Ecrivains à la barre. Plaidoiries, Balland, 2020, 598 p.

Un procès d’écrivain convoque l’esthétique autant que l’histoire des sensibilités et des représentations politiques et culturelles. C’est ce que montrent les joutes judiciaires réunies dans ce volume, des exercices de critique et d’histoire littéraires qui convoquent de grands penseurs, de grands artistes ou de grands écrivains à la barre de la littérature.

Le Roi s’amuse de Victor Hugo ? Les ténors Odilon Barrot et Gustave Chaix d’Est-Ange n’en pensèrent donc pas la même chose. Et Hugo vint lui-même à la barre non pas pour témoigner, mais pour… plaider. Le refus de Balzac de donner la fin du Lys dans la vallée au journal périodique qui en avait commencé la publication ? Gustave Chaix d’Est-Ange, encore, et Ernest Boinvilliers, l’avocat de Balzac, en eurent une idée différente, au nom de la littérature et des droits de l’écrivain. Comme Alexandre Dumas plaidant pour lui-même en 1847 contre le bâtonnier Adolphe Lacan, pour n’avoir pas honoré ses promesses de textes à différents journaux. L’on vit encore le même Dumas, qui avait une certaine régularité judiciaire, opposer deux éminents avocats sur son droit prétendu de faire construire une statue à… Balzac.

Flaubert et Baudelaire bien sûr, tous deux en 1857. Dans les deux cas, l’histoire ne désigne que le procureur Ernest Pinard, comme si l’on ne se souvenait pas de ce que Flaubert avait fait précéder la réimpression de Madame Bovary d’une élogieuse dédicace à « Marie-Antoine-Jules Sénart, Membre du Barreau de Paris, Ex-président de l’Assemblée nationale et ancien ministre de l’Intérieur ». Comme s’il était fatal que la brillante plaidoirie de Gustave Chaix d’Est-Ange en faveur des Fleurs du mal fût vaine devant le procès en réalisme autrement formulé par Pinard après sa défaite contre Flaubert.

Et que dire de la plaidoirie de l’ancien haut magistrat devenu avocat, Robinet de Cléry, en faveur du droit de l’écrivain de s’emparer de faits réels ou de ces avocats qui bataillèrent, avec plus ou moins de succès à la fin du siècle, contre des ligues de vertu et un parquet déterminés à lutter contre la souillure de la littérature par de la « pornographie » ?

Ces procès sur les droits intellectuels, moraux ou patrimoniaux de l’écrivain étaient déjà médiatisés au XIXe siècle, tant ils résonaient de sensibilités politiques et sociales nouvelles, dans un contexte de proto-démocratisation des arts et des lettres par les progrès de l’instruction publique, l’invention de quotidiens à bon marché et la publication par eux de romans-feuilletons ou d’autres genres littéraires, les facilités de circulation offertes par le chemin de fer.

Ce livre théâtral est une sorte d’hommage au barreau littéraire et politique du XIXe siècle, aux Odilon Barrot, Chaix d’Est-Ange, Boinvilliers, Lacan, De Nogent Saint-Laurens, Paillard de Villeneuve, Sénard, Allou, Paul-Boncour.

Écrivains à la barre

L’humour et le bâillon. Du « licenciement » par Canal+ de Sébastien Thoen

L’employeur audiovisuel d’un journaliste ou d’un animateur peut-il mettre fin unilatéralement au contrat de travail de l’intéressé pour des motifs tirés de ce qu’il a fait une « blague » controversée, un sketch controversé, une blague ou un sketch jugé dénigrant pour l’entreprise audiovisuelle en général ou l’un de ses programmes en particulier ?

On s’est intéressé à cette question dans L’Humour et le bâillon dans la mesure où elle a été posée plus d’une fois aux tribunaux de prudhommes ces dernières années (Stéphane Guillon, Didier Porte, Tex, etc.). Elle pourrait l’être nouvellement si le litige entre le groupe Canal + et Sébastien Thoen devait être portée devant les tribunaux, puisque l’on a appris à la lecture de L’équipe que « L’humoriste Sébastien Thoen, chroniqueur dans le Canal Sports Club, a été licencié par Canal+ à la suite d’un sketch sur l’émission de CNews L’heure des pros, mis en ligne par Winamax. (…) Le groupe Canal+, poursuivait le journal, a décidé de mettre fin au contrat de Sébastien Thoen. L’humoriste, chroniqueur dans l’émission Canal Sports Club et présentateur du Journal du hard, a été licencié à la suite de sa participation à un sketch mis en ligne le 19 novembre par le site de paris Winamax. Dans cette vidéo détournant L’heure des pros de la chaîne info du groupe, CNews, par le biais d’une version de talk footballistique, l’humoriste y incarne Lionel Messiha, une caricature de Jean Messiha, chroniqueur de l’émission de débat et ancien membre du Rassemblement National. Sébastien Thoen y apparaît notamment au côté de son compère Julien Cazarre, ce dernier parodiant l’animateur Pascal Praud. (…) ».

Ecrivains à la barre. Le jugement Poulet-Malassis de 1865

Tribunal Correctionnel de Paris (6e ch.) – Audience du 2 juin 1865

Outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. – Dessins non autorisés. – colportage et livres de dessins sans autorisation. – Exercice illégal de la profession de libraire. – Détention de livres sans nom d’imprimeur. – onze prévenus.

Le Tribunal,

Donne défaut contre Poulet-Malassis et contre Blanche, non comparants, quoi que régulièrement cités, et statuant sur les chefs imputés à tous les prévenus :

A l’égard de Poulet-Malassis, ancien libraire-éditeur à Paris, après avoir encouru plusieurs condamnations pour diffamation, publication de livres obscènes et banqueroute simple, s’est retiré à Bruxelles en 1863, et s’y est livré, depuis cette époque, à la réimpression et au commerce de livres obscènes ;

Que de l’instruction, notamment de la correspondance et des pièces saisies aux domiciles de Blanche, de Sauvan et de Bayart, ainsi que des aveux faits par ces deux derniers, il résulte que Poulet-Malassis a eu, depuis l’année 1863, pour correspondants à Paris, Blanche et Sauvan, qui étaient chargés de recevoir les ouvrages qu’il leur envoyait de Belgique, d’en faire le placement et de les distribuer et de les vendre à des particuliers et à des libraires, soit à Paris, soit dans les départements ; que, tantôt ces ouvrages arrivaient à Paris, dissimulés au milieu de marchandises diverses, et tantôt ils étaient confiés à Bayart, chef de de train la compagnie du chemin de fer du Nord, qui les cachait dans sa saccoche ou de toute autre manière, puis les transportait à son domicile, où le plus souvent Blanche les faisait prendre ;

Que c’est ainsi que Blanche, au domicile duquel il a été trouvé, le 2 décembre dernier, 359 volumes, a pu distribuer et vendre un grand nombre de livres obscènes envoyés par Poulet-Malassis en provenance d’autres sources ;

Que Sauvan qui avait été l’employé de Poulet-Malassis en France, et qui depuis son départ avait continué des relations d’affaires avec lui, tout en prenant le commerce des comestibles, a reçu dans le même temps, de la Belgique, une certaine quantité d’ouvrages obscènes, qu’il échangeait avec les produits de son nouveau commerce, ou bien pour les vendre au compte de son ancien patron ou au sien propre ;

Que les ouvrages ainsi distribués et vendus depuis moins de trois ans par Blanche sont 1° etc, etc. (suit la nomenclature des ouvrages dont nous avons publié les titres dans notre premier compte-rendu de la quinzaine dernière) ;

Que les ouvrages distribués et vendus, depuis moins de trois ans, par Sauran sont notamment : Les Aphrodites, l’Ecole des filles, le Parnasse satyrique et les Heures de Paphos ;

Attendu que ces ouvrages ont un caractère d’immoralité et d’obscénité incontestables ;

Mais qu’on doit établir des différences entre eux et les partager en trois catégories : le première composée de cinq ouvrages (le jugement en donne les titres), dans lesquels les auteurs ont évité la grossièreté et l’obscénité dans le langage, pour n’exciter l’imagination et les sens que par des images lascives et licencieuses, par des scènes délirantes et par la peinture des passions honteuses et contre nature ; la seconde catégorie comprenant tous les autres ouvrages qui sont écrits dans une forme aussi offensante que le fonds pour la morale et les bonne mœurs, parmi lesquels, toutefois, il faut distinguer ceux dans lesquels toutes les parties ne sont pas également répréhensibles et ce qui composent la troisième catégorie, où les éléments ne se rencontrent notamment que dans les pages ou dans les articles ci-après désignés, savoir (suit l’indication des pages et des articles) ;

Que c’est ainsi que Blanche et Sauvan, en distribuant et vendant ces ouvrages, se sont rendus coupables du délit d’outrage à la morale publique et aux bonne mœurs, prévu et puni par les articles 1 et 8 de la loi du 17 mai 1819, et qu’ils se sont encore rendus coupables du même délit, en distribuant et vendant des gravures et dessins obscènes, les uns séparés, les autres accompagnant quelques-uns des ouvrages ci-dessus indiqués ;

Que Poulet-Malassis et Bayart se sont dans le même temps, rendu complice de ce délit, le premier, en imprimant et en envoyant, de Belgique à Paris, à Blanche et à Sauvan une partie des dits ouvrages, notamment de ( suit l’indication de neuf ouvrages), sachant que ces ouvrages devaient être vendus, et donnant à ses mandataires des ordres et des instructions pour en opérer le placement en France, à son profit, et Bayart, en transportant lui-même une partie de ses ouvrages de Belgique à Paris, sachant aussi qu’ils étaient des livres obscènes destinés à être vendus, complicité prévue et punie par les articles 59 et 60 du Code pénal ;

Attendu que des faits rapportés ci-dessus, et reconnus constants, il résulte encore,

 A la charge de Blanche seul, d’avoir encouru les peines portées par l’article 27 de la loi du 26 mai 1819, en vendant des ouvrages déjà condamnés et dont la condamnation était réputée comme par la publication faite dans les formes prescrites, et à la charge de Blanche et de Sauvan d’avoir contrevenu à l’article 24 du décret du 17 février 1852, en se livrant, sans en avoir obtenu le brevet, à des ventes, achat et échanges de livres, ce qui constitue le commerce de la librairie, d’avoir contrevenu à l’article 19 de la loi du 21 octobre 1814, en détenant et vendant des ouvrages sans nom d’imprimeur, tels que notamment : Les Aphrodites, l’Eole des filles, le Parnasse satyrique, et d’avoir contrevenu à l’article 22 du décret du 17 février 1852, en distribuant et vendant des dessins et gravure non autorisés par l’administration ;

Et qu’enfin, le fait par Bayart, d’avoir colporté de Belgique à Paris, et distribué dans cette ville à plusieurs personnes des ouvrages et gravures sans autorisation de l’administration, constitue, en outre, à sa charge, la contravention prévue et punie par l’article 6 de la loi du 27 juillet 1849 ;

A l’égard de Gay ;

Attendu que Gay, libraire-éditeur, qui a été condamné au moi de mois de mai 1863 pour avoir fait le commerce de livres contraires à la morale et aux bonnes mœurs, a malgré cet avertissement continué ce commerce, et même lui a donné un plus grand développement, en achetant d’abord quelques éditions à Poulet-Malassis, puis en faisant faire lui-même des réimpressions en Belgique, en répandant en France un grand nombre de prospectus pour faire connaître ces ouvrages et en les vendant à toutes les personnes qui en demandaient ;

Que ces faits de publication, de mise en vente et de vente, résultent de l’instruction, et notamment de la correspondance et des pièces trouvées au domicile de Gay et de ses co-prévenus, de la saisie et quatre-vingt-trois volumes, pratiquées le 13 janvier dernier dans le magasin de Gay et dans un sac de nuit lui appartenant, ainsi que des déclarations de Blanche et de Sauvan ;

Que les ouvrages mis en vente et vendus par lui en 1863 et 1864, sont : 1° La Guerre des Dieux, etc., etc. (ici sont les titres de vingt autres ouvrages) ;

Que parmi ces ouvrages, les uns présentant dans toutes leurs parties un caractère d’immoralité et d’obscénité qui en rend la publication dangereuse pour les bonnes mœurs et les autres… (Ce jugement produit ici la distinction faite plus haut à l’égard des ouvrages du prévenu Poulet-Malassis) ;

Qu’en mettant en vente et en vendant ces ouvrages, Gay a commis le délit prévu et puni par les articles 1 et 8 de la loi du 17 mai 1819 ;

Qu’il a encore commis le même délit en mettant en vente et en vendant les gravures et dessins représentant des sujets obscènes, les uns en feuilles et les autres accompagnant quelques-uns des ouvrages ci-dessus indiqués, notamment les trois suivants …. etc, etc. ;

Que des mêmes faits rapportés ci-dessus, il résulte encore que Gay a encouru les peines portées par l’art.27 de la loi du 26 mai 1819, en vendant des ouvrages déjà condamnés, etc., etc. (Comme plus haut) ;

Qu’il a contrevenu à l’article 19 de la loi du 21 octobre 1814, en détenant et vendant des ouvrages sans nom d’imprimeur… (Mêmes motifs que ci-dessus)

Et enfin qu’il a contrevenu, pour atténuer ses torts, déclaré, comme dans la précédente poursuite, que les ouvrages qu’il a imprimés et vendus sont intéressants à conserver et à connaître au point de vue de la philosophie, des mœurs et de l’histoire ; qu’il n’a pas été dans sa pensée de fournir un aliment à la corruption et à la débauche, ni même de chercher dans son commerce une nouvelle source de profits ; qu’enfin il s’est protégé par l’autorisation de réimprimer un de ses ouvrages à un nombre déterminé d’exemplaires ;

Mais attendu que, même dans ce cas exceptionnel, Gay ne s’est pas conformé aux conditions expresses qui lui avaient été imposées ; que sa bonne foi ne peut être admise, surtout après une première condamnation, quand on le voit donner à ses prospectus une aussi grande publicité et répondre indistinctement aux demandes qui lui sont faites ; que d’ailleurs, sans avoir à examiner si la science des bibliophiles est sérieusement intéressée dans cette question, il est certain que cet intérêt ne saurait jamais prévaloir sur celui de la morale publique et des bonnes mœurs, auquel il ne peut être porté atteinte sous aucun prétexte ;

A l’égard de Randon,

Attendu que le 16 décembre dernier, il a été saisi dans son domicile des ouvrages obscènes, ainsi que des albums, des photographies et des dessins représentant des sujets obscènes ; que de l’instruction et de ses aveux, il résulte qu’après avoir été employé chez un libraire pendant plusieurs années, jusqu’au mois d’avril 1864, il s’est livré pour son compte au commerce de la librairie, en achetant des livres dans les ventes ou à des commissionnaires, tels que Blanche, et en les revendant soit des libraires, soit plutôt à des particuliers ; qu’il reconnait n’avoir pas un brevet de libraire, avoir été trouvé détenteur des ouvrages suivants qui ne portent pas de nom d’imprimeur (suivent les titres de cinq ouvrages) avoir mis en vente les ouvrages suivants, dont la condamnation judiciaire a été publiée, etc., ( quatre ouvrages sont indiqués), avoir mis en vente et vendu cinq autres ouvrages obscènes, et, en outre, des gravures, images et lithographies, soit en feuilles, soit en albums ;

Attendu que tous ces dessins représentent des sujets obscènes et que tous ces ouvrages offrent, ainsi qu’il a été déjà dit, dans leurs détails, comme dans leur ensemble, par la forme et par le fonds, le même caractère d’offense à la morale et aux bonnes mœurs ;

Que Randon s’est donc rendu coupable de contraventions et délits prévus et punis … (comme plus haut) ;

A l’égard de Hélaine,

Attendu que le 18 décembre dernier, il a été saisi dans son magasin de marchand d’estampes des cartes photographiques dont la vente n’est pas autorisée, et des cartes photographiques représentant des sujets obscènes ;

Qu’à l’égard de ces derniers, la spontanéité de la déclaration d’un des commis de Boivin peut faire naitre un doute sur le point de savoir s’ils appartiennent à ce dernier et s’il savait leur existence dans son magasin ; que ce doute doit lui profiter ;

Mais attendu qu’il est établi judiciairement que Boivin a vendu en 1864, à Randon notamment, un certain nombre de dessins ou gravures et de poupées représentant des emblèmes et des sujets obscènes, et qu’il s’est ainsi rendu coupable du délit et de la contravention punis et prévus par les articles 1 et 8 de la loi du 17 mai 1819 et 22 décret du 17 février 1852 ;

A l’égard de Margoutaud,

Attendu que le 13 janvier dernier, pendant le déménagement qu’opérait ce marchant relieur, il a été saisi en sa possession un grand nombre des ouvrages indiqués ci-dessus comme outrageant la morale et les bonnes mœurs ; qu’après avoir avoué que depuis quelque temps il s’était livré à la vente des livres obscènes, il est revenu sur cet aveu, en prétendant qu’il s’était toujours borné à exercer son commerce de relieur, et que tous les livres trouvés en sa possession ne lui avaient été remis que pour être brochés et reliés ;

Mais qu’il n’est pas pas possible d’admettre cette dernière version quand on rencontre à la fois tant de livres obscènes et 44 exemplaires d’un même ouvrage, et quand il ne peut indiquer ni les personnes qui les lui auraient envoyés, ni même signés propres à les reconnaitre sans les compromettre et sans écrire leurs noms ; qu’il a été aussi trouvé en sa possession des gravures et lithographies représentant des sujets obscènes (suivent six noms de dessins obscènes), qui évènement n’avaient pas été par lui achetés que pour vendre et en tirer profit ;

Qu’il en résulte donc contre Margoutaud la preuve d’avoir, à Paris, en 1864, exercé le commerce de la librairie sans avoir obtenu le brevet exigé par la loi ; d’avoir, faisant le commerce, été trouvé détenteur d’ouvrages sans nom d’imprimeur, savoir (suit la désignation de dix ouvrages dont nous avons déjà donné les titres) ; d’avoir, dans le même temps, mis en vente et vendu des ouvrages dont la condamnation a été publiée dans les formes prescrites, savoir (cinq ouvrages sont cités) ; d’avoir, dans le même temps, commis le délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs en mettant en vente et en vendant les ouvrages ( 22 déjà nommé) ;

En mettant en vente et vendant des gravures et lithographies représentant des objets obscènes ; les unes en feuilles, les autres accompagnant les livres ci-dessus désignés ;

Et enfin d’avoir mis en vente ou vendu des dessins non autorisés par l’administration, ce qui constitue les délits et contraventions prévus et punis par les art. 24 du décret du 17 février 1852, 19 de la loi du 26 mai 1819, 1er et 8 de la loi du 17 mai 1819 et 22 du décret du 17 février 1852 ;

A l’égard de Chauvet,

Attendu que le 7 janvier dernier, il a été sais au domicile de ce prévenu et dans le bureau qu’il occupe comme employé dans l’administration des Petites-Voitures, des photographies et une grande quantité de dessins coloriés ou non coloriés représentant des sujets obscènes, les uns terminés, les autres en voie d’exécution ; qu’il résulte de ses aveux que ces dessins étaient en partie commandés et destinés à être vendus, et que depuis deux ans il composait ou copiait des dessins de même nature et les vendait à diverses personnes, notamment à Blanche ;

Qu’il est également établi et avoué par le prévenu qu’il a vendu l’ouvrage intitulé … (un ouvrage déjà indiqué) ;

Qu’il résulte de ces faits que Chauvet a commis à Paris, depuis moins de trois ans, le délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs en vendant des dessins et aquarelles, ainsi que l’ouvrage intitulé (un ouvrage déjà indiqué) , et une contravention en vendant des dessins non autorisés par l’administration, délit et contravention prévus punis par les articles 1 et 8 de la loi du 17 mai 1819 et 22 du décret du 17 février 1852 ;

A l’égard d’Halphen,

Attendu que s’il a échangé avec Hélaine contre des livres quelques dessins obscènes, cet acte isolé ne saurait constituer à sa charge la publicité nécessaire pour justifier le délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs et la contravention qui lui sont reprochés ;

Le renvoie de la poursuite sans dépens ;

Et à l’égard de tous les autres prévenus ;

Vu les articles précités,

Vu aussi l’article 365 du Code d’instruction criminelle et l’article 463 au profit de Blanche, de Gay, de Randon, de Hélaine et de Margoutauc,

Condamne Poulet-Malassis à une année d’emprisonnement et à 500 fr. d’amende ; Sauvan, à quatre mois d’emprisonnement et à 100 fr. d’amende ; Gay, à quatre mois d’emprisonnement et à 500 fr. d’amende ; Bayard, à trois mois d’emprisonnement et à 100 francs d’amende ; Margoutaud et Randon, chacun à deux mois d’emprisonnement et à 100 fr. d’amende ; Boivin, Hélaine et Chauvet, chacun à un mois d’emprisonnement et à 100 fr. d’amende ; les condamne chacun à un dixième des dépens ;

Déclare toutes les condamnations ci-dessus recouvrables par la voie de la contrainte par corps, et prononce la solidarité entre Blanche, Sauvan, Poulet-Malassis et Bayart :

Déclare confisqués les livres, dessins et objets qui ont été saisis et qui sont retenus comme éléments des condamnations ci-dessus prononcées ; dit qu’ils seront détruits, ainsi que les exemplaires et reproductions qui pourront être saisis ultérieurement ;

Fixe à un an la durée de la contrainte par corps contre chacun de ceux dont les condamnations pécuniaires s’élèveraient au-dessus de 300 fr.

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Ecrivains à la barre. Plaidoiries.

Un procès d’écrivain convoque l’esthétique autant que l’histoire des sensibilités et des représentations politiques et culturelles. C’est ce que montrent les joutes judiciaires réunies dans ce volume, des exercices de critique et d’histoire littéraires qui convoquent de grands penseurs, de grands artistes ou de grands écrivains à la barre de la littérature.

Le Roi s’amuse de Victor Hugo ? Les ténors Odilon Barrot et Gustave Chaix d’Est-Ange n’en pensèrent donc pas la même chose. Et Hugo vint lui-même à la barre non pas pour témoigner, mais pour… plaider. Le refus de Balzac de donner la fin du Lys dans la vallée au journal périodique qui en avait commencé la publication ? Gustave Chaix d’Est-Ange, encore, et Ernest Boinvilliers, l’avocat de Balzac, en eurent une idée différente, au nom de la littérature et des droits de l’écrivain. Comme Alexandre Dumas plaidant pour lui-même en 1847 contre le bâtonnier Adolphe Lacan, pour n’avoir pas honoré ses promesses de textes à différents journaux. L’on vit encore le même Dumas, qui avait une certaine régularité judiciaire, opposer deux éminents avocats sur son droit prétendu de faire construire une statue à… Balzac.

Flaubert et Baudelaire bien sûr, tous deux en 1857. Dans les deux cas, l’histoire ne désigne que le procureur Ernest Pinard, comme si l’on ne se souvenait pas de ce que Flaubert avait fait précéder la réimpression de Madame Bovary d’une élogieuse dédicace à « Marie-Antoine-Jules Sénart, Membre du Barreau de Paris, Ex-président de l’Assemblée nationale et ancien ministre de l’Intérieur ». Comme s’il était fatal que la brillante plaidoirie de Gustave Chaix d’Est-Ange en faveur des Fleurs du mal fût vaine devant le procès en réalisme autrement formulé par Pinard après sa défaite contre Flaubert.

Et que dire de la plaidoirie de l’ancien haut magistrat devenu avocat, Robinet de Cléry, en faveur du droit de l’écrivain de s’emparer de faits réels ou de ces avocats qui bataillèrent, avec plus ou moins de succès à la fin du siècle, contre des ligues de vertu et un parquet déterminés à lutter contre la souillure de la littérature par de la « pornographie » ?

Ces procès sur les droits intellectuels, moraux ou patrimoniaux de l’écrivain étaient déjà médiatisés au XIXe siècle, tant ils résonaient de sensibilités politiques et sociales nouvelles, dans un contexte de proto-démocratisation des arts et des lettres par les progrès de l’instruction publique, l’invention de quotidiens à bon marché et la publication par eux de romans-feuilletons ou d’autres genres littéraires, les facilités de circulation offertes par le chemin de fer.

Ce livre théâtral est une sorte d’hommage au barreau littéraire et politique du XIXe siècle, aux Odilon Barrot, Chaix d’Est-Ange, Boinvilliers, Lacan, De Nogent Saint-Laurens, Paillard de Villeneuve, Sénard, Allou, Paul-Boncour.

Écrivains à la barre

 

La loi Baudelaire (1946)

Le 31 mai 1949, la chambre criminelle de la Cour de cassation casse et annule le jugement rendu en 1857[1] par la 6e Chambre du Tribunal correctionnel de la Seine, en ce qu’il a condamné Baudelaire, son éditeur et son imprimeur pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs à raison de la publication des Fleurs du Mal. Mieux, la Cour décharge leur mémoire de la condamnation prononcée, autrement dit les réhabilite. Mémorable, l’arrêt de la Cour de cassation n’est pas moins remarquable dans la mesure où il montre ce qui est au cœur d’Ecrivains à la barre. Plaidoiries, que la critique littéraire est proprement un genre judiciaire, puisque le tribunal qui, à l’exemple de la Cour de cassation, relaxe un auteur, ne procède pas moins à une exégèse esthétique et morale de l’œuvre poursuivie ou attaquée que le tribunal qui condamne. Le conseiller-rapporteur et l’avocat général de la Cour de cassation (documents en ligne) ont fait, au fond, la même chose que le substitut Pinard, juger l’œuvre litigieuse, mais à partir de sensibilités esthétiques et politiques séparées par… près d’un siècle.

Baudelaire doit sa réhabilitation à la loi n° 46-2064 du 25 septembre 1946 ouvrant un recours en révision contre les condamnations prononcées pour outrages aux bonnes mœurs commis par la voie du livre. Son article unique se décompose en trois alinéas disposant :

« La révision d’une condamnation prononcée pour outrage aux bonnes mœurs commis par la voie du livre pourra être demandée vingt ans après que le jugement sera devenu définitif.

Le droit de demande de révision appartiendra exclusivement à la société des gens de lettres de France agissant soit d’office, soit à la requête de la personne condamnée, et, si cette dernière est décédée, à la requête de son conjoint, de l’un de ses descendants ou, à leur défaut, du parent le plus rapproché en ligne collatérale.

La Cour de cassation, chambre criminelle, sera saisie de cette demande par son procureur général, en vertu de l’ordre exprès que le ministre de la justice lui aurait donné. Elle statuera définitivement sur le fond, comme juridiction de jugement investie d’un pouvoir souverain d’appréciation. »

La « loi Baudelaire » est un objet étrange au regard de sa genèse. En effet, rien dans l’« actualité » de 1946, ni même de Vichy, ne justifiait spécialement une proposition de loi en ce sens le 23 juillet 1946, en pleine Seconde Assemblée constituante. Et rien ne semblait prédisposer spécialement des députés communistes à en prendre l’initiative, quand bien même l’auteur principal de la proposition de loi, Georges Cognoit, par ailleurs rédacteur en chef de L’Humanité était-il un intellectuel formé à la philosophie et auteur d’une œuvre prolifique sur le marxisme et le communisme. « Le pharisaïsme étant une des formes de la persécution de la pensée, disait l’exposé des motifs de la proposition de loi, il doit être dénoncé et combattu, surtout quand il frustre notre patrimoine littéraire de trésors authentiques ». Il convenait donc de créer une procédure de révision au bénéfice des « seuls ouvrages qui ont enrichi notre littérature et que le jugement des lettres a déjà réhabilité » et à la seule initiative de la Société des Gens de Lettres de France « (qui possède) la personnalité civile et (est) reconnue d’utilité publique ». La proposition de loi fut adoptée sans vote, autrement dit à l’unanimité de l’Assemblée constituante.

La postérité de ce texte, toujours en vigueur, n’est pas moins étrange puisqu’il n’a pas fait l’objet d’autres applications depuis 1957, alors qu’il ne manque pas d’œuvres de grande valeur littéraire condamnées par les tribunaux. Comme si les descendants de grands auteurs condamnés, intéressés au premier chef à voir agir la SGDL, en ignoraient l’existence ou ne savaient pas que la « loi Baudelaire » est impersonnelle et pérenne.

 

[1] Comme un certain nombre de biographes de Baudelaire, la Cour de cassation semble ne pas avoir su la date exacte du jugement puisque si le conseiller-rapporteur et l’avocat général le date du 20 août 1857 la Cour de cassation, dans son arrêt, lui donne deux dates, le 20 août 1857 et le 27 août 1857. Il est vrai que la presse d’époque n’était pas plus sécure. Au prix d’une plongée dans les archives judiciaires, la date exacte du jugement est donnée dans écrivains à la barre. Plaidoiries.

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La langue française et la loi. Des anglicismes.

Question N° 32571 de Mme Véronique Louwagie (Les Républicains – Orne) publiée au JO le 29 septembre 2020, p. 6564.

Mme Véronique Louwagie attire l’attention de Mme la ministre de la culture sur la question de la valorisation de la langue française. Le Président de la République a annoncé, à plusieurs reprises, sa volonté de redonner à la langue française sa place et son rôle dans le monde. Au-delà des discours et de la consultation citoyenne, la tendance est à une dérive anglicisante de la société influencée par la langue considérée comme internationale : l’anglais. La loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, visant notamment à assurer la primauté de l’usage des termes francophones traditionnels face aux anglicismes, semble rencontrer des limites à l’ère des smartphonesstart-upteam building et autres expressions de langue anglaise intégrées au vocabulaire quotidien des Français. S’agissant d’un élément important de la souveraineté nationale et d’un outil de rayonnement majeur au sein de la francophonie et dans le monde, elle souhaiterait connaître les intentions du Gouvernement sur ce sujet.

Réponse de la ministre de la Culture (JO, le 15 décembre 2020, p. 9218)

Le rayonnement de la langue française, de sa richesse et des œuvres qu’elle porte, est partagé avec 300 millions de francophones, présents sur les cinq continents, comme avec les millions de personnes qui font le choix à travers le monde d’apprendre le français, deuxième langue enseignée sur la planète. En cette année de célébration des 50 ans de la francophonie, il faut considérer que la mondialisation est aussi une réalité linguistique, dans laquelle il importe de veiller à la diversité des langues et des cultures : c’est l’une des missions essentielles du ministère de la culture, partagée avec les autres ministères concernés, en premier lieu desquels le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Le Président de la République, en mars 2018, a lancé sous la Coupole de l’Institut de France un plan d’action répondant à ces enjeux : « Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme », fort de mesures concrètes qui ont mobilisé toutes les énergies depuis lors. Le ministère de la culture a pris toute sa part dans cette approche volontariste pour la promotion de la langue française et de la diversité linguistique. Le chantier de la rénovation du château de Villers-Cotterêts en est l’illustration majeure, qui permettra l’ouverture de la Cité internationale de la langue française en 2022. Le lancement prochain du Dictionnaire des francophones, sous la forme d’une application mobile, interactive et participative, en est un autre exemple : y seront rassemblés plus de 500 000 termes et expressions venus de tout l’espace francophone, mis à la disposition de tous, gratuitement, pour une démonstration sans précédent de la richesse de la langue française dans la diversité de ses expressions.

Ces deux projets, articulés, démontrent que l’innovation et le renouvellement des représentations, pour les jeunes générations notamment, sont nécessaires pour contribuer à la vitalité de la langue. Cet effort de sensibilisation se joue aussi en France même, auprès des concitoyens très attachés à leur langue et au soin que l’on en prend. Le ministère de la culture est le garant de l’application de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi du français, dite « loi Toubon ». Il s’implique au quotidien, à travers la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), pour veiller à la présence et à la diffusion de la langue française dans tous les secteurs de la société. Il conduit ainsi une politique qui vise à garantir aux citoyens un « droit au français » dans leur vie sociale, qu’il s’agisse de la consommation, de la communication dans l’espace public, des médias, du monde du travail ou de l’enseignement. Il mène cette action en lien avec plusieurs autres services et organismes concernés tels que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le ministère du travail, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité… À ce titre, la DGLFLF intervient systématiquement, dès lors qu’elle constate ou que son attention est appelée sur un manquement à ces dispositions légales. Ainsi, elle a récemment alerté plusieurs entreprises et établissements publics sur l’illégalité de dénominations anglaises (passe « Navigo Easy » du syndicat des transports d’Île-de-France – Île-de-France Mobilités, service « Poste Truck » ou « Ma French Bank » du groupe La Poste).

Ce cadre légal est en particulier exigeant avec les institutions et les agents du service public, qui ont des obligations s’agissant de l’emploi de la langue française dans leur activité. Des obligations plus restrictives s’appliquent aux services et établissements de l’État, ainsi qu’aux marques et aux contrats publics. Mais il faut aussi rappeler que cette loi n’a cependant pas vocation à interdire les anglicismes : en France, c’est la liberté d’expression qui prévaut pour le citoyen. C’est donc l’exemplarité et la conscience des enjeux linguistiques qui doivent être rappelées à chacun, décideurs, élus et communicants. On constate ainsi dans nombre de collectivités territoriales une tendance liée à l’essor du « marketing territorial », qui s’est traduit au cours des dernières années par un important développement des slogans et des intitulés en anglais. La DGLFLF entend donc poursuivre et renforcer la sensibilisation des élus à la question de l’emploi de la langue française, élément stratégique pour la cohésion sociale dans les territoires. Les acteurs publics et privés peuvent par ailleurs s’appuyer sur le dispositif d’enrichissement de la langue française, coordonné par la DGLFLF, qui produit chaque année plus de trois cents termes destinés à permettre aux professionnels, notamment du monde scientifique et économique, de disposer de vocabulaires techniques français, afin de pouvoir exprimer toutes les réalités du monde contemporain dans la langue commune, compréhensible par tous. La langue française peut ainsi demeurer une grande langue internationale, riche et vivante.

Clemenceau, publiciste américain

Georges Clemenceau a eu de très nombreuses vies. Dont une vie américaine commencée le 28 septembre 1865 avec son arrivée à New York, après une traversée de l’Océan sur un vaisseau britannique, depuis Liverpool. Il avait d’abord rejoint l’Angleterre le 25 juillet 1865 en compagnie de son père. Clemenceau avait alors vingt-quatre ans et il venait d’être fait docteur en médecine.

« Ce que je vais faire ? Mais je n’en sais rien. Je pars, voilà tout. Le hasard fera le reste, peut-être chirurgien dans l’armée fédérale, peut-être autre chose, peut-être rien ». Pourquoi Clemenceau conçut-il, au début de 1865, d’aller aux États-Unis ? Jean-Baptiste Duroselle, son célèbre biographe, concède que les raisons n’en sont pas certaines. Peut-être un dépit amoureux a-t-il été déterminant. Peut-être la surveillance policière dont il savait être l’objet à Paris, en tant que jeune républicain ostensiblement hostile à Napoléon III, a-t-elle compté. Peut-être encore ne voulait-il pas continuer d’être soutenu financièrement par son père, Benjamin Clemenceau, ou le besoin de gagner sa vie autrement qu’en exerçant comme médecin à la campagne. Peut-être son intellectualisme et sa séduction pour les mondes anglo-américains le portaient-ils aussi bien à vouloir traduire en France Herbet Spencer ou Stuart Mill qu’à découvrir cette curieuse République qu’est alors l’Amérique aux yeux de nombreux Français. Et puis il y a son admiration pour Abraham Lincoln, une admiration d’autant plus grande que Georges Clemenceau, du haut de sa toute jeunesse, abhorre l’esclavage.

C’est tout sauf un bohémien qui débarqua en compagnie de son ami Geffroy Dourlen à New York, les deux jeunes gens s’installant d’abord au 21 Beekman Street, soit dans un quartier de Manhattan prisé par les Français de New York. La légende veut même que Louis-Napoléon Bonaparte ait séjourné trente ans plus tôt au 21 Beekman Street. Le jeune Georges Clemenceau disposait, à son arrivée, de ce qu’il est convenu de nos jours d’appeler un réseau. Aussi eut-il souvent le loisir de se rendre dans les bureaux du New York Tribune, auprès duquel il avait été introduit. « Il fréquentait les cercles politiques, écrit Duroselle, l’Union League Club ainsi que Tammany Hall, quartier général du Parti démocrate, destiné à la célébrité. Enfin on le voyait souvent dans les bibliothèques : Astor Library dans Lafayette Street, à qui il dédicaça un exemplaire de sa thèse ; le Cooper Institute, ouvert de 8 heures du matin à 10 heures du soir ».

Ces occupations intellectuelles ne furent ponctuellement contrariées que par des pensées parasites relatives aux dettes contractées par Clemenceau à Paris, par ses problèmes oculaires et par son hésitation durable entre l’idée de s’installer aux États-Unis et celle de revenir en France. De l’argent, il finit par en avoir un peu et autrement que par son père. Grâce à Eugen Bush, un « jeune et brillant avocat qu’il avait connu à Paris », il obtint un poste d’enseignant de français dans un lycée de jeunes filles à Stamford dans le Connecticut. Et le journal Le Temps lui payait enfin les articles qu’il y publiait depuis 1865 sous pseudonyme dans une rubrique intitulée Lettres d’Amérique. Clemenceau n’en était pas moins las de devoir faire chaque jour l’aller-retour entre New York et Stamford car si le nombre d’heures de cours des professeurs à Stamford était faible, ils étaient néanmoins tenus d’être quotidiennement disponibles dans les locaux de l’établissement…