder au Sénat.
Il analyse également son échec à devenir candidate pour la présidence, et les coulisses de sa campagne de vice-présidente.
Tout au long de son récit, Dan Morain nous dépeint le portrait de sa famille, nous révèle ses valeurs et ses priorités, tout comme ses faux pas, ses prises de risques et l’audace dont elle a fait preuve lors de son ascension.

Lire un extrait

Fela Anikulapo-Kuti – Rébellion Afrobeat (20 octobre 2022-11 juin 2023)

Il y avait beaucoup de monde au Musée de la Musique-Philharmonie de Paris, pour le vernissage de l’exposition consacrée à Fela Anikulapo-Kuti créateur du style musical qu’il a baptisé «afrobeat». Une exposition promise à un très grand succès de fréquentation française et européenne.

Devenu une figure d’envergure mondiale dès la fin des années 1970, l’artiste pour qui « la musique est l’arme du futur » a enchaîné les tournées internationales jusqu’à son décès en 1997. Fela a fait de son mode de vie un manifeste. L’exposition rend compte de ses engagements et de ses prises de position fracassantes, tout au long de sa carrière artistique, contre la corruption des élites et le néocolonialisme qui continuent encore aujourd’hui d’inspirer les luttes au Nigeria et ailleurs.

L’exposition propose au visiteur de revivre l’énergie de Fela et de ses musiciens et danseuses en redonnant vie aux plus grands moments de ses concerts sur les scènes du monde au rythme de morceaux hypnotiques entrecoupés de harangues politiques et de performances rituelles. En constante mutation, l’afrobeat des Koola Lobitos, la première formation de Fela, doit également beaucoup au highlife ouest-africain et donne la part belle aux cuivres et aux percussions. Avec ses groupes Afrika 70 puis Egypt 80, Fela s’entoure d’un nombre croissant de musiciens et donne naissance à des constructions symphoniques de plus en plus complexes. L’exposition raconte ce cheminement et la trajectoire musicale de l’artiste, donnant à entendre et à comprendre les sources et l’évolution de l’afrobeat.

Commissaires de l’exposition : Alexandre Girard-Muscagorry, Mabinuori Kayode Idowu, Mathilde Thibault-Starzyk. Conseiller musical : Sodi Marciszewer.

Catalogue Fela

Doreen Fowler : une lecture freudienne de « Passing », de Nella Larsen.

Les critiques de Passing ont souvent fait observer que le roman semble éviter de s’engager dans le problème de l’inégalité raciale aux États-Unis, et Claudia Tate va jusqu’à écrire que « la race … est simplement un mécanisme pour mettre l’histoire en mouvement » (598). En l’absence apparente de la race comme sujet du roman, les chercheurs ont identifié la classe sociale ou l’attraction lesbienne comme la préoccupation centrale du roman.

Bien que l’attirance pour le même sexe et la classe sociale soient certainement des préoccupations du roman, je soutiens que les critiques ont négligé la centralité de la race dans le roman parce que le sujet de Passing est la répression raciale ; c’est-à-dire qu’une solidarité totale avec un peuple opprimé et racialisé est le référent réprimé, et, pour cette raison, la race apparaît à peine. En tant que roman sur le passing, le sujet de Larsen est le refus de s’identifier pleinement aux Afro-Américains, mais la critique de Larsen n’est pas seulement dirigée contre les membres de la communauté noire qui se font passer pour des Blancs ; Passing explore plutôt la manière dont la race est réprimée aux Etats-Unis à la fois chez les Blancs et chez certains membres de ce qu’Irène appelle la « société nègre » (157). Tout au long du texte, la négrité est recouverte par la blancheur. Même le mot « noir » ou « nègre » semble être presque banni du texte. Comme je le montrerai, le roman explore la manière dont l’association avec une identité noire est réprimée par de nombreux personnages, dont Brian, Jack Bellew, Gertrude et d’autres membres de la société de Harlem, mais Irene Redfield, la conscience centrale du roman, à travers l’esprit de laquelle les événements sont perçus et filtrés, est la principale représentante de la répression raciale. Jacquelyn McLendon observe astucieusement qu’Irene Redfield « vit dans l’imitation constante des Blancs » (97). (2) Partant de cette observation, je soutiens qu’Irene, qui désire avant tout la sécurité, identifie la sécurité à la blancheur et réprime une identification complète avec la communauté noire par refus de l’abjection que les Blancs projettent sur les Noirs. Pour cette raison, Irène ne se contente pas d’imiter les Blancs dans sa vie de bourgeoise de classe supérieure, elle s’efforce, comme une personne passant pour blanche, d’effacer les signes de son identité noire – mais ces signes de négrité reviennent la hanter sous la forme de son double, Claire. Si de nombreux chercheurs ont reconnu qu’Irène est ambivalente par rapport à son identité afro-américaine et que Claire et Irène sont dédoublées, ma contribution originale consiste à relier les deux. Dans ma lecture, Claire est le double étrange d’Irène car elle représente le retour du désir rejeté d’Irène de s’intégrer pleinement à la race noire.

Dans cet essai, je propose que Larsen soit articulée à la théorie freudienne pour analyser la dimension psychologique de la répression raciale. Comme l’observe Thadious Davis, Larsen était « très consciente de Freud, de Jung et de leurs travaux » (329), et la pierre angulaire de la théorie de Freud est la répression. Selon Freud, « l’essence de la répression consiste simplement à détourner quelque chose et à le maintenir à distance du conscient » (« Répression », SE 14:147).

Doreen Fowler, « Racial Repression and Doubling in Nella Larsen’s Passing », South Atlantic Review, Volume 87, Number 1, Spring 2022.

 

Race et médecine. Sur une controverse française

Les usages raciaux et racistes historiques de la médecine sont substantiellement documentés. Dans la période contemporaine, la convocation la plus controversée de la race dans la médecine remonte à 2005 avec l’approbation par la Food and Drug Administration (FDA) du premier médicament, le BiDil, avec une indication spécifique du groupe racial de destination. Le BiDil combine deux génériques anciennement reconnus comme étant bénéfiques pour les patients souffrant d’insuffisance cardiaque, quelle que soit leur race ou leur origine ethnique. Or, ses fabricants réussirent à profiter de la législation américaine sur les brevets en exploitant la race afin d’obtenir un avantage commercial et réglementaire. Le débat fut homérique dans l’opinion publique américaine comme parmi les professionnels de santé sans que cette indication raciale ne soit retirée depuis.

Le buzz français d’août 2022

En France, c’est une vidéo publiée le 2 août 2022 par Brut, soit une interview de Miguel Shema, étudiant en 2e année de médecine, et par ailleurs activiste politique, qui fit polémique. L’étudiant y disserte sur « des préjugés et des pratiques racistes dans l’univers médical » en se prévalant de « trois exemples de pratiques racistes » (la non-considération de la spécificité des « peaux noires », des pratiques liées à la croyance dans une propension de patients « maghrébins » à exagérer la douleur, le surdosage pour les patients noirs des antipsychotiques). Les conclusions de Miguel Shema étaient en réalité ses prémisses : le « racisme médical tue », « c’est qu’en fait, on ne s’intéresse qu’à la santé des Blancs ».

Cette déclamation visuelle est assortie de liens, non pas à des travaux publiés dans des revues de référence, mais à une « enquête » sur « le racisme dans le football » et à une déclaration de l’acteur Joaquin Phoenix, lors de sa réception en 2020 du prix du meilleur acteur aux Bafta, à propos du « racisme dans le cinéma ». On ne sait pas trop pourquoi ces références (quel football ? Pourquoi seulement lui et pas un autre sport ? le « cinéma » est-il réductible au cinéma hollywoodien ?) mais par leur nature, elles suggèrent que ce que dit Miguel Shema a été édité en tant qu’éditorial sur le « racisme » (institutionnel ou structurel, sans précision à cet égard).

La prémisse-conclusion de Miguel Shema repose sur des allégations pouvant toutes se prêter à une vérifiabilité, à la faveur d’enquêtes demandant de nombreux scrupules méthodologiques. Or sa vidéo ne cite pas des enquêtes sociologiques signifiantes ayant vérifié ses allégations. Si de telles enquêtes n’existent pas, l’explication n’est pas légale puisqu’elles ne sont pas empêchées par l’interdit légal des statistiques ethniques ou raciales.

Le jeune étudiant en médecine (ni dermatologue, ni sociologue, donc) est si pressé de conclure qu’il commet des raccourcis, par exemple lorsqu’il affirme, ex cathedra, que la symptomatologie des « peaux noires », d’une part, est différente de celle des « peaux blanches » (à l’écouter, cette différence est générale et absolue) et, d’autre part, n’est pas documentée par la littérature médicale. Il y a cependant de quoi le contredire sur ces deux points, en convoquant notamment les deux auteurs (J.-J. Morand, E. Lightburne) en 2009 de « Dermatologie des peaux génétiquement hyperpigmentées (dites « peaux noires ») » :

« L’individualisation, au sein d’un traité de dermatologie, de l’approche clinique en fonction de la couleur de la peau des malades peut sembler évidente, indispensable ne serait-ce que d’un point de vue sémiologique ; elle peut apparaître tout autant discutable en raison des difficultés de définition du champ d’étude et des multiples confusions à connotation raciste dont l’Histoire témoigne. D’une part il est désormais établi que la pigmentation cutanée est génétiquement programmée, probablement sous la pression de sélection, durant des millénaires, du rayonnement solaire fonction de la zone géographique [1], mais le phénotype qui en découle ne permet pas de définir a posteriori des populations « raciales » homogènes [2]. D’autre part, du fait des migrations de populations et du métissage ainsi qu’en raison des modifications acquises de la pigmentation, notamment par l’exposition solaire, il existe un véritable continuum entre la peau dite « blanche » et la peau « noire » [3]. De même, on observe sur le plan phanérien une grande diversité pilaire et s’il est juste de noter que la plupart des individus à cheveux crépus sont hyperpigmentés, l’inverse n’est pas vrai, notamment en Asie et en Amérique du Sud. Néanmoins pour enseigner il faut simplifier et la présentation des extrêmes permet ainsi de mieux percevoir les divers aspects de la dermatologie dite « ethnique » [4-6]. Les travaux publiés sur la peau noire sont pour la plupart réalisés sur de faibles effectifs, sont en outre peu nombreux comme si, malgré le fait que la population pigmentée soit bien représentée à l’échelle mondiale, les instituts de recherche et l’industrie pharmaceutique avaient un peu délaissé la question. Désormais, notamment du fait d’enjeux économiques, il y a un intérêt grandissant pour la cosmétologie des peaux génétiquement pigmentées et des cheveux crépus, notamment aux États-Unis et en Europe ».

Entre problèmes de méthode et problèmes de fond

À travers les nombreuses références auxquelles elle renvoie, cette étude montre que la question des « peaux noires » est loin d’être un impensé médical depuis au moins trente ans. Sinon certains médecins de certains hôpitaux, à Paris tout au moins, ne seraient-ils pas spécialement recommandés en la matière (Hôpital Saint Louis – Hôpital Bichat – Hôpital Henri Mondor – Centre Sabouraud – Centre Médical Europe – Centre Médical Opéra, etc.).

L’étude de J.-J. Morand et d’E. Lightburne montre également, explicitement ou implicitement, que cette question n’échappe pas à certains enjeux décisifs dans le champ médical pour toutes les pathologies : celui de la spécialisation médicale ou hospitalière ; celui de la hiérarchie des disciplines hospitalières. Deux enjeux ataviques de lutte de pouvoir. Miguel Shema a donc présumé connaître l’institution médicale dans sa globalité (comme le font, il est vrai, tous les acteurs sociaux à propos des institutions dans lesquelles ils travaillent).

Sur la question des « peaux noires », Miguel Shema n’a pas seulement péché par méconnaissance ou par idéologie. Il a dramatiquement ajouté à une emphase déjà prospère chez beaucoup de Noirs sur la différence entre les « peaux noires » et les « peaux blanches ». Or cette emphase peut entretenir en retour une obsession raciale et parasiter la relation médicale (en plaçant le médecin dans une sorte d’obligation de circonvenir « racialement » une pathologie). Cette emphase est la catapulte des nombreuses marques de produits cosmétiques pour « peaux noires », des piliers du marketing ethnique qui aiment à se définir comme « laboratoires » afin de créer l’illusion d’une « scientificité » des produits qu’ils commercialisent.

Miguel Shema montre, à son corps défendant, les scrupules extrêmes qu’appelle toute référence à la race en matière médicale puisque, d’un côté, il fait grief aux soignants de ne pas en tenir compte (les « peaux noires ») et, de l’autre, il leur fait grief d’en tenir compte faussement et sur la seule foi de leurs préjugés et croyances (les patients « maghrébrins » et les patients « Noirs » recevant des prescriptions de psychotropes).

Au demeurant, ce ne sont pas seulement des préjugés et des croyances qui peuvent porter des soignants à convoquer faussement la race, ça peut être la médecine elle-même, cette situation étant particulièrement visible aux Etats-Unis. Ainsi, les enfants noirs étaient moins susceptibles de contracter une infection des voies urinaires, a fait valoir pendant un certain temps le consensus médical (américain) avant que ce consensus s’accorde plutôt à trouver une explication du risque de contracter une infection urinaire chez les enfants par leurs antécédents de fièvre et d’infections. Autre exemple : le consensus médical n’a pas moins voulu pendant un certain temps que les femmes noires aient une disposition plus faible à réussir à accoucher par voie naturelle après un accouchement par césarienne.

Plus généralement, les algorithmes raciaux sont l’une des pratiques médicales les plus généralisées aux Etats-Unis en matière de diabète et de dons d’organes, spécialement en matière de greffes de reins. Ils revendiquent pour eux la science qui fait valoir par exemple que comparés aux donneurs blancs et hispaniques, et bien que leur proportion soit limitée, les donneurs de reins d’« ascendance africaine récente » ne présentent pas moins un risque plus élevé de développer une insuffisance rénale en raison de leur don. Ces algorithmes raciaux se prêtent néanmoins à un vif débat médical et éthique.

Il serait intéressant de voir, ce qui dépasse le cadre d’une note comme celle-ci, comment sont reçus en France par les professionnels de santé des recherches, des discours et des pratiques médicaux à l’étranger qui convoquent la race (les adhésions ou les rejets et leurs modalités, les indifférences et les ignorances et leurs motivations, etc.).

Une question de fond en suspens

L’ethnicité ou la race comptent-ils dans la fabrication sociale des diagnostics et des parcours de soin en France ? Voici comment on peut reformuler, en termes proprement sociologiques, la question soulevée par Miguel Shema. Il répond en substance oui, sans démontrer sa réponse. Certains autres ont répondu non, sans plus de démonstration, comme Vincent Lautard dans Marianne. Sa réponse se limite à disqualifier les exemples donnés par l’étudiant en médecine ou à donner valeur probante à sa propre expérience, présupposant ainsi tout à la fois que non seulement lui-même est colorblind mais qu’en plus il sait en toute occasion identifier ceux qui ne le sont pas. Au demeurant, il y a une ambiguïté foncière dans une tribune qui parle au nom de « la médecine » : soit c’est le caractère « scientifique » (réel ou supposé) de la relation médicale qui empêche des préjugés et des stéréotypes de race de corrompre cette relation, alors tel devrait être le cas partout dans le monde et depuis toujours ; soit c’est quelque chose de spécifiquement français, en soi ou dans le cadre de la relation médicale, qui préserve les soignants des préjugés et des stéréotypes de race et d’ethnicité. Ce quelque chose n’est pas identifié par Vincent Lautard.

Le débat initié par Miguel Shelma ne permet donc pas de répondre à la question de savoir si l’ethnicité ou la race comptent, positivement/négativement, dans la fabrication sociale des diagnostics et des parcours de soin en France. Cette question fait néanmoins sens au moins en tant qu’hypothèse de recherche. Après tout, l’on ne voit pas pourquoi alors que l’hypothèse selon laquelle des facteurs tels que le sexe et la classe sociale jouent dans la fabrication sociale des diagnostics et des parcours de soin en France a pu être légitime puis vérifiée, l’hypothèse de la race et de l’ethnicité ne le pourrait pas.

Ce que montre la controverse Shema/Lautard c’est que l’intérêt que les acteurs du débat public trouvent à cette question dépend d’abord de leur positionnement politique à propos du fameux « universalisme républicain » et de sa fameuse « indifférence à la race ». Avec l’Amérique, voire les « pays anglo-saxons », en arrière-plan : Miguel Shema importe (mal et sans la médiation de travaux) des répertoires (balisés) dans les pays anglo-saxons. Vincent Lautard l’a bien compris et s’est empressé de tenir la dragée haute à « l’ennemi américain ».

Exposition. « Regeneration. Black Cinema 1898-1971 », Musée de l’Académie des Oscars, 21 août 2022-9 avril 2023.

Le Dictionnaire du cinéma américain, de Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, est une référence. C’était une raison de s’étonner de son très faible intérêt pour le cinéma afro-américain, voire de certaines de ses analyses un peu clichetonnes sur le racisme. En 2001, avec son Dictionnaire du cinéma afro-américain (acteurs, réalisateurs, techniciens) (Séguier, coll. Ciné-Séguier), Régis Dubois combla donc un manque dans la littérature francophone. Son livre permet aujourd’hui de naviguer dans l’exposition consacrée au cinéma afro-américain par l’Académie des Oscars.

« L’exposition phare du Musée de l’Académie Regeneration: Black Cinema 1898–1971 explore la culture visuelle du cinéma noir dans ses multiples expressions, depuis l’aube du cinéma à la fin du XIXe siècle jusqu’aux mouvements des droits civiques des années 1960 et leurs conséquences jusqu’au début des années 70. L’exposition est un regard approfondi sur la participation des Noirs au cinéma américain. Regeneration met en lumière le travail des cinéastes afro-américains et crée des dialogues avec des artistes visuels tout en élargissant simultanément les discussions autour de l’histoire du cinéma américain.

La série démarre avec la première mondiale d’un film racial « perdu » récemment restauré, Reform School (1939). Les films raciaux étaient des œuvres réalisées avec des acteurs entièrement noirs qui étaient distribués presque exclusivement à un public noir à travers les États-Unis ségrégationnistes.

Couvrant la même période de plus de 70 ans que l’exposition, cette série va de la présentation de pionniers de l’ère muette tels que les drames à petit budget d’Oscar Micheaux, scénariste-producteur-réalisateur, aux allégories révolutionnaires de Spencer Williams et aux œuvres d’innovateurs produites indépendamment et défiant les genres comme Melvin Van Peebles. Des stars largement inconnues des cinéphiles grand public sont mis en avant – Ralph Cooper, Clarence Brooks et Francine Everett – aux côtés des légendes emblématiques de l’écran Paul Robeson, Josephine Baker, Harry Belafonte, Sidney Poitier, Lena Horne, etc. »

Découvrir le site internet de l’exposition

Oscar Micheaux et des acteurs afro-américains d’avant la Blaxploitation

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Sélection d’actrices afro-américaines d’avant la Blaxploitation

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Chose lue. « Des métis raciaux dans les pays nordiques ». Journal of Critical Mixed Race Studies, 2022.

De nombreux ouvrages savants ont été publiés sur le thème de la multiracialité et des expériences métisses aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Les recherches sur l’Europe nordique ont été historiquement limitées. Les analyses recueillies dans ce volume visent à faire avancer la recherche sur l’Europe nordique en termes d’études critiques sur le métissage racial.

Jasmine Kelekay : De « quelque chose entre les deux » à « tout à la fois » : Méditations sur la liminalité et la négrité dans le hip-hop et le R&B afro-finlandais

Depuis sa diffusion mondiale dans les années 1980, le hip-hop a été une sphère culturelle cruciale dans laquelle les Européens de couleur ont abordé les expériences de la race et du racisme, du genre et de l’appartenance nationale, la musique et la culture hip-hop étant souvent considérées comme la lingua franca culturelle de la diaspora africaine. Compte tenu de la domination continue de l’exceptionnalisme nordique et du daltonisme formel dans l’imaginaire national et les discours publics finlandais, le hip-hop apparaît comme un répertoire important pour examiner la production de contre-discours et de contre-récits par les Finlandais de couleur, et les Afro-Finlandais en particulier. Cet article aborde le hip-hop afro-finlandais comme une archive alternative de l’expérience et de la pensée afro-finlandaise. Il se concentre sur trois œuvres du R&B afro-finlandais…

Mari Rysst : « Coincé dans leur peau ? » : Les défis de la construction identitaire chez les enfants d’origine mixte en Norvège

Cet article, basé sur l’anthropologie sociale, traite des défis de la construction de l’identité ethnique chez les enfants et les jeunes d’origine immigrée en Norvège, en particulier chez les métis raciaux. Comparée aux États-Unis, la Norvège a une courte histoire d’immigration de personnes de couleur. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la politique officielle norvégienne a souligné que « nous sommes tous égaux » et « avons la même valeur », indépendamment du sexe, de la sexualité et de la couleur de la peau. Une idéologie sans distinction de couleur a été un idéal. Aujourd’hui, les immigrés de la deuxième et de la troisième génération parlent couramment le norvégien et occupent de bons emplois dans le domaine public, notamment à la radio et à la télévision, et sont donc souvent exposés au public, mais ils sont toujours classés comme « étrangers » en raison de leur apparence.

Ida Tolgensbakk : Parler suédois en étant noir en Norvège

Les Suédois sont considérés presque sans ambiguïté comme des Blancs en Norvège et, par conséquent, étiquetés comme non étrangers et non marqués. L’un des aspects les plus frappants de l’étude des jeunes travailleurs suédois migrants dans la capitale norvégienne est leur positionnement vis-à-vis de la majorité (blanche) et des autres minorités (noires) ; ce sont des immigrants catégorisés comme des immigrants « pas tout à fait » ou « pas réels ». Cependant, cette position est contestée de différentes manières, entre autres par les processus d’altération qui ont lieu à travers les microagressions des rencontres « Qui es-tu ? », lorsque des différences linguistiques sont notées. Cet article soutient que les Suédois sont une minorité invisible, mais audible, en Norvège, catégorisés comme des étrangers non pas en raison de leur différence phénotypique, mais en raison de leur altérité linguistique.

Antoine, Katja : La déconnexion suédoise : Racisme, suprématie blanche et race

Cet article examine comment l’État suédois, en éliminant la race en tant que catégorie démographique officielle, favorise effectivement les conditions sociales et juridiques qui permettent au racisme et à la suprématie blanche de proliférer sans qu’on en tienne compte et souvent sans qu’on y prête attention. Ce faisant, la Suède sape les efforts antiracistes visant à contrer la discrimination raciale prévalente, créant un décalage entre l’image libérale progressiste du pays et la réalité vécue par ses résidents de couleur.

Nahikari Irastorza ; Sayaka Osanami Törngren : Melting Pot ou Salad Bowl ? Un aperçu des familles mixtes en Suède

En raison de la mondialisation et des migrations internationales à destination et en provenance de la Suède, la possibilité de choisir un partenaire de vie issu de l’immigration s’est accrue en Suède. Cependant, malgré la croissance et la plus grande diversité ethnique et raciale des mariages mixtes en Suède, peu de chercheurs ont étudié ces unions sur une large échelle. Cet article se concentre sur les mariages mixtes dans lesquels une personne est d’origine suédoise et l’autre d’une autre origine ethnique ou raciale. Il pose la question de savoir si la Suède est en train de devenir ce que l’on décrit métaphoriquement comme un melting pot ou un saladier.

Sayaka Osanami Törngren : Si je ne peux pas dire que je suis suédois, qu’est-ce que je suis ? La liberté dans les limites du choix de l’identité

Aujourd’hui, un Suédois sur dix est métis, ses parents étant originaires de pays différents. Bien que les Suédois métis fassent partie intégrante de la société suédoise, on sait peu de choses sur leurs expériences. Basé sur quatorze entretiens qualitatifs avec des Suédois métis qui ont déclaré être racialisés comme Latino, Asiatique, Arabe ou Noir, cet article explore la liberté et les limites de l’affirmation de leur identité ethnique et raciale. Les expériences des Suédois mixtes montrent que si l’identification est flexible et que le choix de s’identifier en tant que Suédois ou en tant que Suédois mixte est possible, il n’en reste pas moins que les Suédois mixtes ont la possibilité d’affirmer leur identité ethnique.

Sayaka Osanami Törngren : Si je ne peux pas dire que je suis suédois, que suis-je ? La liberté dans les limites du choix de l’identité

Aujourd’hui, un Suédois sur dix est d’origine mixte, ses parents étant originaires de pays différents. Bien que les Suédois mixtes fassent partie intégrante de la société suédoise, on sait peu de choses sur leurs expériences. Basé sur quatorze entretiens qualitatifs avec des Suédois mixtes qui ont déclaré être racialisés comme Latino, Asiatique, Arabe ou Noir, cet article explore la liberté et les limites de l’affirmation de leur identité ethnique et raciale. Les expériences des Suédois mixtes montrent que si l’identification est flexible et que le choix de s’identifier comme Suédois ou mixte reflète leur décision personnelle de se rattacher à leur origine nationale, culturelle et ethnique, ils ne peuvent pas choisir si ou comment ils seront racialisés ou catégorisés racialement par les autres.

James Omolo : Traverser la ligne de couleur : L’identité biraciale en Suède et au Danemark

La migration vers la Scandinavie a augmenté au cours des quinze dernières années. Pourtant, peu de recherches savantes ont été consacrées au sujet des individus mixtes, en particulier ceux d’origine africaine danoise ou afro-suédoise. Cette étude cherche à combler cette lacune en examinant comment les individus d’origine mixte naviguent dans leur identité dans les contextes danois et suédois, une région où il n’existe pas de termes socialement acceptés pour les identifier ou les classer. Cette étude peut constituer un excellent point de départ dans le discours sur la race qui est négligé tant au Danemark qu’en Suède. S’appuyant sur des données qualitatives, cet article examine la position des personnes d’origine mixte, en accordant une attention particulière à leur sentiment d’identité et d’appartenance ainsi qu’à la réalité d’être…

Kirsten Thisted : Blame, Shame, and Atonement : Les réponses groenlandaises aux discours racialisés sur les Groenlandais et les Danois

En dehors du Groenland, beaucoup croient que le nom groenlandais du Groenland signifie « Terre du peuple ». Cependant, le mot groenlandais pour désigner un être humain ou une personne est inuk (pluriel : inuit), et le Groenland s’appelle Kalaallit Nunaat et non Inuit Nunaat. Kalaallit est le terme groenlandais de l’ouest qui désigne les Groenlandais d’aujourd’hui dont les ancêtres sont issus de deux lignées : les Inuits à l’ouest et les Scandinaves à l’est. Au cours de la première moitié du vingtième siècle, cette ascendance mixte a été un argument important pour la revendication groenlandaise de reconnaissance et d’égalité. Cet article examine une source littéraire, le roman de 1944 de Pavia Petersen, Niuvertorutsip pania (La fille du chef d’avant-poste). La protagoniste féminine du roman, qui est d’ascendance mixte, est…

Kristín Loftsdóttir ; Sanna Magdalena Mörtudóttir : « D’où venez-vous ? » : Le racisme et la normalisation de la blanchité en Islande

Dans les contextes européens et nordiques, les chercheurs se sont disputés sur la manière de comprendre le racisme et la racialisation dans un contexte historiquement différent du contexte américain. Alors que l’analyse ci-dessous souligne les caractéristiques globales et donc la mobilité du discours raciste, l’article cherche à montrer comment les classifications racistes sont comprises dans différentes localités. Cet article explore, en particulier, l’intersection de la race et de l’identité nationale en Islande. Les données primaires consistent en des entretiens avec quinze adultes identifiés comme mixtes, tant en termes de race que d’origine. L’analyse montre que l’identité islandaise est fortement normalisée comme une identité blanche, le corps islandais étant toujours supposé être « blanc ».

Décès : Lamont Dozier (1941-2022).

Décès de Lamont Dozier, membre de la légendaire équipe d’auteurs-compositeurs Holland-Dozier-Holland (Brian Holland, Lamont Dozier, Eddie Holland), qui a contribué à créer le « son de la jeune Amérique » de la Motown grâce à son travail de production en studio et à la création de succès prodigieux qui ont touché des millions de personnes à travers le monde. Ses chansons mêlent la ferveur du gospel et du R&B à la puissance des mélodies pop pour des artistes comme Marvin Gaye, Martha and the Vandellas, The Four Tops, The Miracles et The Supremes. Dozier a continué d’écrire des succès avec des musiciens tels que Jon Anderson, Phil Collins, Simply Red et Boy George et sa musique restera à jamais gravée dans les mémoires (Hall of Fame). Lamont Dozier a signé avec les frères Holland 14 titres de la Motown classés n°1 aux Etats-Unis, pour The Supremes, The Four Tops ou Martha & The Vandellas. Et il n’a pas moins signé en solo des titres remarquables, dont Going Back to My Roots.  Dozier et les frères Holland furent sanctifiés en 1990 au Rock and Rock Hall of Fame, deux ans après Berry Gordy, le fondateur de la Motown.

Chose vue : The Porter (série canadienne)

Inspiré de faits réels et situé dans le fracas des années 1920, THE PORTER (8×60 mn) suit le parcours d’un ensemble de personnages qui se bousculent, rêvent, traversent les frontières et poursuivent leurs ambitions dans la lutte pour la libération – sur et hors des chemins de fer qui traversaient l’Amérique du Nord. C’est une histoire captivante d’autonomisation et d’idéalisme qui met en lumière le moment où les cheminots du Canada et des États-Unis se sont unis pour donner naissance au premier syndicat noir du monde. Se déroulant principalement à Montréal, Chicago et Détroit, alors que le monde se reconstruit après la Première Guerre mondiale, THE PORTER dépeint la communauté noire de Saint-Antoine, à Montréal – connue, à l’époque, comme le « Harlem du Nord ». Ils sont jeunes, doués et noirs, venus du Canada, des Caraïbes et des États-Unis par l’Underground Railroad (le chemin de fer clandestin) et la grande migration [des Afro-Américains du Sud vers le Nord], et ils se retrouvent ensemble au nord et au sud de la « ligne de couleur », à une époque où tout est possible – mais si le changement ne vient pas pour eux, ils viendront pour lui. Par tous les moyens nécessaires.

 

Série originale de CBC et BET+, produite par Inferno Pictures et Sienna Films (une société de Sphere Media), basée à Winnipeg, THE PORTER a été conçue et créée par Arnold Pinnock (Altered Carbon, Travelers) et Bruce Ramsay (19-2, Cardinal), avec Annmarie Morais (Killjoys, Ransom, American Soul), Marsha Greene (Ten Days In The Valley, Mary Kills People) et Aubrey Nealon (Snowpiercer, Cardinal), et produite par Inferno Pictures Inc. de Winnipeg et Sphere Media, une société de Sphere Media. basée à Winnipeg, et Sienna Films de Sphere Media. Morais et Greene sont showrunners et producteurs exécutifs. Charles Officer (Akilla’s Escape, Coroner) et R.T. Thorne (Blindspot, Utopia Falls) réalisent la série et sont producteurs exécutifs. Pinnock est également producteur exécutif, et Ramsay, co-producteur exécutif. Jennifer Kawaja est productrice exécutive pour Sienna Films et Ian Dimerman, producteur exécutif pour Inferno Pictures. La série est écrite par Morais, Greene, Andrew Burrows-Trotman, Priscilla White, Pinnock et Ramsay, avec Thorne participant à la salle des auteurs.

Chose lue. Anthony Guyon : Histoire des Tirailleurs Sénégalais. De l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours, Perrin, 2022.

La première histoire globale d’un corps d’armée mythique.
Créé par décret impérial en juillet 1857, le premier bataillon de tirailleurs n’a de sénégalais que le nom : en effet, ce corps de militaires constitué au sein de l’empire colonial français regroupe en réalité toute la « force noire » – c’est-à-dire les soldats africains de couleur qui se battent pour la France.
Si les études portant sur le rôle des tirailleurs sénégalais dans les deux conflits mondiaux sont légion, rares sont les ouvrages qui retracent toute leur histoire, de la création de ce corps au XIXe siècle à sa dissolution en 1960. S’intéressant aux trajectoires collectives comme aux destins individuels (le militant Lamine Senghor, le résistant Addi Bâ ou encore le Français libre Georges Koudoukou), Anthony Guyon propose ici la première synthèse globale sur le sujet. Il revient sur les moments de gloire de cette armée – comme la défense de Reims en 1918, la bataille de Bir Hakeim en 1942 ou l’opération Anvil en 1944 –, autant que sur les tragédies qui jalonnent également son parcours (citons notamment les terribles massacres commis par la Wehrmacht à leur encontre lors de la campagne de France).
Loin des habituels clichés qui font que, aujourd’hui encore, l’iconographie dégradante incarnée par « Y’a bon Banania » demeure l’un des premiers éléments associés à l’identité des tirailleurs sénégalais, cet ouvrage à la fois complet et accessible illustre toute la complexité de leur position à mi-chemin entre les sociétés coloniales et l’autorité métropolitaine. À mettre entre toutes les mains.