Le Grand oral du CRFPA (V). Cas pratique et plaidoiries.

A la demande d’une association de locataires, une société propriétaire d’un ensemble immobilier a fait installer une clôture des lieux et a limité l’accès par des portes s’ouvrant par digicode. Toutefois, certains résidents font valoir que, pour des motifs religieux, il leur est interdit d’utiliser ces systèmes de fermeture pendant le Shabbat et certaines autres fêtes. Ils sollicitent donc du juge des référés qu’il ordonne à la société propriétaire de l’ensemble immobilier d’y installer une serrure mécanique. Comment vous y prendriez-vous, en qualité d’avocat de  la société concernée, pour amener le juge des référés à ne pas accéder aux exigences des demandeurs ?

Exposé du candidat (10-15 mn)

Madame, Monsieur, le cas dont nous sommes saisis est le suivant : […].

Avant de répondre directement et précisément à la question qui nous est posée – à savoir comment nous nous y prendrions dans la défense de la société propriétaire de l’ensemble immobilier – (II), nous nous proposons d’analyser la demande de l’association des locataires, afin d’en préciser le sens juridique (I). La 1re partie me sert à imaginer le type d’argumentation juridique que l’association des locataires peut avoir développé à l’appui de sa demande ; La 2ème partie me sert à la contrecarrer. Mon exposé n’en est que plus simple, « carré ».

I- Ainsi donc, la demande dont nous sommes saisis touche à la question du retentissement ou des conséquences en matière d’exécution d’un contrat des convictions religieuses de l’un des cocontractants, lorsque ces convictions n’ont pas été intégrées au contrat par les parties elles-mêmes. Cette demande appelle certaines précisions.

Manifestement – et c’est là notre première précision – les requérants entendent faire admettre au juge des référés qu’indépendamment du silence des parties au contrat sur ce point, l’exécution du contrat doit s’approprier les conditions religieuses de l’une des parties.

Or – et c’est notre deuxième précision – cette interprétation ne peut se développer qu’à la faveur d’une combinaison entre la liberté constitutionnelle et conventionnelle de religion d’une part et le principe d’exécution de bonne foi des contrats d’autre part.

Le premier de ces principes – la liberté de pensée, de conscience et de religion – n’a pas seulement un aspect négatif qui interdit aux États ou aux pouvoirs publics de s’immiscer dans les croyances philosophiques ou religieuses des citoyens ; il a également un aspect plus positif qui veut que les États, à travers leur législation, garantissent un exercice des croyances religieuses.

La combinaison de ce principe avec le principe d’exécution de bonne foi des contrats énoncé à l’article 1134 al. 3 du code civil pourrait donc conduire le juge des référés à accéder à la demande du requérant tendant à obliger notre client à installer une serrure mécanique dans son immeuble. Plus généralement, cette demande, si elle était satisfaite, obligerait les bailleurs à adapter les lieux loués aux prescriptions religieuses dont se réclament les locataires.

II- Il nous semble au contraire – et telle est la substance de l’argumentation que nous développerions devant le juge des référés – que sauf stipulation expresse, les convictions et pratiques religieuses des cocontractants ne sauraient être considérées comme un élément du contrat lui-même ou de son exécution. Trois arguments militent en faveur de cette interprétation.

Le premier argument est tiré de la jurisprudence sociale de la Cour de cassation. En effet, dans un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 24 mars 1998, la Cour a en effet posé que « s’il est exact que l’employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n’entrent pas dans le cadre du contrat de travail et que l’employeur ne commet aucune faute en demandant au salarié d’exécuter la tâche pour laquelle il a été embauché, dès l’instant que celle-ci n’est pas contraire à une disposition d’ordre public ». Cette jurisprudence nous paraît d’autant plus remarquable qu’elle tend paradoxalement à protéger les convictions religieuses, puisque sinon l’on ne voit pas comment serait conjurée la discrimination pour motifs religieux dans l’exécution du contrat de travail alors que cette discrimination est sanctionnée par les articles L. 122-45 du code du travail et 225-1 du code pénal.

D’autre part, et c’est le second point de notre argumentation, la liberté de pensée, de conscience et de religion n’a pas la portée générale et absolue que suggère la demande des requérants. S’il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme admet que l’article 9 de la Convention a un effet horizontal, au point de s’opposer par exemple au licenciement par un hôpital catholique d’un médecin s’étant déclaré favorable à l’avortement (Comm. Rommelfanger c/ France, 6 sept. 1989), on peut néanmoins mettre en évidence de nombreux arrêts de la Cour fixant plutôt les limites de la liberté des croyances religieuses.

  • CEDH, Refah Partisi c. Turquie du 31 juillet 2001 portant condamnation de la Charia ;
  • CEDH, Pichon et Sajon c. France DU 2 octobre 2001 relatif à la validation des sanctions infligées à deux pharmaciens pour un refus de vente de produits contraceptifs fondé sur leurs convictions religieuses.

Le troisième et dernier argument justifiant à nos yeux le rejet de la requête par le juge des référés relève du « bon sens ». En effet, la demande du requérant créerait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. L’on ne voit en effet pas comment l’on pourrait donner satisfaction aux locataires de confession juive sans courir le risque d’une discrimination au regard des articles 9 et 11 de la CESDH en ne donnant pas satisfaction à d’autres locataires d’autres confessions qui, sur la question même de l’accès aux immeubles peuvent avoir des demandes d’une autre nature mais néanmoins dictées également par la religion. De la même manière, l’on ne voit pas comment l’on pourrait donner satisfaction aux locataires de confession juive sur la question de l’ouverture des portes sans leur donner satisfaction plus générale sur toutes demandes intéressant la vie de l’immeuble dictées par le respect des croyances au risque de conflits avec les autres locataires de confessions différentes, athées ou agnostiques.

Conclusion 1 (le candidat n’a pas vu ou ne sait pas que la Cour de cassation a déjà statué sur cette question) : « Madame, Monsieur, pour les différentes raisons que nous venons de dire le juge des référés devrait donc raisonnablement rejeter la demande de l’association de locataires ». 

Conclusion 2 (le candidat sait que la Cour de cassation a déjà statué sur un tel cas et le candidat connaît cet arrêt ; dans ce cas celui-ci doit lui servir d’argument d’autorité à la fin de ses conclusions car invoquer cet arrêt dès le début c’est se préparer à disserter sur lui alors qu’il s’agit de rédiger des conclusions) : « Madame, Monsieur, ce sont ces différentes raisons qui ont conduit la Cour de cassation, dans une espèce identique à celle dont nous sommes saisis à conclure précisément….. »

A suivre