Le Grand Oral du CRFPA. La dissertation (III)

I. Les exigences fondamentales de la dissertation

Outre de solides, une bonne composition demande, en toutes circonstances, la mise en œuvre de quelques qualités.

Essayer d’être complet : cela veut dire une connaissance complète du sujet proposé ; elle engage donc à une restitution des connaissances nécessaires à l’argumentation.

Essayer de rester objectif. Les jugements de valeur péremptoires sont à proscrire ; cela ne veut pas dire que des opinions ne peuvent pas être exprimées et défendues mais à la condition d’être étayées par des éléments de connaissance.

Essayer d’être clair. Par définition, c’est le refus de la confusion. C’est aussi la nécessité de démontrer et d’illustrer (des exemples !) toute idée avancée dans le devoir par une référence à un texte précis, à une décision juridictionnelle précise ou à un événement précis.

Être absolument rigoureux. C’est le refus des approximations. En matière de connaissance politique – mais cela vaut également pour la connaissance économique et sociale – chaque mot, chaque groupe de mots a une signification particulière, sinon ne parlerait-on pas de « concepts juridiques », de « concepts politiques », de « notions juridiques » ou de notions politiques. Il est donc important que le candidat ait constamment à l’esprit qu’il sera jugé par des personnes ayant un certain bagage.

Être logique. Une dissertation bien pensée et bien ordonnée doit nécessairement s’organiser à partir d’un point fixe, d’une idée directrice dont découle le reste du raisonnement. Quant à la démonstration, elle doit adopter une progression logique.

II. Les écueils à éviter

La mauvaise délimitation du sujet. Il ne faut étudier que le sujet, rien que le sujet, mais tout le sujet. Par conséquent, il faut éviter la confusion entre le sujet et la matière à laquelle celui-ci se rapporte. Inversement, l’étudiant évitera de n’envisager que trop partiellement le sujet.

La récitation simpliste de connaissances. Comme il arrive souvent que la formulation du sujet se rapproche de l’intitulé d’un chapitre, d’une section ou d’un paragraphe du cours, l’étudiant évitera de restituer ces développements du cours sans envisager les questions pertinentes se rapportant au sujet.

Le temps de composition. L’on peut trouver ce temps long, court ou raisonnable. Il reste qu’un examen est aussi une épreuve physique (vous êtes assis, enfermé dans une salle) et une manière d’éprouver la capacité de l’étudiant à bien composer – ce qui suppose un certain éveil et une certaine attention – pendant le temps qui lui est imparti. Sans qu’il soit possible de fixer une règle en la matière, vous devez néanmoins concevoir une organisation structurée autour des points suivants : temps d’analyse du sujet ; temps de mobilisation des connaissances; temps d’élaboration du plan détaillé ; temps de rédaction (1h30-2h) ; temps de relecture.

Attention à la grammaire et à la syntaxe ! 

III. Typologie des sujets de dissertation en Libertés et droits fondamentaux

1. Une notion, un  principe, une valeur

. Le gouvernement des juges

. Le Conseil constitutionnel

. La liberté

. Le secret

. Le droit à l’enfant

. Le juge d’instruction

. Le devoir de mémoire

. La double peine

. La prééminence du droit

. Le populisme pénal

. Le Patriot Act.

. L’humanisme

. Les frontières de l’Europe

. Les statistiques ethniques

. La délation

. Les polices privées

Observations.

S’il s’agit d’une valeur, d’une notion, d’un principe, l’on attendra de vous que vous mettiez en évidence, notamment : 1. la construction historique de la notion, du principe ou de l’institution en question 2. La place qu’il (ou elle) occupe dans le cadre contemporain 3. les problèmes de principe ou pratiques auxquels il (ou elle renvoie) 4. les moyens de remédier à ces problèmes.

S’il s’agit plus précisément d’une institution juridique, vous devez nécessairement penser à deux choses : 1. quelle est sa place dans le système juridique dans lequel elle s’inscrit : prééminence ou subordination à d’autres institutions ? lesquelles ? à quoi voit-on cette prééminence ou cette subordination? Vous noterez qu’en général dans un système juridique une institution est toujours prééminente sur d’autres institutions et elle-même subordonnée à d’autres, ce qui autorise en général deux sous-parties 2. quel est son rôle dans le système juridique dans lequel elle s’inscrit ? Vous noterez qu’en général l’on analyse le rôle des composantes d’un système institutionnel à partir de ces trois concepts : rôle de contrepoids (si oui, à quoi le voit-on ? comment se manifeste-t-il) – rôle de régulateur – rôle de médiateur.

Nota bene : si le sujet ne renvoie qu’au rôle (« Le rôle du Conseil constitutionnel ») ou à la place d’une institution (« La place de la Cour de cassation, etc.  »), l’on serait « Hors sujet » en traitant de l’autre problème.

2. Deux notions liées par une conjonction additive (« ET »)

. Constitution et liberté

. Internet et libertés

. Torture et preuve judiciaire

. Secret des sources journalistiques et vérité judiciaire

. Tolérance et laïcité

Observations

L’on vous demande de dégager la nature des rapports entre les deux notions, les deux institutions. Trois hypothèses sont logiquement envisageables : 1. Des rapports d’antagonisme ? 2. Des rapports de complémentarité ? 3. Des rapports de consubstantialité ? Ce type de sujet se prête en général à un balancement dialectique entre le 1 (en apparence des rapports d’antagonisme – I) et le 2 (en réalité, des rapports de complémentarité).

3. Deux notions liées par une conjonction supplétive (« OU ») 

. Ordre public ou Liberté ?

. Démocratie ou libéralisme ?

Une proposition comprenant une alternative entre les termes de laquelle il vous est demandé d’exprimer une préférence

. Faut-il préférer…. ?

. Est-il préférable de …. ?

. Faut-il légaliser l’enregistrement et la diffusion des débats judiciaires ?

. Faut-il aider les pays pauvres ?

. Faut-il débattre encore de la peine de mort ?

. Faut-il légiférer sur l’euthanasie ?

Observations.

L’on vous demande de dire votre préférence entre les deux valeurs ou les deux institutions ainsi opposées. Le piège dans ce type de sujet est qu’il renvoie souvent à une alternative entre deux valeurs d’une égale importance pour la démocratie libérale. Quel peut être le sens de la liberté sans ordre ? Quel peut être auj. le sens d’un régime libéral mais hostile au suffrage universel.

Il vous faut donc savoir éviter le piège théorique du sujet pour offrir un balancement dialectique ; par exemple entre la difficulté de faire coexister ces deux valeurs (I) et la possibilité-nécessité de cette coexistence (II).

4. Une question ouverte

. Que pensez-vous de ?

. Existe-t-il une identité européenne ?

. Y a-t-il une vertu de l’oubli ?

. Le droit a-t-il réponse à tout ?

. Qu’est-ce qu’être Français ?

. L’humanisme a-t-il un avenir ?

. Une guerre peut-elle être juste ?

. Quelles politiques d’intégration ?

Observations

Ici vous ne pouvez pas vous permettre d’escamoter la question qui vous est posée. Simplement, avant d’arriver à l’explicitation de votre propre préférence vous devez vous approprier les arguments de la partie adverse pour en montrer les limites, les insuffisances.

IV.  Les sujets de dissertation dits « atypiques » ou « historiques »

 Les sujets dits « atypiques » ou « historiques » proposés au Grand Oral dans certains IEJ demandent au candidat de faire des connexions avec le droit des libertés fondamentales et non de vouloir réciter des connaissances : l’enjeu du grand oral est, pour le candidat, de mettre en évidence la résonance en droit des libertés fondamentales du sujet dont il est saisi. Et tous les sujets authentiquement ou prétendument « atypiques » ou « historiques » se prêtent à des connexions avec le droit des libertés fondamentales.

Les sujets authentiquement atypiques

Ce n’est le cas que lorsque le sujet désigne une notion non-juridique mais soit une institution sociale, soit un objet social, soit une pratique sociale, soit un affect, soit une valeur :

→ Les fleurs (objet social)

→ Le soleil (objet social)

→ L’amitié (valeur)

→ Les jardins (objet social)

→ La fidélité (valeur)

→ L’école (institution sociale)

→ Le sport (pratique sociale)

→ L’hospitalité (valeur)

→ La haine (affect)

→ L’amour (affect)

Des thèmes tels que la confiance, la loyauté, le consentement, la force sont pour leur part d’authentiques catégories juridiques : il suffit de prendre les index des codes pour les y trouver.

En toute hypothèse, le candidat doit faire des connexions avec le droit des libertés fondamentales tel qu’il l’a appris dans le Bréviaire et tel qu’il ressort des codes.

Exemple : Les fleurs.

Connexions :

→ Fleurs et droit à un environnement sain

→ Fleurs et protection de la santé publique (motif de limitation des libertés)

→ Fleurs et droit de propriété (propriété olfactive)

→ Fleurs et règles de civilité (elles sont offertes dans de nombreuses occasions de la vie sociale).

Et puis on peut essayer de concevoir un plan qui regroupe les différentes connexions.

Exemple :

Les fleurs, reflet de la civilité

Les fleurs, reflet du droit au bien-être

La méthode idéale pour concevoir son exposé pour ce type de sujets consiste à partir de deux pistes :

→ les modalités de la reconnaissance par le droit de cet objet social, de cette valeur, de cette institution sociale, de cette pratique sociale, de cet affect (telles que ces modalités ressortent des codes)

Ex. : l’amour = le mariage, l’adoption, les successions, les dons, etc.

Ex. : le sport = le sport comme élément culturel, à l’école, à la télévision – l’organisation par le droit des fédérations sportives – l’encadrement des manifestations sportives.

→ la sanction par le droit des pathologies liées à cet objet social, à cette valeur, à cette institution sociale, à cette pratique sociale, à cet affect (telle que cette sanction ressort de la législation administrative, civile, pénale).

Ex. : l’amour = les interdits liés à certains types d’unions, même fondées sur l’amour

Ex. : le sport = la triche dans le sport – la corruption dans le sport – le racisme dans le sport, etc.

Les sujets prétendument historiques

Le Grand oral porte sur les libertés et les droits fondamentaux. Ce que les candidats (Paris II) appellent « sujets historiques » ce sont en réalité une occurrence historique dont on attend du candidat qu’il dise la résonance qu’il lui trouve en libertés et droits fondamentaux.

Le contresens absolu consiste à penser que sur un sujet tel que « Le procès de Socrate », il s’agit de faire un exposé historique sur le procès de Socrate. En réalité, le candidat doit faire des connexions avec le droit des libertés fondamentales tel qu’il l’a appris dans le Bréviaire et tel qu’il ressort des codes.

Dans le cas du procès de Socrate, si le candidat sait ce dont il s’agit, il devrait logiquement faire des connexions :

→ le procès de Socrate et le droit à un procès équitable

→ le procès de Socrate et la question de la loi injuste (droit de résistance à l’oppression)

→ le procès de Socrate et la liberté de pensée des jeunes (Socrate fut accusé de corrompre la jeunesse par sa pensée philosophique)

→ le procès de Socrate et le pluralisme

A partir de là, on construit un plan cohérent ; et dans son exposé, on s’oblige à faire des allers retours entre le sujet historique et les données juridiques.

Sur un sujet tel que « La Révolution américaine », les connexions envisageables sont nombreuses :

→ La Révolution américaine et les idéaux du libéralisme politique au XVIIIe sècle

→ La Révolution américaine et la Révolution française : la DDHC est le miroir des déclarations des droits des colonies britanniques libérées (bréviaire : déclaration des droits de la Virginie, du Maryland, etc.)

→ La Révolution américaine et l’égalité : hier (esclavage et ségrégation) et aujourd’hui (affirmative action, Obama)

A partir de là, on construit un plan cohérent ; et dans son exposé, on s’oblige à faire des allers retours entre le sujet historique et les données juridiques.

Sur un sujet tel que « Henri IV », les connexions envisageables sont évidentes : guerres de religions, liberté religieuse, séparation des églises et de l’Etat. A partir de là, on construit un plan cohérent ; et dans son exposé, on s’oblige à faire des allers retours entre le sujet historique et les données juridiques.

Henri IV : un acteur de référence dans l’histoire de la liberté religieuse

Henri IV : un moment matriciel dans l’histoire de la séparation des églises et de l’Etat.

Les sujets prétendument atypiques

Il convient d’éviter d’envisager comme « atypiques » des sujets qui le sont d’autant moins qu’ils prennent une catégorie juridique ou une catégorie spécifique du droit des libertés fondamentales. Simplement il importe au candidat de se rappeler deux choses : a) les libertés  ont un effet vertical (relations entre pouvoirs publics et personnes privées) et horizontal (relations entre personnes privées) ; il faut donc penser à ces deux registres lorsque l’on réfléchit sur une dissertation ; b) les libertés ont souvent une dimension transdisciplinaire (c’est elle qui justifie la disponibilités des codes le jour de l’examen) et cette dimension transdisciplinaire ne pose pas de problème si le candidat s’oblige à utiliser les index des codes.

Voici des exemples de sujets qui n’ont rien d’« atypiques » mais demandent simplement au candidat une bonne analyse des termes du sujet et l’établissement des connexions avec le droit des libertés.

Exemple 1. Le domicile

Le candidat ne peut pas ne pas penser immédiatement au droit à la vie privée, aux visites et perquisitions domiciliaires, au droit à un logement décent : tout cela est dans les codes. Et il est loisible en 5 minutes maximum de concevoir un plan du style : I. Le droit au domicile comme droit fondamental II. L’intimité du domicile comme corollaire du droit au domicile.

Exemple 2. Le silence

Le sujet appelle des connexions immédiates telles que : le silence de l’administration à une demande des administrés, le silence des mis en cause dans une procédure policière et pénale (spécialement en garde à vue), le silence et les nuisances sonores rapporté au droit à un environnement sain, etc. Tous ces éléments de connexion de base sont dans les codes (code administratif, code de procédure pénale, code général des collectivités territoriales nuisances sonores, police du bruit, etc.).

En cinq minutes ces connexions sont faites, il ne reste plus qu’à trouver le plan. Il vient aisément comme celui-ci : I. Le silence comme modalité relationnelle entre Administration et Administrés II. Le silence comme modalité du droit à un environnement sain.

Exemple 3 : Minorité et commerce

L’analyse du sujet suggère des connexions immédiates avec les libertés.

« Minorité » = enfants = droits des enfants. → Quid de la faculté des mineurs de faire des actes de commerce ? Quid de la protection des mineurs face aux actes de commerce ?

→ Il suffit de prendre le code civil, le code de commerce et le code pénal pour identifier dans leurs index les règles pertinentes et composer quelque chose.

Exemple 4 : L’entreprise a-t-elle des droits fondamentaux?

Une analyse du sujet permet de faire des connexions avec le droit des libertés fondamentales et d’éviter le piège du sujet (et donc le risque d’un hors sujet). Le sujet n’est pas Les droits fondamentaux dans l’entreprise mais L’entreprise a-t-elle des droits fondamentaux ? ça change tout !

Intro : qu’est-ce qu’une entreprise ? Une personne morale, une personne morale caractérisée par le code du commerce, le code des sociétés, le code du travail… La question n’est pas « les personnes morales ont-elles des droits fondamentaux » : il y a d’autres personnes morales que des entreprises qui sont plus immédiatement liées aux droits fondamentaux (partis politiques, syndicats, associations, congrégations religieuses… etc.).

A partir de l’analyse du sujet et des connexions, l’on peut alors concevoir le plan. Les entreprises sont bénéficiaires plutôt que titulaires des droits fondamentaux
A. Le bénéfice des droits économiques 1. droit de propriété 2. liberté d’entreprendre – avec à chaque fois : protection constitutionnelle, protection conventionnelle + illustrations du style : nationalisations/expropriations et indemnisation – fusions, acquisitions, etc.

Le bénéfice de droits classiques : la liberté d’expression, la liberté de la presse (publications des entreprises, publicité) : protection constitutionnelle, protection conventionnelle + illustrations : publications des entreprises, publicité – La liberté d’association, la liberté syndicale (associations d’entreprises, syndicats patronaux) : protection constitutionnelle, protection conventionnelle + illustrations.

Les entreprises sont bénéficiaires de protections légales dans le cadre de leur responsabilité pénale… (on prend le code pénal et on décline le régime de la responsabilité pénale des personnes morales) en le rapportant aux prescriptions fondamentales du droit processuel et du droit de la sanction (droit à un procès équitable, principe non bis in idem, etc.).

TRES IMPORTANT !

Une bonne introduction doit comprendre trois temps, lesquels peuvent être articulés en trois paragraphes, avant l’annonce du plan :

  • l’analyse du sujet (Voir la colonne 2 du tableau ci-dessus où vous avez des modèles d’analyse du sujet qu’il suffit de reprendre à votre compte) ;
  • l’actualité du sujet, autrement dit les événements de l’actualité institutionnelle et politique qui rendent ce sujet pertinent ;
  • les questions pertinentes soulevées par le sujet (c’est ici que le jury doit entendre des phrases telles que : « l’on peut se demander si… » ; « l’on peut encore se demander si…. » ; « au surplus l’on peut se demander si…. ».).
  • Chaque partie de l’exposé doit correspondre à une proposition principale (Grand I et Grand II), cette proposition principale étant elle-même étayée par deux propositions secondaires (Grand A et Grand B). Il ne faut pas chercher à faire « compliqué », ni sophistiqué. En cas de doute ou si vous voyez le temps filer, choisissez des propositions secondaires simples mais efficaces du genre : A. Les manifestations de la chose/B. L’explication de la chose – A. Les manifestations de la chose/B. La portée de la chose – A. La difficulté de la chose/B. La possibilité de la chose, etc.

Autrement dit : de la même manière que les deux propositions principales doivent se répondre dans un rapport dialectique, les propositions secondaires elles aussi doivent se répondre dans un rapport dialectique.

Ne pas oublier non plus que : les manifestations des phénomènes juridiques sont à classer selon leur nature (manifestations juridiques, manifestations sociologiques, manifestations économiques, etc.) ; de la même manière, l’explication des phénomènes juridiques doit toujours faire l’objet d’une systématisation (explications de type juridique, explications de type sociologique, explications de type politique, explications de type psychanalytique, explication de type anthropologique, etc.).

*

Sujet. L’incrimination de la « prédication subversive ».

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet et d’autres députés « Les Républicains » ont déposé à l’Assemblée nationale le 31 août 2016, une proposition de loi pénalisant la prédication subversive.

Cette proposition de loi est remarquable au premier regard :

  • la proposition de loi est signée par un nombre très faible de députés « Les Républicains ». Autrement dit le groupe « Les Républicains » ne se retrouve pas en elle ;
  • la proposition de loi n’est pas, formellement, l’« interdiction du salafisme » que Mme Kosciusko-Morizet a plusieurs fois annoncé à la télévision : ou bien sa formulation pour les télévisions était-elle du marketing dans le cadre de sa candidature aux primaires ; ou bien a-t-elle pris la mesure de l’absurdité de l’idée générale généralisante d’« interdire le salafisme ». Ou bien les deux (M. Geoffroy Didier expliquait récemment que les parrainages d’adhérents pour sa candidature aux primaires « affluaient chaque fois » qu’il faisait « une proposition choc à la télévision », comme sa proposition d’un « test de radicalisation » pour les adolescents).

L’incrimination envisagée de la « prédication subversive » est une ingérence dans : – la liberté de religion garantie par la Constitution, la CESDH, etc. – la liberté d’expression garantie par la Constitution, la CESDH, etc. ; – le droit à la vie privée ; – la liberté de réunion.

Cette incrimination demande donc à être analysée (discutée) au prisme de sa justification libérale (« test des motifs légitimes de restriction des libertés ») et de sa définition libérale (« test de sa proportionnalité au but poursuivi », etc.).

I. La difficulté d’une justification libérale de l’incrimination de la « prédication subversive »

Par hypothèse, les motifs susceptibles de justifier cette incrimination sont : – la protection de la sécurité nationale ; – la protection de la sûreté publique ; la défense de l’ordre ; – la prévention des infractions pénales.

« Le prêche, l’enseignement et la diffusion des idéologies politico-religieuses radicales constituent réellement une menace pour notre sécurité, ainsi qu’une atteinte aux intérêts fondamentaux de notre Nation », est-il écrit dans la proposition de loi. Cette formulation est floue car le concept de « sécurité » qu’elle utilise peut désigner : – soit la sécurité nationale ; – soit a sécurité publique.

En toute hypothèse, l’admissibilité de ce motif est plaidable, comme son inadmissibilité.

A. Admissibilité du motif tiré de la « sécurité »

→ Le fait qu’il existe bien des prêches apologétiques ou incitatifs de (à) la violence : soit des prêches apologétiques d’actes de terrorisme ; soit des actes apologétiques d’actes de violence vis-à-vis de personnalités dont les opinions sont jugées blasphématoires ou islamophobes (Robert Redeker, par exemple, qui vit depuis plusieurs années sous surveillance policière).

B. Inadmissibilité du motif tiré de la « sécurité »

→ L’absence d’un lien de causalité immédiate entre des prêches hostiles aux valeurs fondamentales de la France et des actes de terrorisme :

  • d’ailleurs l’exposé des motifs de la proposition de loi est très ambigu puisqu’il suggère que, en vérité, ce sont des valeurs particulières promues par la « prédication subversive » qui est le problème, indépendamment de toute considération relative à des actes commis par les prédicateurs subversifs :

« La radicalité politico-religieuse est prêchée, enseignée et diffusée par des prédicateurs qui défendent la supériorité de leurs lois religieuses sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République, en prônant notamment une ségrégation identitaire et communautaire à rebours de l’État de droit ».

  • d’ailleurs la proposition de loi vise spécialement les prêches dans les mosquées alors que la radicalisation est réputée se faire principalement sur les réseaux numériques ;

II. La difficulté d’une incrimination libérale de la « prédication subversive »

La discussion sur la définition libérale de cette infraction emprunte un format classique :

A. Comme il s’agit d’une infraction pénale, les partisans de cette incrimination (ou les plaideurs en sa faveur) voudront démontrer qu’elle ne méconnaît pas le principe constitutionnel de « clarté et de précision des infractions » (ou de « prévisibilité » de la « loi », selon la CEDH). Les adversaires du texte (ou les plaideurs contre lui) voudront montrer qu’il n’en est rien (exemple : qu’est-ce qu’un « principe constitutionnel et fondamental de la République » ? La laïcité de l’état ? Mais en quoi le fait de dire que l’on est contre la laïcité de l’état ou l’égalité entre les hommes et les femmes constitue-t-il un discours plus subversif que celui de l’anarchiste qui veut la fin de l’état lui-même ?)

B. Cette incrimination est-elle proportionnée au but poursuivi ?

– n’existe-t-il pas des réponses non-juridiques et non-limitatives des libertés à certains prêches ?

– n’existe-t-il pas des réponses juridiques alternatives et plus respectueuses des libertés à l’incrimination envisagée ?

*

Simulation Grand oral du CRFPA : Sommes-nous en guerre ?

Madame, Monsieur,

Le sujet dont nous sommes saisis est « Sommes-nous en guerre ? ».

En guise d’introduction, nous voudrions faire deux observations.

Notre première observation porte sur le sens du sujet. A bien y regarder, ce sujet peut se rapporter à la compétition économique mondiale, auquel cas faudrait-il le comprendre ainsi « Sommes-nous en guerre économique ? ». L’on peut très bien aussi se demander si nous sommes « en guerre technologique ». Toutefois, nous nous proposons de saisir ce sujet à la lumière de son actualité la plus immédiate qu’est le terrorisme et la « guerre contre le terrorisme ». La question est donc bien celle-ci : le terrorisme contemporain est-il assimilable à une guerre et qui cette guerre hypothétique engage-t-il ?

Cette question est vaste car, en réalité, elle soulève de nombreuses questions d’ordre philosophique et politique, ainsi que des questions d’ordre juridique. Parmi ces questions, l’on peut citer quelques-unes :

  • Qu’est-ce que la guerre ?
  • Si, par hypothèse, nous sommes en guerre, quels sont nos buts de guerre ?
  • Si, par hypothèse, nous sommes en guerre, jusqu’à quel point sommes-nous prêts aux sacrifices humains qui est le lot des guerres ?

Nous verrons donc que si la qualification du terrorisme comme « guerre » peut sembler opportune (I), elle est néanmoins risquée (II).

I. L’assimilation du terrorisme à la guerre peut sembler opportune

En effet, les actes terroristes sont souvent l’occasion pour les responsables politiques et les médias de dire « nous sommes en guerre ». Cela ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui : au moment des attentats de Paris de 1986, le gouvernement disait déjà « nous sommes en guerre ». Au lendemain des attentats du 11 septembre, le gouvernement américain déclara à son tour qu’« il s’agit d’une guerre ». Ces déclarations ne sont pas nécessairement absurdes si l’on admet, d’une part qu’elles ont une certaine utilité politique (A), d’autre part que le concept de guerre est élastique (B).

Une assimilation politiquement utile

On le sait, l’article 421-1 du code pénal définit comme actes terroristes un certain nombre d’infractions de droit commun lorsque celles-ci sont « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». On sait aussi les problèmes d’interprétation de cette définition peut soulever.

Ce qui nous importe dans le cadre de cet exposé, c’est l’élément de définition du terrorisme consistant dans « l’intimidation » ou la « terreur ». Si cet élément est assez commun aux textes internationaux et européens, c’est parce qu’il permet de dire deux choses :

  • primo, que le terrorisme a des effets politiques ; en cela il n’est d’ailleurs pas original puisque de nombreuses autres infractions pénales peuvent avoir des effets politiques ;
  • surtout, cet élément lié à l’intimidation ou à la terreur permet de dire que le terrorisme a des effets politiques très particuliers. Or le terrorisme a un effet de sidération qui produit une peur sans commune mesure avec la peur que peuvent générer des formes de violence politique traditionnelle telles que des manifestations, des émeutes, des violences urbaines, etc. (1)

C’est dans cette dernière mesure que l’on peut comprendre que les responsables publics puissent parler d’« actes de guerre » à propos de certains types d’actes terroristes : l’on peut comprendre que le concept de guerre soit dans ces cas, une facilité rhétorique qui leur permet, somme toute, de montrer qu’ils ont pris la mesure de la sidération de l’opinion publique et qui leur permette de suggérer qu’ils à la fois une volonté et une capacité d’agir.

Voyons à présent dans quelle mesure le concept de « guerre » lui-même facilite son appropriation dans la question terroriste…

Une assimilation facilitée par le concept même de guerre

Il nous semble que cette assimilation du terrorisme à la guerre est facilitée par plusieurs facteurs.

Le premier facteur est que les auteurs d’actes terroristes peuvent eux-mêmes placer leur action sous ce label. Cela est vrai du terrorisme politique « laïque », comme celui de certains mouvements de libération nationale. Cela n’est pas moins vrai du terrorisme politique religieux d’Al Qaïda, de Daesh ou de Boko Haram. Pour ainsi dire, si « Eux » disent « nous faire la guerre », répondre que « Nous leur faisons aussi la guerre » peut sembler cohérent (2).

Le deuxième facteur est que le concept de guerre s’applique depuis très longtemps à d’autres formes de violence politique que des conflits armés entre des états. Ainsi, le concept de « guerre civile » sert depuis déjà le XIXe siècle à qualifier certaines formes de violence armée à l’intérieur des états : les émeutes, les rébellions, etc. Et ce concept de « guerre civile » a même pu être utilisé lorsque les armes utilisées dans le cadre de ces violences armées n’étaient pas militaires, par exemple les machettes du Rwanda ou les voitures explosives. D’ailleurs, les conventions de Genève n’utilisent pas le concept quelque peu daté de « guerre » mais ceux de « conflits armés internationaux » (CAI) et de « conflit armés non-internationaux ».

Troisième et dernier facteur : il existe désormais des guerres qui ne portent pas leurs noms. C’est ainsi que la France n’est pas en guerre au mali ou à Syrie mais qu’elle agit dans ces pays dans le cadre d’« opérations extérieures » (OPEX).

Après cet effort de compréhension de la proposition « nous sommes en guerre », il faut à présent voir qu’elle comporte des risques importants…

II. L’assimilation du terrorisme à la guerre est néanmoins très risquée

Deux types de risques sont assortis à l’assimilation du terrorisme à une guerre. Le premier type de risque est celui des réponses déraisonnables au terrorisme (A). Le deuxième type de risque est celui de la guerre sans fin (B).

La tentation de réponses déraisonnables

Entre l’emphase guerrière et l’antijuridisme, il n’y a qu’un pas à franchir. Cette première tentation demande à être précisée.

En effet, des restrictions aux droits et aux libertés en vue d’une lutte plus efficace contre le terrorisme peuvent très bien avoir une justification libérale, puisque la sécurité nationale, la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales sont des motifs de limitation des libertés et des droits prévus par la CESDH et que des motifs comparables ne sont pas moins protégés par le Conseil constitutionnel en tant notamment qu’« objectifs de valeur constitutionnelle ». Et il ne suffit pas qu’une mesure ait une justification libérale, encore faut-il qu’elle soit définie par le droit d’une manière qui ne soit pas disproportionnée, à tout le moins, par rapport au but poursuivi.

Cette approche, libérale, est résolument distante de l’antijuridisme. L’antijuridisme en partant du principe selon lequel l’invocation de l’état de droit équivaut à des « arguties juridiques », relativise le principe même de la limitation du pouvoir (policier, étatique) qui est au fondement de l’état de droit et qui exige de regarder les choses au cas par cas. Ou, plus exactement, l’antijuridisme suggère que ce principe est un luxe. À partir de là, tout est possible, comme le rétablissement de la « loi des suspects » pour les « fichés S ».

Une guerre sans fin ?

L’idée de « guerre » est en général associée à celle d’une « fin de la guerre ». Et cette fin est souvent identifiée à des dispositifs juridiques : un traité de paix entre états, un accord de paix, un dispositif de réconciliation nationale, une scission…

Dans le cas du terrorisme contemporain, ce schéma peut être inopérant (B. Manin) en raison du « caractère décentralisé » des organisations terroristes et la forte autonomie des acteurs ou des sympathisants locaux : on l’a vu certains terroristes peuvent avoir un simple lien numérique d’allégeance à Daesh. Cette « décentralisation » emporte elle-même une « dispersion de la menace » qui a deux importantes conséquences :

  • en premier lieu, cette dispersion « implique qu’aucun démantèlement d’un groupe terroriste particulier (…) ne garantirait la fin des dangers liés au terrorisme djihadiste » ;
  • en second lieu, cette dispersion « rend extrêmement difficiles les compromis politiques » (3).

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(1) « La notion de terrorisme est notoirement difficile à définir. On peut cependant discerner un noyau commun aux différentes définitions analytiques du terrorisme. Ce noyau comporte deux éléments. Les actes terroristes sont des actes de violence (1) commis contre des civils ou des non-combattants, et (2) conçus pour avoir un impact sur des publics plus vastes que les victimes directes. Ces publics plus larges, ainsi que les effets recherchés pour chacun d’eux, sont différenciés. Les actes terroristes visent d’abord à intimider l’adversaire, en instillant la peur chez lui. Mais ils ont aussi pour fin d’encourager et de mobiliser des soutiens potentiels en exposant au grand jour les faiblesses de l’adversaire, et en amenant celui-ci à réagir de façon excessive, suscitant ainsi une opposition en retour. Enfin, un troisième objectif est d’inspirer chez les partisans déjà gagnés à la cause le désir d’imiter l’action commise. Les caractéristiques matérielles de l’acte reflètent l’importance donnée à ces différents effets sur les perceptions publiques. Les terroristes choisissent leurs cibles et leurs modes d’action de façon à obtenir la plus large publicité. Les caractéristiques du terrorisme ainsi compris sont indubitablement présentes dans les attentats de la dernière décennie » (Bernard Manin).

(2) Ce point renvoie à la célèbre distinction « ami-ennemi » comme critère du politique (Carl Schmitt) et à la célèbre déclinaison qu’en avait donnée le philosophe Julien Freund lors de la soutenance de thèse de Jean Hippolyte, dirigé en thèse par Raymond Aron.

Aux objections de Julien Freund lui faisant valoir que sa critique de la distinction schmittienne était naïve, Jean Hippolyte répondit :

−  « Sur la question de la catégorie de l’ami-ennemi, si vous avez vraiment raison, il ne me reste plus qu’à aller cultiver mon jardin. »

Réponse célèbre de Julien Freund :

− « Écoutez, Monsieur Hippolyte, vous avez dit […] que vous aviez commis une erreur à propos de Kelsen. Je crois que vous êtes en train de commettre une autre erreur, car vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. »

Réponse célèbre de Jean Hippolyte :

− « Dans ce cas, il ne me reste plus qu’à me suicider. »

(3) « Supposons que les pays visés parviennent à un compromis, impliquant des concessions de part et d’autre, avec la direction d’Al-Qaïda, un tel accord, passé avec des acteurs dont le contrôle sur leur organisation est incertain, n’offrirait pas une garantie suffisante pour que les pays cibles renoncent à leurs dispositifs de sécurité ».

Nouvelles simulations à venir…