Les réunions, rassemblements et groupements extrémistes au prisme de la liberté de réunion et d’association

Par hypothèse, une réunion, un rassemblement ou un groupement peut être « extrémiste » : ou bien parce qu’il (elle) promeut une idéologie, une doctrine, des croyances, des opinions, des valeurs ou des intérêts particuliers (dimension idéologique ou dogmatique) ; ou bien parce qu’il (elle) éprouve ou envisage d’éprouver des moyens ou des méthodes particuliers (dimension comportementale). Les deux situations demandent a priori à être distinguées : une idéologie, une doctrine, des opinions, des croyances, des valeurs ou des intérêts « extrémistes » peuvent être promus dans des rassemblements et des groupements pacifiques, voire festifs ; des rassemblements et des groupements violents ou armés peuvent se former à l’appui d’une idéologie, d’une doctrine, d’opinions, de valeurs ou d’intérêts « non-extrémistes ». Pour autant, l’on ne saurait considérer ab initio que des rassemblements ou des groupements violents ou armés ressortent exclusivement du maintien de l’ordre, sans aucune considération des libertés d’expression (la liberté d’expression proprement dite, la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté d’association[1]) puisque, dans certains cas, le recours à la violence ou l’usage de la force peuvent participer d’une doctrine, d’une opinion ou d’un système de valeurs, soit qu’il s’agisse de promouvoir un idéal « révolutionnaire » (qu’il s’agisse d’un idéal révolutionnaire laïque ou d’un idéal révolutionnaire religieux comme dans le Djihad), soit qu’il s’agisse de « résister à l’oppression »[2].

Rapportée au libéralisme institutionnel, la question de la saisie par le droit des discours et des sociabilités « extrémistes » ne se pose fondamentalement que dans les sociétés politiques et les ordres juridiques qui, tels les sociétés et les ordres juridiques des États européens conçoivent des immixtions des pouvoirs publics dans le marché des idées et le contenu des discours. Cette question ne se pose donc guère aux États-Unis, qui pensent « en bloc » la liberté d’expression, la liberté de réunion et de manifestation – d’où leur juxtaposition dans la Constitution fédérale (Premier Amendement) – et qui n’admettent donc pas que les pouvoirs publics puissent restreindre des groupements, des réunions ou des manifestations en raison de la nature des opinions, des croyances, des idéologies professées (du moins tant qu’il s’agit de discours protégés par le Premier Amendement[3]) : aucun groupement ne peut ainsi être interdit(e) ou restreint dans sa liberté tant qu’il ne promeut pas des discours incitatifs à la commission d’actions illégales[4] ; aucun groupement, aucune réunion, aucune manifestation ne peut ainsi être interdit(e) tant qu’il (elle) est pacifique, autrement dit tant qu’il (elle) ne trouble pas la paix publique. Ce n’est qu’à défaut de cette exigence du caractère pacifique qu’une ingérence des pouvoirs publics est envisageable ; encore cette ingérence doit-elle vouloir répondre à un « danger clair et présent » (clear and present danger) ou vouloir conjurer une « incitation imminente à la commission d’une action illégale »[5].

Qu’est-ce qui fait qu’une réunion, un rassemblement ou un groupement[6] peut être qualifié(e) d’extrémiste ? Cette qualification a deux propriétés de base. D’une part, elle place nécessairement celui qui l’éprouve en situation d’extériorité et de surplomb moral par rapport à ceux dont il parle (ceux qui sont perçus comme « extrémistes » par les autres s’auto-qualifient eux-mêmes rarement d’« extrémistes », mais plutôt, le cas échéant, de « radicaux »[7]). D’autre part, elle sourd d’un idéal de modération dont l’assise sociale est historicisée et indexée à des variations socioculturelles[8]. Ces deux considérations éclairent sans doute le fait que les droits des États démocratiques et libéraux utilisent rarement ce syntagme, même dans leurs dispositifs constitutionnels ou législatifs définissant l’état d’exception ou la défense de l’ordre constitutionnel. L’article 21-2 de la loi fondamentale allemande (1949) est à cet égard éloquent puisqu’il est réputé désigner notamment des groupements politiques extrémistes : « Les partis qui, d’après leurs buts ou d’après le comportement de leurs adhérents, tendent à porter atteinte à l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril l’existence de la République fédérale d’Allemagne, sont inconstitutionnels. La Cour constitutionnelle fédérale statue sur la question de l’inconstitutionnalité ».

Quant au droit français, loin d’autonomiser des réunions, des groupements, des rassemblements qualifiés ex cathedra d’« extrémistes », il identifie tout au plus et dans certains contextes normatifs (la police des discours) des idées, des opinions, des doctrines philosophiques, politiques ou religieuses qu’il juge « problématiques » à différents égards, pour justifier ou bien leur surveillance policière, ou bien la conjuration de toute expression publique de leur part. Aussi voudra-t-on s’intéresser successivement à ce que font les administrations policières réputées incarner la « police politique » (I), à la police des lieux de sociabilité qui inquiètent politiquement les pouvoirs publics (II) ainsi qu’à ce qui, dans le droit français, rend quasi-invisible sur la voie publique le prosélytisme en faveur de certaines idées ou doctrines (III).

  1. Le magistère de la « police politique »

La surveillance des mouvements et des sociabilités extrémistes est réputée participer de la définition même de la police dans l’État moderne. En l’occurrence, le « maintien de l’ordre public contre toute tentative de déstabilisation (combattre les mouvements subversifs, les groupuscules révolutionnaires, les ennemis de l’État, mais aussi encadrer et contrôler toute manifestation ou tout rassemblement qui pourrait représenter une menace pour le gouvernement en place ou la tranquillité publique) » substantialise cette part de l’activité policière qu’il est convenu d’appeler « police politique »[9].

  1. L’universalisme de la « police politique » : le cas du FBI

Même dans un contexte comme celui des États-Unis[10] dans lequel le Premier Amendement est protecteur des idéologies, des doctrines, des discours tant que ceux-ci ne constituent pas des incitations à commettre des actions illégales, l’État n’exerce pas moins une surveillance d’individus ou de groupes qu’il considère comme « à risques »[11]. L’histoire du Federal Bureau of Investigation (FBI) est donc pour une part celle de la « police politique » fédérale. Cette histoire est revendiquée par l’institution elle-même, notamment à travers la plate-forme en ligne (The Vault[12]) sur laquelle elle consigne celles de ses archives qu’elle juge d’intérêt public ou qu’elle a rendu (« rendues ») publiques par suite d’une demande formée sur le fondement du Freedom of Information Act (FOIA). Et ces archives sont répertoriées autour d’un certain nombre de thèmes au nombre desquels l’on compte : les militants pacifistes – le mouvement des droits civils[13] – la lutte contre le terrorisme – le contre-espionnage – les fugitifs – les groupes extrémistes et les gangs – le crime organisé – les événements se rapportant à des personnalités politiques[14] – la culture populaire – la corruption – la Cour suprême[15] – les phénomènes inexpliqués[16] – la Seconde Guerre mondiale – les crimes violents.

Cette surveillance policière peut avoir des conséquences sur la très longue durée, comme le montre le cas du Socialist Workers Party, soit un parti trotskiste dont « l’impopularité »[17] lui a valu une « longue histoire » de menaces, de violences et de harcèlements, de la part des dépositaires de l’autorité publique fédérale ou locale, ainsi que de la part de personnes privées. Ainsi, il a été établi que de 1941 à 1976, le FBI a notamment recouru à des infiltrations de ses agents à l’intérieur du parti, surveillé la vie privée des membres du parti, fait usage à l’encontre du parti et sans mandat judiciaire de moyens de surveillance électronique, « visité » illégalement les bureaux des dirigeants du parti, cherché à discréditer politiquement les membres du parti sur la base d’éléments tirés de leur vie privée, cherché à créer des conflits entre les dirigeants du parti et entre le Socialist Workers Party et d’autres organisations « d’extrême gauche ». Si l’importance de cette hostilité, notamment de la part des pouvoirs publics, a considérablement reculé (par exemple, la surveillance exercée par le FBI, « qui a duré 25 ans, a pris fin aux environs de 1976, soit il y a bientôt 40 ans »[18]), elle n’a pas moins pour conséquence de faire bénéficier à ce parti, depuis 1985, d’une dispense de certaines obligations de publicité du financement des campagnes et activités électorales prévues par le Federal Election Campaign Act de 1971, des obligations dont cette organisation politique estimait qu’elles avaient pour effet de la priver, ainsi que ses adhérents, ses sympathisants ou ses donateurs, du droit à la liberté d’expression garanti par le Premier Amendement de la Constitution des États-Unis[19].

En 2014, une topographie des menaces de « terrorisme intérieur », telles qu’elles sont perçues par les autorités et les agences de sécurité des états fédérés américains, a fait l’objet d’une publication remarquée. Par hypothèse, ces menaces désignent autant la politique de surveillance et de renseignement revendiquée par ces autorités et ces agences fédérées que celle pratiquée par le FBI contre les groupes concernés : les extrémistes musulmans – les milices nationalistes – les Skinheads racistes – les néonazis – les défenseurs extrémistes des droits des animaux (Extreme Animal Rightists) – les extrémistes environnementalistes – le Klux Klux Klan – les révolutionnaires d’extrême gauche – les radicaux anti-avortement et pro-life – les nationalistes Noirs – les radicaux anti-fiscalistes – les radicaux anti-immigration – les radicaux chrétiens – les Idiosyncratic Sectarians – les « millénaristes » et les « apocalyptiques » (Millennial/Doomsday Cults) – les Sovereign Citizens (un mouvement « populiste » et radicalement anti-étatiste que l’on classe généralement à l’extrême droite et auquel est imputé un paper terrorism, des actes d’intimidation, voire des actes de violence)[20].

  1. Les « Renseignements généraux »

Comme un miroir de l’histoire politique française – avec ses nombreuses révolutions, avec son clivage entre monarchistes et républicains, avec son clivage entre partisans et adversaires de la Révolution, avec son clivage entre défenseurs d’un magistère social de l’église catholique et les adversaires d’un tel magistère[21] –, l’histoire juridique de la « police politique » en France est riche de législations et de réglementations depuis le XIXe siècle en particulier, à partir notamment de la création par un décret impérial du 22 février 1855 du service spécial de surveillance des chemins de fer[22]. Cette mission sera successivement confiée au commissaire principal chef du service des archives institué par le décret du 26 février 1911 fixant le titre et le traitement du commissaire spécial attaché à la direction de la sûreté générale, chargé d’un service des archives, informations et documents intéressant la sécurité publique ; au contrôleur général des services de police administrative (décret du 7 septembre 1913) ; au directeur des services des renseignements généraux et de la police administrative (décret du 28 avril 1937) ; au service des renseignements généraux créé au sein de la direction générale de la police par la loi du 23 avril 1941 portant organisation générale des services de police en France ; à la direction centrale des renseignements généraux par suite de la transformation du service du même nom en direction à part entière par une loi du 21 mars 1942, cette direction comptant par ailleurs une sous-direction de l’information spécialement vouée à informer le pouvoir exécutif sur l’opinion, les humeurs de la société, les activités des détenteurs de pouvoirs sociaux, toutes activités et sociabilités sociales susceptibles d’avoir une résonance sur l’ordre public, la sûreté de l’État.

La direction centrale des renseignements généraux était d’autant plus assimilée à une « police secrète » (ou à une « police politique ») dans les représentations populaires, que cette administration policière « couvrait » en particulier l’ensemble des partis politiques. D’ailleurs, à la faveur des alternances, les oppositions successives lui faisaient le reproche de « servir les basses œuvres du pouvoir » et, à partir de 1981, différentes entreprises de « moralisation » des renseignements généraux ont été initiées par différents gouvernements[23].

Entre autres prescriptions, cette « moralisation » voulut dans une circulaire non publiée du ministre de l’Intérieur datée du 28 février 1991 que les renseignements généraux s’investissent prioritairement dans la connaissance des revendications sociales ayant un « caractère multiforme », à la violence urbaine ou à des « faits de société (sectes ou groupements ésotériques) susceptibles d’avoir des incidences sur la sécurité et l’ordre publics ». Une nouvelle circulaire du ministre de l’Intérieur en date du 3 janvier 1995 désactiva la surveillance par les renseignements généraux des « congrès, séminaires, universités d’été, réunions internes et toutes les questions portant sur le fonctionnement et l’organisation internes des partis » à deux exceptions près : d’une part, « les manifestations et les menaces à l’ordre public, ce qui signifie que les manifestations et attroupements de voie publique doivent être suivis. Pour les réunions dont le caractère public n’est pas avéré, elles sont surveillées par les renseignements généraux si elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public ou si elles sont tenues par des partis, groupes ou mouvements à risques » ; d’autre part, « le respect des principes démocratiques. La mission de défense des intérêts fondamentaux de l’État exige que les renseignements généraux accomplissent leur mission de prévention et de lutte contre les activités terroristes et de surveillance des groupes et mouvements qui ne respectent pas ces principes et qui sont susceptibles de porter atteinte à nos institutions. Certaines idéologies véhiculées à l’extrême-droite comme à l’extrême-gauche (en particulier celles qui prônent le racisme et l’antisémitisme et celles qui encouragent le recours à la violence) doivent faire l’objet d’une vigilance constante. C’est un rôle essentiel des renseignements généraux d’alerter les pouvoirs publics sur les dérives de nature à être sanctionnées par les tribunaux ».

  1. De la DCRI à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)

Une énième ponctuation juridique de la surveillance policière de certains individus ou groupes a consisté : d’abord en la création en 2008, toujours au sein du ministère de l’Intérieur, d’une direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) portant fusion de la direction de la surveillance du territoire (DST)[24] et de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) ; puis en la substitution en 2014 d’une direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à la direction centrale du renseignement intérieur.

Les décrets organisant successivement la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)[25] contiennent précisément une référence par prétérition aux sociabilités « extrémistes » même si, par ailleurs, la désignation des « extrémismes » par ces textes habilitant les agents concernés à pratiquer une surveillance et à concourir à la police judiciaire (dans les conditions prévues à l’article 15-1 du code de procédure pénale)[26] est instable. Ainsi, l’article 1er du décret n° 2008-609 du 27 juin 2008 relatif aux missions et à l’organisation de la direction centrale du renseignement intérieur prévoyait que la direction centrale du renseignement intérieur « participe également à la surveillance des individus, groupes, organisations et à l’analyse des phénomènes de société, susceptibles, par leur caractère radical, leur inspiration ou leurs modes d’action, de porter atteinte à la sécurité nationale ». Or l’article 2 du décret n° 2014-445 du 30 avril 2014 relatif aux missions et à l’organisation de la direction générale de la sécurité intérieure prévoit pour sa part que la direction « participe à la surveillance des individus et groupes d’inspiration radicale susceptibles de recourir à la violence et de porter atteinte à la sécurité nationale ».

Ces deux textes sont remarquables d’abord par la préférence qu’ils accordent au concept de « radicalité », qui n’est pas plus épuisable dans une définition univoque que celui d’« extrémisme »[27] mais dont il ne partage pas la connotation dépréciative. D’ailleurs, dans ses usages non-politiques, le concept de radicalité peut même avoir une connotation appréciative, qu’il s’agisse des « radicalités artistiques » ou des « radicalités épistémiques »[28]. D’autre part, l’on fera observer l’hésitation entre les deux décrets quant à l’opportunité de circonscrire la surveillance aux seuls individus et groupes (DGSI) ou de l’étendre à des « phénomènes de société » (DCRI), cette dernière catégorie étant aussi caractéristique du langage des médias – où ses usages sont quasi-systématiquement appréciatifs – qu’elle est inconnue des sciences de la société ou du droit[29]. En troisième lieu, il est remarquable que dans le décret relatif à la DCRI, la radicalité soit envisagée comme un attribut secondaire des individus et des groupes visés, tandis que dans celui relatif à la DGSI elle soit envisagée comme attribut primaire, une « inspiration », autrement dit un ressort idéologique. En quatrième lieu, le décret relatif à la DCRI analyse la radicalité comme étant constitutivement la source d’une menace pour la sécurité nationale alors que dans le décret DGSI, c’est l’inclination tendancielle des « radicaux » à recourir à la violence qui est redoutée par les pouvoirs publics. Enfin, il n’est pas moins frappant de constater que, dans les deux cas, la protection de la sécurité nationale est la vocation ultime de la surveillance ainsi organisée même si dans le décret DGSI, le motif tiré de la sécurité nationale est « modéré » par la condition d’un usage hypothétique de la violence[30].

Cette référence à la « sécurité nationale » comme justification de l’action de la DCRI puis de la DGSI vis-à-vis de certains individus ou groupes a quelque chose de curieux, au moins d’un point de vue rédactionnel, car ces institutions sont en réalité plus généralement vouées à la prévention des « crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique » (Livre IV du code pénal) et spécialement des « atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation » qui, aux termes de l’article 410-1 du code pénal « s’entendent (…) de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ». En réalité, dans les décrets relatifs à la DCRI et à la DGSI, le concept de « sécurité nationale » n’est pas pris dans son sens vulgaire et militaire mais dans son acception institutionnelle et administrative contemporaine ressortant de l’article L. 1111-1 du code de la défense[31], une acception qui est précisément plus proche des énonciations du livre IV du code pénal[32].

  1. La police des lieux de sociabilité extrémiste

 Il n’y a guère qu’à travers la législation relative aux « groupes de combat » et aux « milices privées » que le droit français autonomise des lieux de sociabilité dont on peut faire l’hypothèse qu’il les juge « extrémistes » ou « radicaux »[33]. Pour le reste, la police des réunions, des spectacles et du sport est assez générale dans ses énonciations pour saisir y compris des opinions, des doctrines, des idées qui « heurtent », « choquent » ou « inquiètent » à divers degrés.

  1. Les réunions et autres rencontres extrémistes

Les ressources légales de contrôle et d’interdiction, de réunions ou de toutes  autres rencontres dont disposent les pouvoirs publics français sont sensiblement plus importantes que ne le voudrait certaine philosophie générale de la Cour européenne des droits de l’homme[34].

  1. Réunions

En droit français, la réunion désigne « un groupement momentané de personnes, formé intentionnellement, en vue d’entendre l’exposé d’idées ou d’opinions, ou en vue de se concerter pour la défense de leurs intérêts »[35]. Jusqu’à la loi du 30 juin 1881, dont la discussion a duré deux ans, ce type de sociabilités a régulièrement été regardé avec défiance par les pouvoirs publics, d’où une alternance entre législations et réglementations restrictives et législations et réglementations libérales[36]. La loi du 30 juin 1881 consacre un régime de liberté aussi bien pour les réunions publiques que pour les réunions privées.

Réunions publiques. Leur libéralisation s’est faite en réalité en deux temps : d’abord avec la loi du 30 juin 1881 qui a substitué un régime de déclaration à un régime d’autorisation préalable ; ensuite avec la loi du 28 mars 1907 qui a supprimé l’obligation de déclaration prévue en 1881. Cette liberté est néanmoins balisée par l’interdiction posée par la loi de 1881 de tenir des réunions sur la voie publique[37]. D’autre part, les réunions publiques « sensibles » font l’objet d’une surveillance administrative consistant en la présence d’un « fonctionnaire de l’ordre administratif ou judiciaire » (souvent un commissaire de police) y affecté par le préfet, le sous-préfet ou le maire, et qui a l’aptitude légale ou bien de demander aux organisateurs de la dissoudre ou bien d’ordonner lui-même cette dissolution en cas de risques de « collisions et de voies de fait ». Enfin, cette liberté est balisée par une condition tenant à une menace de « troubles graves à l’ordre public » de la réunion envisagée[38], une condition que le Conseil d’État a durablement interprétée de manière restrictive comme n’étant réalisée que lorsqu’il ne peut être paré à tout danger par des mesures de police appropriées (spécialement une insuffisance des forces de police disponibles pour y faire face[39]) et autres qu’une interdiction pure et simple[40]. Toutefois, la solution adoptée par le Conseil d’État en janvier 2014 à propos des spectacles[41] devrait logiquement vouloir qu’une réunion publique elle aussi constitue en elle-même un trouble à l’ordre public, dès lors qu’elle porte atteinte, par sa teneur (probable ou certaine) à la « dignité de la personne humaine ».

Réunions privées. L’État n’est pas indifférent à certaines idées ou opinions, à certains intérêts susceptibles d’être promus dans le cadre de réunions privées. C’est le cas des idées et opinions haineuses. Ainsi, l’article R. 624-3 du code pénal punit de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe : − la diffamation non publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; − la diffamation non publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. L’article R. 624-4 du même code punit pour sa part l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe : − l’injure non publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; − l’injure non publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

Les discours de haine prononcés dans le cadre de réunions privées peuvent également tomber sous le coup de poursuites pénales sur le fondement de l’article R. 625-7 du code pénal qui punit de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe : − la provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; − la provocation non publique à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap, ainsi que la provocation non publique, à l’égard de ces mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal, soit le refus de fourniture d’un bien ou d’un service, l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique quelconque, le refus d’embaucher, la sanction ou le licenciement, la subordination de la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur un motif discriminatoire, la subordination d’une offre d’emploi d’une demande de stage ou d’une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l’un des motifs de discrimination prohibés par la loi, etc.

La « dangerosité » particulière prêtée par l’État aux auteurs des discours visés aux articles R. 624-3 et 624-5 du code pénal (soit une faculté de glissement de discours de haine à des actions haineuses) est rapportée par les articles R. 624-5 R. 625-7 du code pénal à travers la définition qu’il donne des peines complémentaires encourues par les auteurs de ces infractions, soit l’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de trois ans au plus, une arme soumise à autorisation, la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition, la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit.

  1. Spectacles

La police administrative des spectacles – ceux-ci constituant la représentation en public d’une œuvre de l’esprit − était d’autant plus alignée sur celle des réunions publiques que la vocation formelle des spectacles est le divertissement, quand bien même ces spectacles seraient caractérisés par de la satire, de la caricature ou du pastiche d’opinions et d’acteurs politiques, religieux, etc. Aussi, l’interdiction d’un spectacle ne pouvait être légalement justifiée que si l’autorité administrative de police ne disposait d’aucun autre moyen que l’interdiction pour prévenir les troubles matériels qu’un tel spectacle était susceptible d’induire. C’est cette solution traditionnelle qui a été mise à l’épreuve en 2014 par la perspective d’un spectacle de « Dieudonné », dont de précédentes représentations avaient déjà donné à entendre des propos à caractère antisémite. Par une circulaire du 6 janvier 2014, le ministre de l’Intérieur proposa aux préfets un argumentaire juridique voué à leur permettre d’interdire les représentations prévues du spectacle litigieux. En substance, le ministre de l’Intérieur expliquait qu’il était loisible aux préfets, au préfet de police de Paris ou à celui des Bouches-du-Rhône, de substituer au motif classique d’interdiction tiré de l’impossibilité de prévenir autrement des troubles matériels à l’ordre public un motif tiré de ce que le spectacle « constitue en lui-même un trouble à l’ordre public, dès lors qu’il porte atteinte par sa teneur à la dignité de la personne humaine ». C’est cette évolution que le Conseil d’État a validée dans trois ordonnances de référé rendues en janvier 2014[42]. Au-delà des arguments mobilisés dans la réception hautement conflictuelle, dans l’opinion et chez les juristes, des ordonnances du Conseil d’État, il reste encore à savoir l’étendue des discours susceptibles de rentrer dans le champ d’application de l’« atteinte à la dignité de la personne humaine ». Plus précisément, il reste à savoir si ce motif ne vaudra que si, comme dans le cas d’espèce, il s’agit de conjurer des discours de haine (discours racistes, discours antisémites, discours dirigés contre des croyances religieuses, etc.) ou si, plus généralement, il pourra être appliqué afin d’empêcher la production de toute parole ou toute image illicite. La question est d’autant plus ouverte qu’il existe des polices des discours dans lesquelles le « respect de la dignité de la personne humaine » va au-delà des discours de haine : c’est le cas de la police des discours produits à la radio, à la télévision ou sur Internet, où cette expression recouvre par ailleurs des discours non-patriotiques, des discours « obscènes » ou « indécents »[43].

  1. Les « fights »

La police française s’est dotée en 2009 d’une division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) vouée précisément à endiguer les violences connexes aux manifestations sportives en général et aux matches de football en particulier. Les fights en particulier sont analysés par le ministère de l’Intérieur comme étant « des rixes organisées en marge de rencontres de football, qui opposent des groupes en raison de divergences politiques, sociales ou de contentieux de diverse nature. Les participants souhaitent y acquérir une reconnaissance dans le milieu du supportérisme, asseoir leur suprématie dans le milieu du hooliganisme français ou international…. Ces affrontements, auparavant limités à des supporters des clubs professionnels des Ligues 1 et 2, concernent dorénavant aussi des supporters d’équipes évoluant dans les championnats amateurs »[44]. Les ressources légales autres que pénales[45] dont dispose l’État en la matière sont nombreuses et réparties entre le code de la sécurité intérieure et le code du sport. La sécurisation des manifestations sportives susceptibles de donner lieu à du hooliganisme peut ainsi amener l’État à exiger des organisateurs, lorsque la manifestation a un but lucratif et lorsque son objet ou son importance le justifie, d’y assurer un service d’ordre[46]. Surtout, la loi permet aux autorités administratives de police de prononcer des interdictions administratives de stade[47], des interdictions de déplacements de supporters[48], des restrictions d’accès à un périmètre autour du stade[49], voire la suspension ou la dissolution d’associations de supporters[50]. « Lors de la saison 2012-2013 », s’est réjoui le ministre de l’Intérieur en 2013, « l’action des services du ministère de l’intérieur, notamment de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) de la direction centrale de la sécurité publique, a permis d’empêcher plusieurs « fights » planifiés. Le travail effectué par les services de renseignement implantés dans les directions départementales de sécurité publique, l’efficacité des services d’ordre mis en place à l’occasion des matchs sensibles ainsi qu’une bonne coordination entre échelons locaux et centraux et entre services de renseignement et unités opérationnelles ont permis d’obtenir ces résultats. L’échange d’informations entre les Points Nationaux Information Football (PNIF) créés dans les pays de l’Union européenne a également permis d’éviter ou d’abréger plusieurs « fights », en France et à l’étranger (…) »[51].

Si l’appareil normatif relatif au hooliganisme en général et aux fights en particulier – aussi bien en lui-même que dans sa dimension contentieuse – est stabilisé[52], une question nouvelle est néanmoins apparue à la faveur d’internet : la diffusion en ligne d’images de fights. Cette diffusion ressort pour sa part de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui définit l’obligation des fournisseurs d’accès à Internet et des hébergeurs de concourir à la lutte contre la diffusion d’images illicites, spécialement celles dont l’illicéité est posée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou par le code pénal (atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité de la personne, pédopornographie, diffusion de messages à caractère violent susceptibles d’être vus ou perçus par un mineur).

  1. Les « groupes de combat » et les « milices privées »

La célèbre loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées est désormais codifiée à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Ce texte permet au président de la République, par décision prise en Conseil des ministres, de dissoudre un certain nombre de groupements (groupements de fait ou « associations déclarées ») : 1/ les groupements qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ; 2/ les groupements qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ; 3/ les groupements qui ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ; 4/ les groupements dont l’activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ; 5/ les groupements qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ; 6/ les groupements qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; 7/ les groupements qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger.

La portée de ce texte et ses applications, notamment au regard de la Convention européenne des droits de l’homme[53], sont assez connues pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir[54]. L’on fera néanmoins observer d’abord que la question de son applicabilité au Front national se pose encore moins depuis la fin des années 2000 (avec une assise électorale au-dessus de 10 % des électeurs et une présence d’élus dans de nombreuses assemblées locales ou au parlement) que dans les années 1980 (à la faveur des premiers succès électoraux du parti)[55]. Ce consensus sur l’immunité du Front national au regard de la législation sur les groupes de combat et les milices privées est d’autant plus remarquable que le parti continue d’être qualifié de « fasciste » par certains de ses adversaires. Or le tribunal correctionnel de Paris a considéré que la qualification de « fasciste » n’est qu’un excès de langage « dépourvu de caractère injurieux lorsqu’il est employé entre adversaires politiques sur un sujet politique »[56], ce qui pose la question de savoir comment il faudrait analyser juridiquement un groupement politique qui se revendiquerait lui-même du « fascisme ». Pour ainsi dire, peu ou prou, ce jugement du tribunal de grande instance de Paris revient à considérer que le « fascisme » est une idéologie licite en droit français contemporain puisqu’il n’y a guère de cas dans lesquels les juges ont pu considérer que le fait d’affubler quelqu’un d’une qualification renvoyant à une idéologie illicite ou à un comportement illicite n’était pas « intrinsèquement » injurieux (sans préjudice des marges de violence du langage admises dans la polémique politique et électorale ni de l’excuse d’humour).

La deuxième observation à laquelle se prête la police administrative des groupes de combat et des milices privées touche au taux d’acceptation par le Conseil d’État des décisions présidentielles de dissolution, un taux qui est proche de 100 % dans la période contemporaine[57]. Ce taux peut s’interpréter de deux manières. L’on peut le lire comme l’expression d’un très grand scrupule libéral des pouvoirs publics qui ne se décideraient à prononcer la dissolution que dans des cas… « extrêmes »[58]. L’on peut cependant aussi lire le taux d’acceptation par le Conseil d’État des décisions présidentielles de dissolution comme l’expression d’une certaine autolimitation du juge sur une question qu’il analyse comme étant dans la plus large mesure possible du seul ressort des autorités exécutives. Un élément au moins milite en faveur de cette dernière interprétation, soit le fait que le juge accepte de se prononcer sur la base de certains éléments classés « secret défense »[59] – de ce que l’on a compris il s’agit souvent de documents émanant du « renseignement intérieur » (DCRG, DCRI, DGSI) –, qui ne sont portés à sa connaissance que dans le cadre de l’instruction et sans d’ailleurs que l’on sache s’ils sont soumis à une discussion contradictoire entre les parties ; d’où cette formule rituelle du Conseil d’État dans ce contentieux : « le juge des référés a relevé que l’administration avait produit dans le cadre de l’instruction des éléments précis et concordants (…) »[60]. C’est un peu comme si le juge procédait par présomption de confiance en les pouvoirs publics, une présomption d’autant plus difficile à renverser dans le contexte d’asymétrie apparente d’information dans laquelle se trouvent les parties devant lui ; d’où cette autre formule rituelle du Conseil d’État dans ce contentieux : « Le juge des référés a estimé que les éléments apportés devant lui par les associations requérantes pour combattre ceux produits par l’administration ne sauraient être regardés comme suffisants pour remettre en cause la réalité des faits invoqués et leur exacte appréciation »[61].

III. L’organisation de l’invisibilité du prosélytisme extrémiste sur la voie publique

Lorsqu’il a la voie publique pour cadre, le prosélytisme d’opinions ou d’idéologies « extrémistes » renvoie à l’enjeu juridique plus général de la police administrative de la rue et à la définition spontanéiste que Maurice Hauriou donnait de la notion française d’ordre public lorsque l’éminent juriste faisait remarquer que « quand on emploie ce mot (celui d’ordre public), on pense d’abord à l’ordre dans la rue ». On peut le dire autrement : considération faite de ce que la liberté se définit comme la faculté de faire ce qui ne nuit pas à autrui, la rue est précisément le lieu où les probabilités de voir les individus faire ce qui peut nuire à autrui sont les plus élevées[62]. Or cette police de la rue pose la question de savoir s’il n’y a pas une orthodoxie discutable, un anachronisme, voire un contre-sens à substantialiser l’ordre public par le triptyque « sécurité »/« tranquillité publique »/« salubrité publique », comme le font encore certains discours doctrinaux en France, qui en infèrent que l’inscription dans cette notion (par la loi, le juge ou l’administration) de considérations de moralité, d’esthétique, de respect de la dignité de la personne humaine… a quelque chose de pathologique, du moins d’anormal. On voudra cependant se limiter à voir sous quelles qualifications l’« extrémisme » peut être saisi par le droit de la police administrative et le droit pénal lorsqu’il a la rue pour théâtre.

  1. Les attroupements extrémistes

La deuxième catégorie légale susceptible de s’appliquer à des rassemblements « extrémistes » est celle d’attroupement. La « définition » en est donnée par l’article 431-3 du code pénal qui dispose que « constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ». C’est moins à travers les dispositions légales relatives à la dispersion des attroupements[63] que l’on peut voir poindre une occurrence explicite à de l’extrémisme, celui-ci étant comportemental, que dans les dispositions pénales applicables aux refus d’exécuter les sommations des forces publiques de sécurité. Ainsi, l’article L. 211-16 du code de la sécurité intérieure prévoit que « la poursuite, après les sommations de se disperser, de la participation à un attroupement sans être porteur d’une arme, la participation à un attroupement en étant porteur d’une arme et la provocation directe à un attroupement armé sont réprimées dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal ». Ce sont précisément plusieurs agissements consistant en la possession ou en l’encouragement à la possession d’armes au cours d’un attroupement qui sont visés par ces dispositions du code pénal :

− le fait de participer à un attroupement en étant porteur d’une arme ;

− le fait pour un individu ayant pris part à un attroupement en étant porteur d’une arme d’avoir « continué volontairement à participer à un attroupement après les sommations » ;

− le fait pour un individu ayant pris part à un attroupement en étant porteur d’une arme de « dissimuler volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée » ;

− la « provocation directe à un attroupement armé, manifestée soit par des cris ou discours publics, soit par des écrits affichés ou distribués, soit par tout autre moyen de transmission de l’écrit, de la parole ou de l’image ».

La répression ainsi attachée à la possession d’armes à l’occasion d’un attroupement se veut d’autant plus sévère que le code pénal prévoit un certain nombre de peines complémentaires applicables aux personnes physiques condamnées pour de tels agissements[64]. Certaines de ces peines sont obligatoirement prononcées par le juge, sauf « décision spécialement motivée (…) en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur » (c’est le cas de l’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ; de la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition) ; d’autres sont facultatives (c’est le cas de l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l’article 131-26 du code pénal ; de l’interdiction de séjour, suivant les modalités prévues par l’article 131-31 du code pénal ; de l’interdiction du territoire français, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, lorsque la personne condamnée est de nationalité étrangère).

  1. Les manifestations extrémistes sur la voie publique

Le droit applicable aux manifestations en France résonne du statut particulier que ce fait social a dans l’histoire politique mouvementée de la France depuis la Révolution. Stéphanie Gruet résume parfaitement les choses lorsqu’elle écrit :

« D’un point de vue politique, la manifestation trouve son origine dans les divers mouvements insurrectionnels, révolutions et autres révoltes, qui ont fait et défait les régimes politiques jusqu’au début de la IIIe République ; ces mouvements ne disparaissent toutefois pas à ce moment mais se muent progressivement en manifestations d’une autre espèce. Il s’agit alors d’un mode d’expression pacifié, par et dans l’espace public. La naissance de la manifestation a été favorisée par l’institution du suffrage universel en 1848 qui légitimait ainsi « la force du nombre » ; les manifestations sont d’ailleurs implicitement prises en compte par la loi du 7 juin 1848 qui distinguait les attroupements armés, et les attroupements non armés susceptibles d’être interdits seulement s’ils troublent la tranquillité publique. Toutefois, le suffrage universel rendait dans le même temps ce mode d’expression illégitime, et la Troisième République condamnait les corps intermédiaires susceptibles de faire écran entre les électeurs et les élus, cette défiance valant également à l’égard des mouvements de rue, des manifestations. Les manifestations, sanglantes, de février 1934, vont ainsi ressusciter le souvenir de la Commune, en raison des barricades érigées à cette occasion et des nombreuses morts causées. (…) Mais les événements de mai 1968 redéfinissent ce système de références obligées (…). »[65]

La manifestation peut être définie comme « le fait, pour un certain nombre de personnes, d’user de la voie publique, soit de façon itinérante, soit de façon statique, afin d’exprimer collectivement et publiquement, par leur présence, leur nombre, leur attitude, leurs cris, une opinion ou une volonté commune »[66]. Mieux, « il n’y a donc ni discours formalisés, ni échange formalisé d’idées ; la manifestation a pour but d’exprimer une opinion, sans prise de parole, contrairement à la réunion publique qui a nécessairement pour objet d’entendre l’exposé d’idées ou d’opinions, ou de se concerter pour la défense de certains intérêts »[67].  La chambre criminelle de la Cour de cassation reste dans cette rationalité lorsqu’elle fait valoir en 2016 que la manifestation désigne « tout rassemblement, statique ou mobile, sur la voie publique d’un groupe organisé de personnes aux fins d’exprimer collectivement et publiquement une opinion ou une volonté commune« , contre la cour d’appel qui avait cru pouvoir ajouter des éléments tirés des modalités de cette expression en définissant pour sa part la manifestation comme un « déplacement collectif organisé sur la voie publique aux fins de produire un effet politique par l’expression pacifique d’une opinion ou d’une revendication, cela à l’aide de chants, banderoles, bannières, slogans, et l’utilisation de moyens de sonorisation« .

Les manifestations sur la voie publique – l’habitude a été prise de les appeler « manifestations à caractère revendicatif sur la voie publique »[68] − font donc l’objet d’un régime en apparence libéral mais qui regorgent en réalité de ressources pour les autorités publiques. Le libéralisme du régime ressort de ce que les manifestations sur la voie publique ne sont pas soumises à un régime d’autorisation préalable, mais à un régime de déclaration[69] auquel échappe par ailleurs « les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux ». Or tout est prévu par ailleurs afin que les pouvoirs publics en général et les forces publiques de sécurité en particulier aient la maîtrise constante des manifestations sur la voie publique, qu’il s’agisse du prosélytisme ou des revendications dont sont porteuses les manifestations ou qu’il s’agisse de leur économie comportementale. Les ressources légales disponibles pour les pouvoirs publics se rapportent ainsi pour certaines à la période antérieure à la manifestation et pour d’autres à la manifestation elle-même[70].

Maîtrise en amont des manifestations. La déclaration auprès des autorités d’une manifestation envisagée obéit en effet à un formalisme particulier[71] qui veut qu’elle doive préciser aux autorités « les noms, prénoms et domiciles des organisateurs », qu’elle doive « être signée par trois d’entre eux faisant élection de domicile dans le département », qu’elle indique « le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté ». La dimension policière de ce formalisme ressort de ce que sa méconnaissance est assortie d’une sanction pénale (article L. 211-12 du code de la sécurité intérieure), soit une peine de six mois d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende[72] pour le fait d’avoir organisé une manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable ou le fait d’’avoir établi une déclaration « incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation projetée ».

L’autorité administrative investie du pouvoir de police (le préfet, le préfet de police de Paris ou celui des Bouches-du-Rhône, le maire) peut décider d’interdire une manifestation dans les conditions définies par l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure. Une interdiction n’est ainsi susceptible d’être décidée que si « la manifestation projetée est de nature à troubler à l’ordre public », un risque évalué par les autorités compétentes en fonction du moment où la manifestation intervient, du lieu et des circonstances qui l’entourent. Toutes choses placées sous le contrôle du juge administratif, si ce n’est que les cas d’annulation ou de suspension par le juge de l’exécution d’une telle interdiction par suite d’un référé-liberté sont extrêmement rares. Il est vrai que les interdictions de manifestation sont elles-mêmes plutôt rares, de l’ordre de trois à cinq par an pour un total annuel de 3.650 manifestations revendicatives à Paris[73].

Pour autant, et malgré tout, différentes interdictions de manifestations sont fondamentalement liées aux opinions et revendications qui y seront promues, cette « maîtrise idéologique » de l’espace public étant alors abritée derrière l’argument tiré du risque que des contre-manifestants ne veuillent « en découdre »[74] : de fait, autant les préfets, dans leurs décisions, essaient de coller aux formes légales, autant les déclarations des responsables politiques (ministre de l’Intérieur, Premier ministre, président de la République) annonçant ces interdictions font constamment et presqu’exclusivement référence aux thèmes « fascistes », « intégristes », « islamistes » (etc.) susceptibles d’être promus à la faveur des manifestations envisagées. Et, la question d’une applicabilité aux manifestations sur la voie publique de la solution adoptée par le Conseil d’État en janvier 2014 à propos des spectacles[75] se pose, une solution qui voudrait nouvellement qu’une manifestation sur la voie publique elle aussi constitue « en elle-même » un trouble à l’ordre public dès lors que par sa teneur (probable ou certaine), elle porte atteinte à la « dignité de la personne humaine »[76].

Aux termes de l’article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure, il est une mesure préventive autre que l’interdiction qui peut être ordonnée par le préfet « si les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public » : l’interdiction, pendant les vingt-quatre heures qui précèdent une manifestation sur la voie publique et jusqu’à sa dispersion, du port et du transport, sans motif légitime, d’objets pouvant constituer une arme au sens (extensif) de l’article 132-75 du code pénal. La modération légale de ce pouvoir d’interdiction veut que « l’aire géographique où s’applique cette interdiction se limite aux lieux de la manifestation, aux lieux avoisinants et à leurs accès, son étendue devant demeurer proportionnée aux nécessités que font apparaître les circonstances ».

Ce dispositif préventif est dit « anti-casseurs » parce qu’il est dirigé contre des personnes qui, dans le contexte de manifestations sur la voie publique « pratiqu(e) nt des actes de vandalisme, notamment contre des vitrines de magasins ou du mobilier urbain ; ces actes ont souvent lieu pendant ou à la fin d’une manifestation. Les personnes en cause peuvent ne pas être liées à la manifestation, et ne pas revendiquer d’appartenance politique. Elles sont considérées par certains manifestants comme un facteur de « décrédibilisation » de leur cause. Par extension le terme « casseur » peut désigner aussi les personnes responsables d’affrontements violents avec les forces de l’ordre, en particulier les CRS, des personnes menant des actions de vandalisme par des larcins plus ou moins graves (vols à l’arrachée parmi les manifestants, vols dans les magasins vandalisés etc.) »[77].

Lorsque ces pouvoirs de police ont été créés par la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité en 1995, c’est à l’intérieur d’un ensemble normatif plus large dont d’autres éléments ont été jugés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel[78] : il s’agissait de l’extension de cette interdiction d’être porteur d’une arme à tous les objets pouvant être utilisés comme projectile, laquelle, « par sa formulation générale et imprécise » était de nature à « entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle » ; il s’agissait également des opérations de fouille de véhicules afin d’y découvrir et de saisir des armes, lesquelles, en tant qu’elles comportent le constat d’infractions et entraînent la poursuite de leurs auteurs, relèvent de la police judiciaire et ne pouvaient donc être autorisées que « par l’autorité judiciaire, gardienne de cette liberté en vertu de l’article 66 de la Constitution ».

Répression des « mauvais manifestants ». Les auteurs de violences et les auteurs de destruction, de dégradation ou de détérioration d’un bien appartenant à autrui (articles 222-7 à 222-13, 322-1, premier alinéa, 322-2 et 322-3 du code pénal) sont les deux types de « mauvais manifestants » identifiés par le droit français lorsqu’il prévoit (article L. 211-13 du code de la sécurité intérieure), que les personnes s’étant rendues coupables, lors du déroulement de manifestations sur la voie publique, des infractions ainsi désignées encourent également la peine complémentaire d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, dans des lieux fixés par la décision de condamnation, pour une durée ne pouvant excéder trois ans[79].

Entre le dispositif préventif « anti-casseurs » de l’article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure et le dispositif répressif du code pénal, une question nouvelle s’est présentée aux pouvoirs publics et qui a justifié une décision publique : l’apparition dans les années 2000 de manifestants au visage dissimulé, notamment par une cagoule. Or certains de ces manifestants étaient soupçonnés d’être auteurs des violences et dégradations commises dans les manifestations, lorsque des poursuites pénales contre eux étaient hypothéquées par la difficulté pour les forces publiques de sécurité de les identifier de manière indiscutable. La réponse des pouvoirs publics a ainsi consisté dans le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à l’incrimination de la dissimulation illicite du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique, qui a inséré dans le code pénal un article R. 645-14 punissant de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public ». Cette infraction n’est cependant pas applicable aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage « est justifiée par un motif légitime ». La création de cette infraction a été tout sauf consensuelle. Au point d’ailleurs que le Conseil d’État, tout en convenant de ce que « des mesures comparables, incriminant la recherche de l’anonymat dans l’exercice de la liberté de manifester, sont (…) en vigueur dans d’autres États européens », n’a conclu à sa validité qu’au prix d’une « interprétation neutralisante » de l’infraction : celle-ci n’est pas applicable « à l’encontre de manifestants masqués dès lors qu’ils ne procèdent pas à la dissimulation de leur visage pour éviter leur identification par les forces de l’ordre dans un contexte où leur comportement constituerait une menace pour l’ordre public que leur identification viserait à prévenir »[80]. Pour se vouloir rassurante, cette précision a néanmoins fait dire qu’« entre le manifestant qui porte une cagoule pour ne pas être reconnu des forces de l’ordre et celui qui veut simplement éviter d’être repéré à la télévision par sa famille, son employeur ou ses [professeurs] il devrait y avoir de belles plaidoiries en perspective »[81].

*

De cette traversée du droit français, l’on sort plus perplexe encore sur la possibilité d’une modélisation par le droit et/ou par la doctrine juridique de l’« extrémisme ». Qu’est-ce qui fait qu’une réunion, un rassemblement ou un groupement peut être qualifié(e) d’extrémiste ? S’il ne s’agit que de juger de l’idéologie, de la doctrine, des croyances, des opinions, des valeurs, ou des intérêts particuliers en cause (dimension idéologique ou dogmatique), l’on devrait concevoir que l’« extrémisme » désigne quelque chose qui est au-delà de ces opinions, idées, idéologies, croyances qui, pour « choquer », « heurter », ou « inquiéter », sont néanmoins protégées au titre de la liberté d’expression, voire de la « liberté de réunion pacifique » ou de la liberté d’association. Cet énoncé ne fait cependant pas vraiment avancer : en premier lieu, la référence aux opinions qui « choquent, qui heurtent, qui dérangent », non seulement n’a pas la même portée entre les États-Unis (où elle est née) et l’Europe, mais pas même entre deux États d’une même sphère culturelle, voire à l’intérieur d’un même État (comme précisément aux États-Unis où une manifestation de suprémacistes blancs, par exemple, choquera dans tel État et non dans tel autre) ; d’autre part, cet énoncé ne permet pas de trancher la question de savoir si le concept d’« extrémisme » est applicable aussi bien à des idéologies (celles-ci revendiquant une cohérence dogmatique) qu’à de simples idées[82], voire à des activités ayant une assise idéologique particulière mais qui sont réprouvées par les sensibilités et les codes de civilité en vigueur dans une communauté sociale[83] ; enfin, cet énoncé ne répond pas à la difficile question de savoir si l’on doit subsumer ou non sous la qualification d’« extrémisme(s) » des discours et des activités sociales plus que « choquants » mais à assise religieuse, sachant que des croyances et des discours religieux peuvent avoir une prétention politique (la « théologie de libération » par exemple) et, qu’en toute hypothèse, ils peuvent conduire à des actes (l’autoflagellation publique ou tous autres actes doloristes comme les crucifixions publiques pratiquées à Pâques dans certains pays) éloignés de ce que Norbert Elias a appelé le « processus de civilisation ».

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[1] Comme le propos porte principalement sur le droit français, l’on utilisera donc plutôt ces catégories françaises, sauf lorsque l’invocation de la Cour européenne des droits de l’homme justifie de « coller » spécialement aux catégories des articles 10 et 11 de la Convention.

[2] Voir notamment : Wen Stephenson, « Civil Disobedience and Our Radical Moment. Henry Thoreau’s Radical Moment–and Ours », thoreausociety.org, 1er novembre 2013.

[3] La Cour distingue anciennement des « discours protégés » (protected speech (es)) et des « discours non protégés » (Russell L. Weaver, Donald E. Lively, Understanding The First Amendment, LexisNexis, 2009 ; élisabeth Zoller (dir.), La liberté d’expression aux États-Unis et en Europe, Dalloz, 2008). Toutefois, et contrairement à une opinion répandue en Europe, le contentieux du Premier Amendement est loin de se réduire à cette distinction : Pascal Mbongo & Russell L. Weaver (dir.), Le droit américain dans la pensée juridique française contemporaine, Fondation Varenne-LGDJ, 2013 (sp. p. 37 et suiv., p. 71-75, p. 265-288).

[4] Une jurisprudence lointaine et constante de la Cour suprême fait de la liberté d’association une liberté protégée par le Premier Amendement.

[5] Cette doctrine de la Cour a été stabilisée dans De Jonge v. State of Oregon. La Cour suprême était saisie d’une loi de l’Oregon dirigée contre le syndicalisme révolutionnaire et réprimant « le fait de commettre des actes ou d’éprouver des méthodes analysables comme des moyens d’obtention d’un changement politique ou économique ou comme des moyens de commission d’une révolution ». Or De Jonge fut poursuivi et condamné sur le fondement de cette loi, pour avoir enseigné le communisme à un auditoire de trois cents personnes. Cette condamnation fut annulée par la Cour suprême.

[6] Le titre sous lequel la présente communication a été annoncée par les organisateurs du colloque était : « Les rassemblements extrémistes face à la liberté de réunion et d’association ». La publication nous donne l’occasion de l’amender afin de dissoudre l’incommunicabilité entre la notion de « rassemblement » (laquelle renvoie universellement à une assemblée de personnes sur la voie publique, d’où les notions de « liberté de manifestation » ou de « liberté de réunion pacifique », de Freedom of assembly) et celle de « liberté d’association », qui désigne universellement la faculté de former un groupement, qu’il s’agisse d’un groupement de fait ou d’un groupement ayant la personnalité juridique.

[7] Sur cet autre concept, voir infra, notes 23 et 24.

[8] Ce sont plutôt souvent les travaux sur la violence et la guerre dans les sociétés humaines qui donnent à voir cette double dimension. Voir notamment : Norbert Elias, La civilisation des mœurs, Pocket, 2003 ; René Girard, La violence et le sacré, Grasset, 1972 ; Pierre Clastres, « Archéologie de la violence. La guerre dans les sociétés primitives », Libre, n° 1, 1977. On lira cependant la contribution d’Uwe Backes au présent volume, sa notice « Extrémisme » dans Mbongo Pascal, Hervouët François et Santulli Carlo, (dir.), le Dictionnaire encyclopédique de l’état (Berger-Levrault, 2014) et son ouvrage Les extrêmes politiques, éd. du Cerf, 2011.

[9] Frédéric Gros, Le Principe Sécurité, Gallimard, coll. Essais, 2012, p. 142-143. Sur la « police politique » en France, voir Marcel Le Clère, La police, PUF, coll. « Que sais-je ? », p. 28-29. L’expression « police politique » est prise ici dans son sens savant, étant admis par ailleurs que les gouvernants ne la revendiquent guère, au motif qu’elle ne rend pas compte de la soumission de la police au droit dans un État de droit (voir dans ce sens la réponse du ministre de l’Intérieur à la question écrite n° 33586 de M. Jacques Bompard [Députés non-inscrits − Vaucluse] − JO, 11 février 2014, p. 1346).

[10] Les références au droit américain de la présente étude doivent aux ressources du programme de recherche Baltimore en droit américain dont nous avons la charge.

[11] Cette surveillance a notamment servi à faire obstacle au recrutement d’agents publics fédéraux dont l’État pouvait suspecter qu’ils ne supporteraient ni ne défendraient la Constitution, comme le veut le serment fédéral. Sur cette question, voir notre étude « La séparation entre Administration et Politique en droit américain », in Mbongo Pascal (dir.) La séparation entre Administration et Politique en droits français et étrangers, Berger-Levrault, 2014, p. 45-76.

[12] http://vault.fbi.gov/

[13] L’opération « COINTELPRO » est l’exemple paradigmatique de cette surveillance et de ses « dérives » liberticides. Dans une importante bibliographie sur le sujet, l’on a lu uniquement pour la présente étude : Nelson Blackstock, Cointelpro: The FBI’s Secret War on Political Freedom, Pathfinder Press, 1988 ; Seth Rosenfeld, Subversives: The FBI’s War on Student Radicals, and Reagan’s Rise to Power, Picador, 2013 ; Michael Fleming, Stalked by the FBI: COINTELPRO Targeted Individuals, Amazon Digital Services, Inc., 2014.

[14] Des volumes entiers portent sur l’affaire du Watergate.

[15] Les candidats pressentis à la Cour suprême se prêtent en effet à une enquête administrative du FBI, ainsi d’ailleurs que toutes les personnes qu’un président élu (en novembre) envisage de nommer, à son entrée en fonctions (en janvier), aux plus hauts emplois de son « administration » (au-delà des membres de son « gouvernement »). Sur cette question, voir notre étude « La séparation entre Administration et Politique en droit américain », in Mbongo Pascal (dir.), La séparation entre Administration et Politique en droits français et étrangers, Berger-Levrault, 2014, p. 45-76.

[16]  L’affaire de Roswell par exemple.

[17] McArthur v. Smith, 716 F. Supp. 592, 593 (S.D. Fla. 1989) ; ProtectMarriage.com v. Bowen, 830 F. Supp. 2d 914, 928 (E.D. Cal. 2011) ; Hall-Tyner Election Campaign Comm., 678 F.2d au 420.

[18] Federal Election Commission, Advisory Opinion 1990 & 2003, SWP ; Final Report of the Special Master Judge Breitel : Socialist Workers Party v. Attorney General, 73 Civ. 3160 (TPG) (S.D.N.Y. Feb. 4, 1980) ; Socialist Workers Party v. Attorney General, 642 F. Supp. 1357 (S.D.N.Y. 1986).

[19] Dans un avis (advisory opinion) daté du 25 avril 2013, la Federal Election Commission (FEC) a dit vouloir proroger cette dispense jusqu’au 31 décembre 2016.

[20]  Voir : National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, Understanding Law Enforcement Intelligence Processes. Report to the Office of University Programs, Science and Technology Directorate, U.S. Department of Homeland Security, July 2014 – disponible sur www.droitamericain.fr

[21] Voir Pierre Serna, « Radicalités et modérations, postures, modèles, théories », Annales historiques de la Révolution française, 2009, n° 357, p. 3-19.

[22] Sur l’importance de ce texte dans la « police politique » en France, voir Georges Carrot, Histoire de la police en France, 1992, p. 167 et s. Voir également : Jean-Marc Berlière, Marie Vogel, « Aux origines de la police politique républicaine », Criminocorpus, 1er janvier 2008 (en ligne).

[23] Sur l’histoire juridique des renseignements généraux, nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage : La gauche au pouvoir et les libertés publiques. 1981-1995, L’Harmattan, 1999, p. 263-280.

[24] Cette direction du ministère de l’Intérieur (elle est née en tant que simple service en 1934 avant d’être transformée en direction du ministère de l’intérieur en 1944) était vouée pour sa part au « contre-espionnage intérieur », à la protection du patrimoine industriel, scientifique et technologique, au « contre-terrorisme intérieur ».

[25] D’importantes conséquences administratives et « opérationnelles » sont attachées au fait d’être une « direction générale » du ministère de l’intérieur et non plus seulement une « direction centrale » de la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN) qui était traditionnellement la seule (mais colossale) dépendance policière du ministère de l’intérieur (avant la création d’une Direction générale de la gendarmerie nationale par suite du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur). D’autre part, l’on voudra garder à l’esprit que l’organisation de la police nationale veut que Paris dispose d’un traitement spécial : le préfet de police de Paris est directement placé sous l’autorité du ministre de l’intérieur et non de celle du Directeur général de la police nationale, lors même que les policiers de la préfecture de police appartiennent depuis 1966 à la « police nationale ». Or la préfecture de police de Paris dispose d’une Direction du renseignement, héritière des Renseignements généraux de la préfecture de police (l’équivalent à la préfecture de police des Renseignements généraux du ministère de l’intérieur) et qui s’intéresse dans Paris et la banlieue parisienne aux violences urbaines, aux groupes extrémistes, à la lutte contre le terrorisme. Sur cette architecture quelque peu baroque et sur l’injonction faite par les textes d’une « coordination » et d’une « bonne intelligence », voir nos développements [Titre relatif à la Police nationale] dans Mbongo Pascal (dir.), Droit de la police et de la sécurité, Lextenso, 2014.

[26] Les personnels de la direction générale de la sécurité intérieure sont au nombre des personnels de la police et de la gendarmerie qui disposent légalement, au titre de la police administrative ou de la police judiciaire, de ressources telles que les « enquêtes administratives », les « écoutes téléphoniques », les infiltrations dites humaines, les infiltrations dites techniques. Sur les enquêtes administratives, nous nous permettons de renvoyer à notre étude : « Une pièce-maîtresse de la police administrative. Les enquêtes administratives de la police et de la gendarmerie », in Mbongo Pascal et Latour Xavier (dir.), Sécurité, Libertés et Légistique. Autour du Code de la sécurité intérieure, L’Harmattan, 2012, p. 83-98.

[27] Le champ social couvert par ce concept très contemporain de « radicalité » se donne néanmoins à voir à la lecture d’un certain nombre d’ouvrages consacrés aux « radicalités » : Xavier Crettiez et Isabelle Sommier (dir.), La France rebelle. Tous les foyers, mouvements et acteurs de la contestation, Michalon, 2002 ; Philippe Raynaud, L’extrême gauche plurielle. Entre démocratie radicale et révolution, Autrement, 2006 ; Annie Collovald et Brigitte Gaïti (dir.), La démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, La dispute, 2006 ; Xavier Crettiez et Laurent Mucchielli (dir.), Violences politiques en Europe, La découverte, 2010.

[28] Razmig Keucheyan, « Qu’est-ce qu’une pensée radicale ? Aspects du radicalisme épistémique », Revue du MAUSS permanente, 19 mars 2010 [en ligne].

[29] L’on a eu beau chercher, ce à quoi le gouvernement pouvait avoir pensé en 2008 à travers cette occurrence aux « phénomènes de société » reste obscur puisque l’apparition des « apéros facebook », encore appelés « apéritifs géants » ou « apéros géants », est réputée postérieure au décret de 2008. Peut-être s’agissait-il du mouvement Anonymous ; or la qualification usuelle et plus signifiante d’« activistes » de ses membres rendait ce mouvement justiciable de la référence aux « individus » et aux « groupes » contenue dans le décret relatif à la DCRI. Il reste que ce mouvement s’est prêté à une enquête judiciaire après que la direction centrale du renseignement intérieur a été informée de ce qu’une attaque informatique baptisée Operation Greenrights avait été lancée par certains de ses membres contre certaines compagnies internationales d’énergie électrique au nombre desquelles figurait Électricité de France (EDF). Sur les problèmes posés à la police par le « label Anonymous », voir de Laurent Borredon, « Derrière le label Anonymous, des « pirates » peu chevronnés », Le Monde, 15 mars 2013 (en ligne).

[30] C’est en tout cas ce que suggère la conjonction additive « et » :… recourir à la violence et de porter atteinte à la sécurité nationale.

[31] Cet article dispose notamment que : « La stratégie de sécurité nationale a pour objet d’identifier l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République, et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter. L’ensemble des politiques publiques concourt à la sécurité nationale. (…) ».

[32] Sur les déplacements de sens de ce concept de « sécurité nationale », voir de Xavier Latour, « Défense nationale », in Mbongo Pascal, Hervouët François, Santulli Carlo (dir.), Dictionnaire encyclopédique de l’État, Berger-Levrault, 2014.

[33] L’article 222-14-2 du code pénal, qui est relatif à la participation à un groupement en vue de commettre des violences, n’est pas spécialement analysé en raison de sa portée générale, qui le rend applicable à des activités délictuelles non-portées par une idéologie spécifique.

[34] « La liberté de réunion et le droit d’exprimer ses vues à travers cette liberté font partie des valeurs fondamentales d’une société démocratique. L’essence de la démocratie tient à sa capacité à résoudre des problèmes par un débat ouvert. Des mesures radicales de nature préventive visant à supprimer la liberté de réunion et d’expression en dehors des cas d’incitation à la violence ou de rejet des principes démocratiques – aussi choquants et inacceptables que peuvent sembler certains points de vue ou termes utilisés aux yeux des autorités, et aussi illégitimes les exigences en question puissent-elles être – desservent la démocratie, voire, souvent, la mettent en péril. Dans une société démocratique fondée sur la prééminence du droit, les idées politiques qui contestent l’ordre établi et dont la réalisation est défendue par des moyens pacifiques doivent se voir offrir une possibilité convenable de s’exprimer à travers l’exercice de la liberté de réunion ainsi que par d’autres moyens légaux. (…) » (CEDH, 2 oct. 2001, Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c/ Bulgarie [n° 29221/95 et n° 29225/95]).

[35] Conclusions du commissaire du gouvernement Michel pour l’arrêt Benjamin du Conseil d’État, 19 mai 1933, Benjamin, Rec. p. 541.

[36] Sous l’Ancien régime, les réunions étaient soumises à autorisation préalable. Elles furent libéralisées successivement par l’article 62 de la loi du 14 décembre 1789 et par la Constitution de 1791 avant d’être de nouveau bridées sous le Directoire par les articles 361 et 363 de la Constitution de l’an III ainsi que par l’article 291 du code pénal.

[37] Au risque d’une qualification d’attroupement (voir infra).

[38] Sur cette « gravité », voir notamment CE, 19 juin 1953, Houphouët-Boigny ; et sur la nécessité de son établissement par les pouvoirs publics, CE, 23 janvier 1953, Naud).

[39] CE, 29 décembre 1997, Maugendre, n° 164299.

[40] Voir dans ce sens CE, 29 décembre 1995, Association « Front national pour l’unité française » (n° 129759) : le Conseil d’État y annule un arrêté du maire d’Aix-en-Provence en date du 22 mai 1990 interdisant une réunion publique du Front national au palais des congrès d’Aix-en-Provence. Les mesures équivalentes à une interdiction se prêtent également à un examen du juge : le Conseil d’état juge ainsi constamment que lorsqu’une commune a décidé que des locaux dépendant d’elle sont susceptibles d’accueillir des réunions organisées par des partis politiques, un refus d’utiliser ces locaux ne peut être opposé à un parti politique que pour des motifs tirés des exigences de l’ordre public ou des nécessités de l’administration des propriétés communales. Or un tel motif manque lorsque le maire d’Annecy, président de la communauté d’agglomération, décide de s’opposer à ce que la société gérant le centre de congrès dépendant de la Communauté d’agglomération donne suite à la réservation souscrite auprès d’elle en vue de la tenue à Annecy de l’université d’été du Front National (CE, ord., 19 août 2002, Front national et Institut de formation des élus locaux, n° 249666.

[41] Voir infra, II. A. 2.

[42] CE ord., 9 janvier 2014, Ministre de l’Intérieur / Soc. Les Productions de la Plume et Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508 ; CE ord., 10 janvier 2014, Soc. Les Productions de la Plume et Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374528 ; CE ord., 11 janvier 2014, Soc. Les Productions de la Plume et Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374553.

[43] Sur cette question, nous renvoyons à notre note : « Images et respect de la dignité de la personne humaine », in Mbongo Pascal (dir.), La régulation des médias et se standards juridiques, Mare et Martin, 2011, p. 187-191.

[44] Réponse du ministre de l’Intérieur à une question écrite n° 28487 de M. Dominique Dord (Union pour un Mouvement Populaire − Savoie) − JO, 8 octobre 2013, p. 10640.

[45] Le miroir pénal spécial de cette sécurisation est dans les articles L. 332-1 et suivants du code du sport et relatifs aussi bien à la consommation d’alcool ; à la provocation des spectateurs à la haine ou à la violence à l’égard de l’arbitre, d’un juge sportif, d’un joueur ou de toute autre personne ou groupe de personnes, à l’introduction ; au port ou à l’exhibition dans une enceinte sportive, lors du déroulement ou de la retransmission en public d’une manifestation sportive, des insignes, signes ou symboles rappelant une idéologie raciste ou xénophobe ; à l’introduction, à la détention ou à l’usage d’une arme au sens de l’article 132-75 du code pénal ; au jet d’un projectile présentant un danger pour la sécurité des personnes ;

[46] Article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure. Cet article ajoute que « les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d’ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l’ordre sont tenues de rembourser à l’État les dépenses supplémentaires qu’il a supportées dans leur intérêt ». Voir également l’article R. 211-22 du code de la sécurité intérieure s’agissant de l’obligation de déclaration des manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif « dont le public et le personnel qui concourt à la réalisation de la manifestation peuvent atteindre plus de 1500 personnes, soit d’après le nombre de places assises, soit d’après la surface qui leur est réservée ».

[47] Article L. 332-16 du code du sport.

[48] Article L. 332-16-1 du code du sport.

[49] Article L. 332-16-2 du code du sport.

[50] Aux termes de l’article L. 332-18 du code du sport, « peut être dissous ou suspendu d’activité pendant douze mois au plus par décret, après avis de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives, toute association ou groupement de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive mentionnée à l’article L. 122-1, dont des membres ont commis en réunion, en relation ou à l’occasion d’une manifestation sportive, des actes répétés ou un acte d’une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

[51] Réponse du ministre de l’Intérieur à une question écrite n° 28487 de M. Dominique Dord (Union pour un Mouvement Populaire − Savoie) − JO, 8 octobre 2013, p. 10640. Au surplus, les « ultras » et les hooligans promeuvent des codes de civilité assortis à des représentations virilistes qui peuvent heurter les représentations et les sensibilités contemporaines.

[52] Bastien Brignon, « Dissolution d’association de supporters violents et contradiction… du contradictoire ! », Cahiers du droit du sport, 2011, n° 25, p. 150 ; Virginie Castillon, « Prévention et sanction des violences sportives », Droit pénal, déc. 2007, n° 12, pp. 10-16 ; Marie Cresp, « Après la dissolution, la suspension des associations de supporters », AJDA, 2012, p. 655 ; Laurent Falacho, « Les mesures prises pour lutter contre le hooliganisme à l’épreuve des libertés publiques », RDP, 2001, p. 419 ; Guilhem Gil, « Bad boys : dissolution administrative d’une association de supporters », Cahiers de droit du sport, 2008, n ° 14, p. 100 ; Damien Leroy, « Associations de supporters… Quels risques ? », Jurisport, fév. 2012, n° 117, p. 37 ; Colin Miege, « La décision de dissoudre une association de supporters violents est conforme à la CEDH », Cahiers de droit du sport, 2011, n ° 24, p. 46 ; Florence Nicoud, « La sécurité au mépris des libertés : l’encadrement de l’action des supporters », in Vallar Christian et Latour Xavier (dir.), Le droit de la sécurité et de la défense en 2013, PUAM, 2014, p. 273-285 ; Jean-Marie Pontier, « Comportement violent des « supporters » et police administrative », JCP Adm, 2009, n° 17, p. 45 ; Jean-Pierre Vial, « Le spectacle sportif à l’épreuve du risque pénal », Lamy Droit civil, 2012, n° 97, p. 72.

[53] Telle que fixée dans Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie (30 janvier 1998), Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie (13 février 2003), la doctrine de la Cour a été appliquée de manière remarquée dans le cas d’une dissolution d’une association privée en raison de rassemblements et de manifestations anti-roms organisés par son aile paramilitaire (Vona c. Hongrie, 9 juillet 2013).

[54] Voir notre étude : « Actualité et renouveau de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées », Revue du droit public, 1998, n ° 3, p. 715-744.

[55] Au demeurant, même dans les années 1980 et même dans le contexte de certaines déclarations publiques du président du parti (Jean-Marie Le Pen) sur l’immigration ou le génocide des juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale, aucun ministre de l’Intérieur, ni aucun « parti de gouvernement », n’a véritablement formé le vœu d’une dissolution. Tout au plus un rapport parlementaire a-t-il été commis sur « les agissements, l’organisation, le fonctionnement, les objectifs » du service d’ordre du Front national (« Département protection sécurité », DPS) : Rapport de MM. Guy Hermier, Bernard Grasset, document parlementaire n° 1622, 1999.

[56] TGI de Paris, 17e chambre correctionnelle, Mélenchon, 10 avril 2014 : http://www.droit-medias-culture.com/Liberte-d-expression-politique.html

[57] Un cas d’annulation peut néanmoins être rapporté dans la période récente. En effet, dans un arrêt rendu le 30 juillet 2014 (Association “Envie de rêver” et autres, n°s 370306, 372180), le Conseil a validé les dispositions du décret du 12 juillet 2013 portant dissolution des deux groupements de fait « Jeunesses nationalistes révolutionnaires » et « Troisième voie » en tant qu’il s’agissait de milices privées. Toutefois, dans le même arrêt, le Conseil d’État a annulé celles des dispositions du décret qui portaient dissolution de l’association « Envie de rêver », le juge ayant considéré que les pouvoirs publics ne pouvaient retenir contre cette association le seul fait que des membres ou des dirigeants des deux groupements de fait précités se réunissaient dans le local de l’association « Envie de rêver » et participaient à ses activités. Au surplus, le Conseil d’État a considéré que cette association ne remplissait pas davantage d’autres conditions justificatives de la dissolution posées par la loi.

[58] À la vérité, ils peuvent en nourrir également la tentation dans des circonstances discutables. Voir par exemple notre opinion juridique à la demande du Nouvel Observateur lorsque le ministre de l’Intérieur, à la faveur des manifestations contre l’extension du mariage aux couples homosexuels, a suggéré qu’une interdiction du « Printemps français » (nom que ses organisateurs avaient donné aux manifestations contre la réforme) était « à l’étude » : « Interdire le Printemps français ? Rien n’est envisageable avant la manif du 26 mai », Nouvel Observateur (Le Plus), 24 mai 2013 (en ligne).

[59] Contrairement à une opinion courante, et malgré la référence à « la défense nationale » contenue à l’article 413-9 du code pénal, le « secret de la défense nationale » désigne en réalité tous les « secrets de l’État » (exception faite donc du secret de l’instruction). Et c’est l’État qui décide souverainement des « procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale » qui doivent se prêter à l’une des trois classifications (« Très Secret-Défense » –  « Secret-Défense » –  « Confidentiel-Défense ») prévues par l’article R. 2311-12 du code de la défense.

[60] Voir par exemple : CE, ord., 25 juillet 2013, Association « Jeunesses nationalistes » et M. C. (n° 372319) ; CE, ord., 25 juillet 2013, Association « L’Œuvre française » et M. B. (n° 372321) : à propos de deux groupements auxquels les pouvoirs publics reprochaient de « propager une idéologie incitant à la haine, à la discrimination et à la violence envers des personnes en raison de leur nationalité étrangère, de leur origine ou de leur confession », de participer à « des hommages rendus à des responsables du régime de Vichy et à des miliciens condamnés pour collaboration ou intelligence avec l’ennemi et l’exaltation de la collaboration avec l’ennemi », et s’agissant de « L’œuvre française », d’avoir le caractère d’un groupe de combat ou d’une milice privée.

[61] Voir par exemple les ordonnances citées à la note précédente.

[62] Il existe une très grande diversité des occurrences de la police administrative dans la rue – aussi bien les occurrences traditionnelles (stationnement, mendicité, quêtes, vagabondage, etc.) que les occurrences plus contemporaines (publicité extérieure, arts de la rue, vidéosurveillance, biométrie, etc.), aussi bien les occurrences éprouvées dans les traités de police que celles qui le sont moins.

[63] L’article 431-3 du code pénal prévoit les conditions de la dispersion d’un attroupement par les forces publiques de sécurité.

[64] Articles 431-7 et 431-8 du code pénal.

[65] Stéphanie Gruet, « La police du prosélytisme et de l’agitation dans la rue », in Mbongo Pascal et Latour Xavier (dir.), Sécurité, libertés et légistique. Autour du Code de la sécurité intérieure, L’Harmattan, 2012, p. 139-140 ; voir également : Danielle Tartakowsky, Le pouvoir est dans la rue. Crises politiques et manifestations en France, Aubier, 1998 ; Danielle Tartakowsky, « Quand la rue fait l’histoire », Pouvoirs, n° 116, 2006 ; Danielle Tartakowsky, Les manifestations de rue en France, 1918-1968, Publications de la Sorbonne, 1997 ; Nicolas Mariot, « Le frisson fait-il la manifestation ? », Pouvoirs, n° 116, 2006, p. 97 et s. ; Samuel Hayat, « La République, la rue et l’urne », Pouvoirs, n° 116, 2006, p. 31 et s.

[66] André Decocq, Jean Montreuil, Jacques Buisson, Le droit de la police, Paris, Litec, 2e édition, 1998.

[68] L’habitude a été prise de parler de manifestations à caractère revendicatif sur la voie publique par opposition aux manifestations à caractère festif, sportif, commercial, caritatif ou culturel. En réalité, et en termes juridiques, seules les manifestations à caractère revendicatif sont des manifestations, celles-ci s’opposant plutôt aux événements à caractère festif, sportif, commercial, caritatif ou culturel. Or autant les premières sont soumises à un régime de déclaration, autant les secondes sont soumises à une autorisation administrative dont la demande est formée à Paris au moins un mois avant la date de la manifestation (à moins qu’un événement imprévu, d’envergure nationale ou internationale – à l’exclusion de toute animation à caractère saisonnier – justifie une demande en urgence) ou au moins trois mois avant si l’événement projeté rassemble une foule importante ou entraîne l’implantation d’installations complexes (grands concerts, marathons, etc.). Les organisateurs d’événements à caractère festif, sportif, commercial, caritatif ou culturel sur la voie publique ou tout espace ouvert au public sont par ailleurs soumis à des obligations particulières, notamment en matière de police d’assurance.

[69] Article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure. La déclaration est faite à la mairie de la commune ou aux mairies des différentes communes sur le territoire desquelles la manifestation doit avoir lieu, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation. À Paris, la déclaration est faite à la préfecture de police. Elle est faite au représentant de l’État dans le département en ce qui concerne les communes où est instituée la police d’État (article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure).

[70] Il va sans dire qu’accessoirement au cadre légal, les forces publiques de sécurité ont des dispositifs opérationnels de gestion du maintien de l’ordre dans le cadre de manifestations sur la voie publique, des dispositifs pour lesquels la France se voit même prêter un savoir-faire (voir dans ce sens de David Dufresne, Maintien de l’ordre. Enquête, Hachette Littérature, 2007 ; voir cependant aussi la mise en perspective internationale proposée par Donna Della Porta, Olivier Fillieule (dir.), Police et manifestants. Maintien de l’ordre et gestion des conflits, Presses de Sciences Po, 2006). Toutefois, et de l’aveu même de l’État, l’année 2013 restera dans les annales policières avec « 3 des 4 plus importantes manifestations de personnes depuis 30 ans (…) ; un nombre de manifestants à encadrer qui a atteint, en 5 mois, celui de la totalité de l’année 2012 ; la gestion depuis l’automne de 65 rassemblements contre le projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, dont les deux tiers n’ont pas fait l’objet de déclaration préalable ; enfin, la multiplication par 6 du nombre de blessés parmi les forces de l’ordre depuis le début de l’année 2013 (…) » (Réponse du ministre de l’Intérieur à la question écrite n° 26908 de M. Claude Goasguen [Union pour un Mouvement Populaire − Paris] − JO, 15 octobre 2013, p. 10876).

[71] Article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure.

[72] Article 431-9 du code pénal.

[73] Xavier Castaing, porte-parole de la préfecture de police (Paris), entretien avec Alexandra Guillet, « Film anti-islam : pourquoi les manifs de samedi ont été interdites à Paris ? », TF1/LCI en ligne, 21 septembre 2012.

[74] Voir par exemple les interdictions en 2012 à Lyon et à Paris des manifestations « contre les zones de non-droit et le racisme anti-blanc » envisagées par les Jeunesses nationalistes (l’affiche de la manifestation disait notamment : « Après la révolte des souchiens à Lyon. Les Français en marche vers la capitale »).

[75] Voir supra, II. A. 2.

[76] Cette question aurait pu se poser en juillet 2014 après que le préfet de police de Paris a pris, le 25 juillet, un arrêté interdisant une « manifestation de soutien à la Palestine » prévue à Paris le samedi 26 juillet 2014, une interdiction dont le juge des référés du tribunal administratif de Paris et celui du Conseil d’état n’ont pas ordonné la suspension demandée en urgence par les organisateurs. Cette interdiction n’avait été justifiée par la préfecture de police que par le fait que de précédentes manifestations avec les mêmes organisateurs avaient été ponctuées de « heurts violents avec les forces de l’ordre », d’atteintes aux biens et à des lieux de culte et que des « garanties suffisantes pour assurer la sécurité de la manifestation prévue le 26 juillet » n’avaient pas été apportées par les organisateurs. Le préfet de police n’est donc pas allé jusqu’à invoquer le fait que des slogans antisémites (donc des discours « attentatoires à la dignité de la personne humaine ») avaient été proférées au cours des précédentes manifestations.

[77] Stéphanie Gruet, op. cit., p. 146-147.

[78] CC, n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité, JO, 21 janvier 1995, p. 1154.

[79] Le même article précise, d’une part que si cette interdiction accompagne une peine privative de liberté sans sursis, elle s’applique à compter du jour où la privation de liberté a pris fin et, d’autre part, que le fait pour une personne de participer à une manifestation en méconnaissance de cette interdiction est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

[80] CE, 23 février 2011, SNES, FSU et SAF.

[81] « La cagoule dans les manifs : le retour ? », Dalloz, Forum pénal, 25 février 2011 (en ligne).

[82] On renverra ici aux différents travaux par lesquels nous avons suggéré que l’antiracisme français ne s’oblige pas toujours à distinguer les idéologies racistes de « simples » idées racistes et de stéréotypes racistes. Voir notamment notre note : « Un antiracisme scripturaire : la suppression du mot « race » de la législation », Recueil Dalloz, 2013, n ° 19, Point de vue, p. 1288. Et on a montré pourquoi les juges qui sont saisis des discours racistes ne sont pas avisés de ne pas distinguer les discours « idéologiques » de ceux qui, étant simplement (si l’on ose dire) stéréotypiques, sont souvent le fait de sujets susceptibles de modifier leurs représentations (voir la conclusion de notre La liberté d’expression en France. Nouvelles questions et nouveaux débats, Mare et Martin, 2012.

[83] La question s’est posée par exemple aux Etats-Unis à propos des thérapies de « conversion hétérosexuelle ». Et, lorsque certains ont analysé leur réglementation comme étant une immixtion dans les discours (en l’occurrence les discours rétifs ou hostiles à l’homosexualité) et donc une violation du Premier Amendement, d’autres ont fait valoir qu’il s’agissait plutôt d’une réglementation d’un comportement professionnel (c’est cette deuxième analyse qu’en l’état certains juges fédéraux ont fait prévaloir).