Sérignes, « La réforme de l’orthographe », 1887.

La Société philologique française a entendu une communication de M. Pierre Malvezin sur la réforme de l’orthographe. Une tentative dans ce sens a déjà été faite, cet hiver par M. Pol Passy, qui essaya de défendre l’ortografe fonétique. La réforme était fort simple, à la portée de toutes les intelligences, surtout des… intelligences au-dessous de la moyenne ; mais elle dénaturait à tel point notre langue, elle lui donnait un tel dessin, qu’elle rencontra plus de, sarcasmes que d’adhésions.

Cette idée est reprise sous une autre forme. Il ne s’agit plus, cette fois, d’écrire le son, mais d’amener la suppression des contradictions et des bizarreries de l’orthographe, en examinant le dédoublement des consonnes, en mettant de l’uniformité dans les dérivés pour garder aux mots leur caractère, en se conformant à l’étymologie ou en la’ redressant – dans le cas où elle a été violée. Voici un échantillon de la prose que ces résultats offriraient :

On peut regrèter de voir doner d’eux consonnes à des mots qui soneraient tout aussi bien avec une seule. Est-ce afaiblir un mot que de lui enlever une lettre qui l’alonge inutilement, avec, cette circonstance agravante que cette soie orthographe jète une certaine obscurité sur la racine qui n’aparaît plus nettement ?

La presse parisiène, loin de l’aclamer, a bondi comme une cabre ou, si vous aimez mieux, a monté à l’escale quand on a parlé de l’orthographe phonétique. « Qu’est-ce que cette antiène ? s’est-èlle écriée, qu’est-ce que cette nouvèle bagatèle ? » Et chacun des méchants garsons de la chronique que ne flate pas ce système musical, anonce à ses lecteurs que M. Paul Passy ne renouvèle point l’orthographe, mais l’écartèle, et amoncèle hérésie sur hérésie. Le fait est, parole d’honeur, que sa réforme était une horeur. Nous autres, nous ne garotons pas l’orthographe projetée que nous anonçons ; nous lui laissons son caractère de race ; nous le lui rendons même quand une mole condescendance le lui a enlevé. Nous rendons à charrette ses deux r gaulois ; ce qui fait carrette ; nous, retournons à l’étymologie qui nous rend carriolet, qu’on s’obstine à nommer cabriolet ; nous y atelons des poulins et des poulines, qu’un méchaht argot d’écurie désigne sous le nom de poulains et de pouliches, au mépris du bon sens.

Ainsi, cette réforme exigerait donc une connaissance approfondie de la langue et de ses racines. Cabre remplacerait chèvre parce que chèvre vient de capra et de capros. Escale remplacerait échelle parce que sa racine celtique est skal. Cependant, M. Pierre Malgevin veut bien considérer que ces dernières modifications pourraient n’être apportées que dans la suite… Elles sont, en effet, très peu pratiques. Qu’on supprime quelques lettres doubles et contradictoires, comme dans donner qui fait donation ou dans renouvelle du verbe renouveler, c’est parfait ; mais que, par amour du celte, on nous fasse dire escale pour échelle, ah ! c’est trop de pédanterie. Excusez-nous, monsieur Malgevin, mais nous ne connaissons pas le celte.

Le défaut des réformateurs est de ne jamais vouloir s’en tenir à l’essentiel et par là, de faire avorter … les projets les plus heureusement conçus.