La langue française et la loi. Des anglicismes.

Question N° 32571 de Mme Véronique Louwagie (Les Républicains – Orne) publiée au JO le 29 septembre 2020, p. 6564.

Mme Véronique Louwagie attire l’attention de Mme la ministre de la culture sur la question de la valorisation de la langue française. Le Président de la République a annoncé, à plusieurs reprises, sa volonté de redonner à la langue française sa place et son rôle dans le monde. Au-delà des discours et de la consultation citoyenne, la tendance est à une dérive anglicisante de la société influencée par la langue considérée comme internationale : l’anglais. La loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, visant notamment à assurer la primauté de l’usage des termes francophones traditionnels face aux anglicismes, semble rencontrer des limites à l’ère des smartphonesstart-upteam building et autres expressions de langue anglaise intégrées au vocabulaire quotidien des Français. S’agissant d’un élément important de la souveraineté nationale et d’un outil de rayonnement majeur au sein de la francophonie et dans le monde, elle souhaiterait connaître les intentions du Gouvernement sur ce sujet.

Réponse de la ministre de la Culture (JO, le 15 décembre 2020, p. 9218)

Le rayonnement de la langue française, de sa richesse et des œuvres qu’elle porte, est partagé avec 300 millions de francophones, présents sur les cinq continents, comme avec les millions de personnes qui font le choix à travers le monde d’apprendre le français, deuxième langue enseignée sur la planète. En cette année de célébration des 50 ans de la francophonie, il faut considérer que la mondialisation est aussi une réalité linguistique, dans laquelle il importe de veiller à la diversité des langues et des cultures : c’est l’une des missions essentielles du ministère de la culture, partagée avec les autres ministères concernés, en premier lieu desquels le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Le Président de la République, en mars 2018, a lancé sous la Coupole de l’Institut de France un plan d’action répondant à ces enjeux : « Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme », fort de mesures concrètes qui ont mobilisé toutes les énergies depuis lors. Le ministère de la culture a pris toute sa part dans cette approche volontariste pour la promotion de la langue française et de la diversité linguistique. Le chantier de la rénovation du château de Villers-Cotterêts en est l’illustration majeure, qui permettra l’ouverture de la Cité internationale de la langue française en 2022. Le lancement prochain du Dictionnaire des francophones, sous la forme d’une application mobile, interactive et participative, en est un autre exemple : y seront rassemblés plus de 500 000 termes et expressions venus de tout l’espace francophone, mis à la disposition de tous, gratuitement, pour une démonstration sans précédent de la richesse de la langue française dans la diversité de ses expressions.

Ces deux projets, articulés, démontrent que l’innovation et le renouvellement des représentations, pour les jeunes générations notamment, sont nécessaires pour contribuer à la vitalité de la langue. Cet effort de sensibilisation se joue aussi en France même, auprès des concitoyens très attachés à leur langue et au soin que l’on en prend. Le ministère de la culture est le garant de l’application de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi du français, dite « loi Toubon ». Il s’implique au quotidien, à travers la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), pour veiller à la présence et à la diffusion de la langue française dans tous les secteurs de la société. Il conduit ainsi une politique qui vise à garantir aux citoyens un « droit au français » dans leur vie sociale, qu’il s’agisse de la consommation, de la communication dans l’espace public, des médias, du monde du travail ou de l’enseignement. Il mène cette action en lien avec plusieurs autres services et organismes concernés tels que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le ministère du travail, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité… À ce titre, la DGLFLF intervient systématiquement, dès lors qu’elle constate ou que son attention est appelée sur un manquement à ces dispositions légales. Ainsi, elle a récemment alerté plusieurs entreprises et établissements publics sur l’illégalité de dénominations anglaises (passe « Navigo Easy » du syndicat des transports d’Île-de-France – Île-de-France Mobilités, service « Poste Truck » ou « Ma French Bank » du groupe La Poste).

Ce cadre légal est en particulier exigeant avec les institutions et les agents du service public, qui ont des obligations s’agissant de l’emploi de la langue française dans leur activité. Des obligations plus restrictives s’appliquent aux services et établissements de l’État, ainsi qu’aux marques et aux contrats publics. Mais il faut aussi rappeler que cette loi n’a cependant pas vocation à interdire les anglicismes : en France, c’est la liberté d’expression qui prévaut pour le citoyen. C’est donc l’exemplarité et la conscience des enjeux linguistiques qui doivent être rappelées à chacun, décideurs, élus et communicants. On constate ainsi dans nombre de collectivités territoriales une tendance liée à l’essor du « marketing territorial », qui s’est traduit au cours des dernières années par un important développement des slogans et des intitulés en anglais. La DGLFLF entend donc poursuivre et renforcer la sensibilisation des élus à la question de l’emploi de la langue française, élément stratégique pour la cohésion sociale dans les territoires. Les acteurs publics et privés peuvent par ailleurs s’appuyer sur le dispositif d’enrichissement de la langue française, coordonné par la DGLFLF, qui produit chaque année plus de trois cents termes destinés à permettre aux professionnels, notamment du monde scientifique et économique, de disposer de vocabulaires techniques français, afin de pouvoir exprimer toutes les réalités du monde contemporain dans la langue commune, compréhensible par tous. La langue française peut ainsi demeurer une grande langue internationale, riche et vivante.