Pluralisme, hypermodernité et prééminence du droit

De l’importante littérature qu’il a inspiré, l’on peut extraire cette simple idée que le pluralisme est une conception philosophico-politique qui, dans sa dimension descriptive, veut qu’il y ait dans la société une pluralité d’opinions, de croyances, d’identités, de morales et d’intérêts, et qui, dans sa dimension prescriptive, veut que la garantie et la promotion de cette pluralité comptent parmi les exigences nécessaires de toute association politique fondée sur la liberté des individus et l’égalité des citoyens. Il est néanmoins entendu que chacune de ces dimensions du pluralisme se prête à un questionnement et que ce standard juridique est particulièrement sous tension[1].

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  1. Mystique du pluralisme

La dimension descriptive du concept de « pluralisme » suppose, en effet, une société d’individus,[2] avec la question subséquente de savoir si l’individualisme est une caractéristique exclusive des sociétés occidentales. Or, cette question est tout sauf simple pour deux raisons initiales. En premier lieu, il n’y a pas de consensus initial sur le fait de savoir si, comme le veut une certaine tradition intellectuelle, l’individualisme est un ensemble de manières d’être caractéristique de la modernité ou s’il faut plutôt le considérer, avec Louis Dumont, comme une idéologie[3] – une idéologie dont Louis Dumont considérait qu’elle recouvrait y compris des principes tels que la souveraineté du politique ou la privatisation de la croyance religieuse et que l’artificialisme en expliquait certaines conséquences politiques et sociales (violences collectives et totalitarismes compris).[4] D’autre part, même envisagé seulement comme un ensemble de manières d’être du sujet, l’individualisme se comprend historiquement et sociologiquement sous trois registres distingués par Michel Foucault, celui de l’« attitude individualiste », celui de la « valorisation de la vie privée », celui de l’« intensité des rapports à soi ». [5]

Appréhendé dans sa dimension prescriptive – c’est celle au fond que le droit formalise sous des catégories légales telles que le droit à des élections libres, le droit à la vie privée, la liberté de pensée, la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’expression, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté de manifestation – le pluralisme suppose à la fois un individu « tolérant » et un État neutre. Pour autant, aucune de ces propositions ne va de soi. La tolérance d’abord, au-delà du voile romantique et des propriétés magiques dont ce concept est revêtu dans le langage des médias : s’agit-il d’une aptitude de l’individu ou d’un construit juridico-politique ? S’il s’agit d’une aptitude de l’individu, est-elle à la portée de chacun et est-elle compatible avec cette « transcendance de soi »[6] caractéristique de l’hypermodernité ? La tolérance s’entend-elle seulement comme principe de non-immixtion dans les actions et les opinions d’autrui ou faut-il la concevoir positivement et dynamiquement comme une balise de ce que Paul Ricœur appelle des « parcours de la reconnaissance »[7] (la reconnaissance comme identification d’un objet ou d’une personne, la reconnaissance de soi, la reconnaissance mutuelle) ?

La neutralité de l’État que requiert le pluralisme s’entend communément de l’abstention de l’État de s’approprier une conception particulière du bien. Or, cet idéal d’abstention est, au moins en théorie, contradictoire avec l’essence juridique de l’État qu’est sa puissance souveraine et il est mis à l’épreuve lorsque certaines oppositions de valeurs sont rationnellement irréductibles (« pour » ou « contre » la peine de mort, « pour » ou « contre » l’avortement, etc.), soit les cas dans lesquels, quel que choix que fasse l’État, il accorde sa préférence aux partisans de l’une des morales ou des intérêts en concurrence. Que faire face à ce genre de situations où le consensus est impossible ? Sur la base de quels principes, de quelles valeurs et de quels protocoles définit-on, sur de grands enjeux de valeurs, les limites de la liberté dans une société pluraliste ? Ce sont au moins deux réponses procédurales qui sont disponibles sur le marché des idées. La première réponse suggère en substance que bien que l’on ne puisse pas mettre tout le monde d’accord sur ce type de questions, il convient néanmoins de les soumettre longuement à la délibération publique avant que les pouvoirs publics (législateur et/ou juges) ne tranchent. L’enjeu de cette délibération publique n’est pas de faire advenir la « bonne solution » – puisqu’elle est rationnellement impossible – mais de faire en sorte que les uns et les autres s’approprient les bonnes raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas être d’accord. L’intérêt de cette double compréhension des raisons du désaccord et de l’impossibilité de le surmonter rationnellement est de conjurer le risque que l’un des deux camps ne soit tenté de résoudre ce différend par une guerre civile. L’autre réponse suggère qu’il faut soustraire ce type de questions de la délibération publique pour confier le soin à des élites instruites et expertes – détentrices présumées de la « raison » – de les trancher souverainement. Cette deuxième solution a néanmoins contre elle de sous-estimer le « pouvoir d’évocation » que le sujet démocratique (à travers les médias, les associations, les sondages d’opinion, etc.) revendique y compris sur ces questions – autrement dit le pouvoir des citoyens de s’en saisir même lorsque les élites voudraient les soustraire à son examen.[8]

  1. Le pluralisme comme standard juridique

De ce que la notion de « pluralisme » est une occurrence courante de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la tentation existe – spécialement chez les juristes – d’en inférer que la Cour en aurait sinon une « théorie » particulière, du moins une « doctrine » spécifique. On voudra plutôt constater que ces occurrences ont souvent un caractère axiomatique, péremptoire et standardisé.

Ainsi, la Cour répète qu’« (…) il n’est pas de démocratie sans pluralisme. C’est pourquoi la liberté d’expression consacrée par l’article 10 vaut, sous réserve du paragraphe 2, non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ». La Cour répète encore que la liberté de pensée, de conscience et de religion « figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer ». Plus généralement, elle assure en de nombreux arrêts :

« « Pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture caractérisent une « société démocratique ». Bien qu’il faille parfois subordonner les intérêts d’individus à ceux d’un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité mais commande un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d’une position dominante (…). Le pluralisme et la démocratie doivent également se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, qui impliquent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique (…). Si les « droits et libertés d’autrui » figurent eux-mêmes parmi ceux garantis par la Convention ou ses Protocoles, il faut admettre que la nécessité de les protéger puisse conduire les États à restreindre d’autres droits ou libertés également consacrés par la Convention : c’est précisément cette constante recherche d’un équilibre entre les droits fondamentaux de chacun qui constitue le fondement d’une « société démocratique » ».

Ces invocations du pluralisme ajoutent moins aux énoncés de la Convention auxquels elles se rapportent qu’elles ne les éclairent en réalité. Tout au plus peuvent-elles servir de ressource argumentative à la Cour pour décider de « placer le curseur » ici ou là en matière de restriction des droits et des libertés garantis par la Convention, puisqu’en définitive ce sont ces restrictions qui substantialisent négativement les droits et libertés. Autrement dit, c’est à l’intérieur d’un bréviaire juridique tout ce qu’il y a de classique – et non à partir d’une conception du pluralisme surplombante – que la Cour européenne des droits de l’homme traite « techniquement » des questions intéressant la diversité des opinions, des croyances, des morales, des intérêts. Ce bréviaire est celui qui veut que les droits garantis par les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention ne se prêtent à restriction que pour autant que ces restrictions reposent sur l’un des motifs légitimes prévus par chacun de ces articles et que pour autant que ces restrictions sont proportionnées au but poursuivi et « nécessaires dans une société démocratique ». Or, ce bréviaire, dont il faut garder à l’esprit qu’il a été conçu dans la Convention européenne des droits de l’homme à partir de la définition libérale de la liberté comme faculté de faire « ce qui ne nuit pas à autrui »[9], doit servir à la Cour à « gérer », sans préjudice des sensibilités propres à chaque société politique européenne,[10] des questions constamment renouvelées,[11] celles-ci se cristallisant depuis les années 1980 autour d’une « inquiétude laïque » et d’une « inquiétude morale ».[12]

 

III. Inquiétude laïque, inquiétude morale

De Peter Ludwig Berger[13] : « L’idée selon laquelle nous vivons dans un monde sécularisé est fausse. Le monde d’aujourd’hui est aussi furieusement religieux qu’il l’a toujours été ». Cette proposition est en tout cas en résonance avec la très grande fécondité éditoriale de la sociologie du fait religieux, soit qu’il s’agisse de repenser le « paradigme de la sécularisation » tel qu’élaboré par Max Weber, soit qu’il s’agisse de penser ce que cette religiosité a – endogéniquement ou exogéniquement – de proprement moderne.

Voudrait-on faire une sociologie du contentieux porté devant les juridictions nationales européennes et devant la Cour européenne des droits de l’homme sous le chef de l’article 9 de la Convention (liberté de religion) que deux éléments en particulier sauteraient aux yeux. En premier lieu, il apparaît que la question du pluralisme religieux n’a plus vraiment le catholicisme pour point nodal en Europe (pas même en République d’Irlande ou en Italie), mais plutôt l’Islam, certains « surgeons du christianisme » (les témoins de Jéhovah, l’Église de l’unification, l’Église mormone, etc.), certains « nouveaux mouvements religieux » (Mouvement raëlien, Église de scientologie, etc.). D’autre part, l’on peut compter une dizaine de points de fixation contentieuse : le prosélytisme religieux ;[14]  l’intégrisme religieux ;[15]  le port des signes religieux dans les établissements publics d’enseignement ;[16]  le droit à des lieux de culte ;[17] le droit du patient de pratiquer son culte et de manifester ses croyances religieuses au sein des établissements de santé  (à travers notamment des refus d’actes médicaux fondés sur des convictions religieuses[18] ou à travers un choix de médecin traitant fondé sur des convictions religieuses) ; le droit au respect des croyances religieuses dans les rites et les cérémonies mortuaires (avec en particulier la question des « carrés musulmans » dans les cimetières) ; la lutte contre les groupements qualifiés de « sectaires » ;[19]  la conciliation entre la liberté d’expression et le droit au respect des croyances religieuses ;[20]  les entreprises de tendance religieuse et le choix de leurs sociétaires ou de leurs employés en fonction de considérations religieuses.[21] Enfin, ce dont la connaissance de ces litiges permet plus fondamentalement de prendre la mesure, c’est que les revendications dont les juges doivent ainsi juger de la légitimité sont relativement « politisées » par les « minorités » concernées, au point d’être précisément le terreau du débat entre « libéraux » (Rawls, Dworkin et autres) et « communautariens » (Taylor, Walzer et autres) sur la capacité de l’universalisme originellement constitutif du droit des États démocratiques de résorber les différences existant dans l’application du principe de l’égalité des droits.

Quant à l’inquiétude morale qui travaille le pluralisme contemporain, elle sourd des grands enjeux « éthiques » apparus depuis les années 1980 :  les prélèvements de tissus d’embryons et de fœtus humains morts à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques ; les recherches et utilisation des embryons humains in vitro à des fins médicales et scientifiques ; l’expérimentation médicale et scientifique sur des sujets en état de mort cérébrale ; les expérimentations sur des malades en état végétatif chronique ; l’expérimentation médicale et scientifique sur des sujets en état de mort cérébrale ; les recherches sur l’embryon ; les réductions embryonnaires et fœtales ; la contraception chez les personnes handicapées mentales ; la stérilisation en tant que mode de contraception définitive ; la « fin de vie », l’arrêt de vie, l’euthanasie ; la conservation des corps de fœtus et enfants mort-nés ; l’accès aux origines, l’anonymat et le secret de la filiation ; la commercialisation des cellules souches humaines et autres lignées cellulaires… Devant les juges, l’inquiétude morale contemporaine sourd surtout de deux types de litiges : d’une part les litiges relatifs au « droit à l’enfant », ceux-ci intéressant – pour ne citer que des interdits français – la revendication de la procréation médicalement assistée avec tiers donneur pour les femmes, les demandes d’implantation d’embryons congelés ou de « gestation pour autrui », les demandes de reconnaissance de l’adoption homoparentale ; d’autre part les litiges intéressant les « mauvais usages » par l’individu de sa liberté, ceux-ci intéressant notamment les pratiques sadomasochistes ayant entraîné la mort d’autrui,[22] les clubs échangistes,[23] la prostitution et le débat entre « abolitionnistes » et réglementaristes », etc. Or, il est de fait que l’« autonomie de la volonté » des sujets juridiques est souvent ici préférée par les juges au « pluralisme » comme ressource argumentative, sans d’ailleurs que cela ne change fondamentalement grand chose à la dimension « paternaliste » ou « non-paternaliste » des décisions rendues dans ces matières.

[1] Extrait de : (sous la direction de Pascal Mbongo et Marie-Louisa Frick), PluralismusKonflikte – Le pluralisme en conflits. Französisch-Österreichische Begegnungen, Berlin, Lit, 2010.

[2] La sociohistoire de la figure de l’« individu » continue de faire crédit au grand historien de la Renaissance et de son Art, Jacob Burckhardt, de l’idée que l’homme du Moyen Âge « ne se connaissait que comme race, peuple, parti, corporation, famille, ou sous toute autre forme générale et collective » (Die Kultur der Renaissance in Italien [La Civilisation de la Renaissance en Italie], 1860).

[3] L. Dumont, Homo aequalis I. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Paris, Gallimard, 1977 (rééd. : 2008). Dumont distingue, en effet, l’individu – en tant que réalité universelle – et l’individualisme, qu’il analyse comme système de valeurs. C’est à partir de cette distinction que Dumont développe sa célèbre distinction entre les sociétés holistes et les sociétés individualistes.

[4] L. Dumont, Essais sur l’individualisme, Paris, Le Seuil, 1983 (rééd. : 1991).

[5] M. Foucault, Histoire de la sexualité. III : Le souci de soi, 1984 (nouvelle édition : Gallimard, 1997). Par « attitude individualiste », Foucault entend « la valeur absolue qu’on attribue à l’individu dans sa singularité, et (…) le degré d’indépendance qui lui est accordé par rapport au groupe auquel il appartient ou aux institutions dont il relève ». La « valorisation de la vie privée » renvoie pour sa part à « l’importance reconnue aux relations familiales, aux formes de l’activité domestique et au domaine des intérêts patrimoniaux ». Quant aux « rapports à soi », ils s’entendent « des formes dans lesquelles on est appelé à se prendre soi-même pour objet de connaissance et domaine d’action, afin de se transformer, de se corriger, de se purifier, de faire son salut ».

[6] L’expression est de N. Aubert (dir.), L’Individu hypermoderne, Toulouse, Éditions Érès, 2004.

[7] P. Ricœur, Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Stock, 2004.

[8] Mutatis mutandis, le référendum français sur le traité constitutionnel européen (2007) peut être analysé comme une manifestation paradigmatique de la souveraineté de ce « pouvoir d’évocation » du sujet démocratique.

[9] « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui e nuit pas à autrui » (article 4 de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789).

[10] C’est la fameuse « marge nationale d’appréciation » que la Cour concède aux États dans certains types de litiges à très forte charge axiologique.

[11] Les juristes sont convenus de parler à ce propos de la « dimension évolutive et dynamique » de la Convention européenne des droits de l’homme, cette formule pour le mois curieuse (en tout cas pour qui a conscience de ce que l’interprétation juridique consiste constamment en de la création-recréation du texte interprété) étant somme toute une manière de prêter à la Convention européenne des droits de l’homme des propriétés d’avant-garde plutôt que de l’analyser comme une caisse de résonance des transformations à l’œuvre dans les sociétés européennes.

[12] L’expression est empruntée à M. Canto-Sperber : L’inquiétude morale et la vie humaine, Paris, P.U.F., 2001.

[13] (dir.), Le Réenchantement du monde, Paris, Bayard, 2001.

[14] Avec l’arrêt de référence de la Cour européenne en date du 25 mai 1993 (Kokkinakis c. Grèce).

[15] Avec l’arrêt de référence de la Cour européenne en date du 1er juillet 1997 (Kalac c. Turquie).

[16] Avec les arrêts Dahlab c. Suisse (2001), Leyla Sahin c. Turquie (2004 et 2005).

[17] La question de la construction des mosquées, puisque c’est d’elle dont il s’agit, se pose dans la plupart des États européens mais elle s’est cristallisée sous une forme particulière à la faveur de la votation populaire suisse du 29 novembre 2009 qui a introduit à l’article 72 de la Constitution suisse un paragraphe 3 au terme duquel « La construction de minarets est interdite ».

[18] La question s’est posée en France en termes vifs à propos de refus de transfusions sanguines par des témoins de Jéhovah.

[19] Les politiques publiques de « lutte contre certains mouvements sectaires » ont contre elle une donnée juridique de base : il est aussi impossible à un État membre de la Convention européenne des droits de l’homme de définir généralement la « religion » ou les « convictions religieuses » que de labelliser des croyances comme étant authentiquement « religieuses ». L’exclusion de ces deux méthodes signifie que c’est en principe à l’individu de définir le contenu et les modalités de « sa » « religion ». C’est à la lumière de cette impossibilité juridique – qui participe de la garante de la neutralité de l’État à l’égard des convictions religieuses – qu’il faut comprendre que même lorsque les juges reconnaissent aux pouvoirs publics un pouvoir d’information-prévention sur les dangers des « sectes », c’est sans préjudice de la faculté légale des groupements mis en en cause d’attaquer les pouvoirs publics pour violation ou pour offense aux convictions religieuses des membres du groupement. C’est cette même impossibilité juridique initiale qui explique, par exemple, que loi française du 12 juin 2001 « tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales » regorge d’énoncés plus ou moins alambiqués (et qui, au final, sont rarement sollicités par les tribunaux).

[20] Le moment européen de référence en la matière reste l’affaire des caricatures danoises de Mahomet : J. Klausen, The Cartoons That Shook the World, New Haven, Yale University Press, 2009.

[21] Les « entreprises de tendance » sont des groupements (paroisses, écoles religieuses, associations, partis, etc.) dans lesquelles « une idéologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressément prônée » (Ph. Waquet, « Loyauté du salarié dans les entreprises de tendance », Gazette du Palais, 1996, p 1427). La défunte Commission européenne des droits de l’homme avait institutionnalisé cette notion d’entreprise de tendance dans une décision du 8 mars 1984 (Van der Heijden c. Pays-Bas), à propos du licenciement d’un employé d’une fondation  œuvrant en faveur de l’intégration des étrangers, mais qui était par ailleurs militant actif d’un groupement hostile aux étrangers. Il est admis que dans de telles entreprises, et singulièrement des entreprises à connotation religieuse, la liberté du salarié est moins grande que dans une entreprise « ordinaire ». Le salarié ne peut, même à l’extérieur du groupement, prôner une philosophie, avoir un comportement, des mœurs ou une vie familiale en contradiction flagrante avec l’objet ou l’idéologie de son entreprise (Cour de cassation française, 19 mai 1978, Dame Roy).

[22] Voir en particulier les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme : Lackey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni (19 février 1997) ; K.A. et A.D. c. Belgique (17 février 2005).

[23] Dans deux arrêts rendus le 21 décembre 2005, la Cour suprême du Canada a conclu à la licéité des clubs échangistes en donnant raison à deux propriétaires de clubs échangistes de Montréal, lesquels avaient été condamnés pour tenue de « maisons de débauche ».