La photographie saisie par le droit

La photographie est le fait « démocratique » par excellence, avec une progression allant de 84 milliards de photographies en 2001, « âge d’or de l’argentique », à 850 milliards en 2012 à la primo-ère du numérique. « On a donc affaire à un changement total de monde », a fait observer Yves Michaud en réaction à ces chiffres. « D’un monde où la photographie enregistrait et fixait les choses (en guise de choses, il s’agissait, à vrai dire,  surtout de bébés puisque jusqu’en 1960, 50 % des photos prises étaient celles de bébés photographiés avec un Kodak par des parents émerveillés), on passe à un monde où prolifèrent les images. Des images devenues fragiles et flottantes (elles ne seront pas fixées), des images faites à la va-vite parce qu’on n’a plus la contrainte de réussir la photo maintenant qu’a disparu la pellicule qu’il ne fallait pas gâcher vu son prix, des images à la portée de n’importe qui tant la prise en main des appareils est simplifiée par les logiciels, des images qui ne seront plus de « vraies images » puisque les logiciels d’amélioration, de correction et de retouche sont inscrits dans l’appareil photographique lui-même »[1]. Comment le droit saisit-il la photographie ? C’est à cette question que se propose de répondre ce volume, l’ordre public désignant aussi bien les polices légales que la protection du droit d’auteur.

Ordre public symbolique, ordre public matériel

Historiquement, l’appropriation de la photographie par le droit s’est d’abord faite sous le registre de l’ordre public, celui-ci étant entendu à la fois symboliquement avec les polices des « bonnes mœurs » ou matériellement à travers le contrôle policier des individus.

La police légale de la photographie, autrement dit les incriminations liées à des considérations de moralité publique est en effet aussi ancienne que la photographie elle-même. « La production photographique d’images licencieuses fut d’emblée très abondante », fait remarquer Sylvie Aubenas. « En effet, si l’aptitude du nouveau médium à reproduire avec fidélité les détails les plus ténus devait, selon les vœux d’Arago en 1839, s’appliquer d’abord à l’études des hiéroglyphes, de moins purs esprits, mais néanmoins amis des arts, comme l’opticien Lerebours, pensèrent immédiatement à la production de nus académiques pour artistes. La fragile frontière qui sépare les académies des images plus explicitement érotiques, voire pornographiques, fut aussitôt franchie par des photographes sans scrupule, mais pas toujours sans talent. Les daguerréotypes licencieux ne manquèrent pas, mais leur production demeura assez retreinte (…). En revanche, lorsqu’au début des années 1850 débuta la production commerciale de photographies sur papier, permettant la multiplication de l’image à partir d’un négatif de verre, une prise de vue plus rapide et des prix beaucoup plus bas, le commerce des images pornographiques de petit format (cartes de visite, cartes albums, et vues stéréoscopiques) »[2]. Aussi est-ce à l’activisme de la police et des procureurs sous le Second Empire que le Département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale doit de disposer d’une collection de photographies à caractère pornographique saisies dans les ateliers clandestins de l’époque, par les douanes ou retrouvées dans le « rebut des Postes ».

L’usage par l’État de la photographie en vue de l’identification des personnes et, in fine, du contrôle de ses sujets commence lui aussi à la même époque avec la naissance dans les années 1840 de la photographie signalétique. Ce n’est cependant qu’après que la préfecture de police s’est dotée en 1874 d’un service photographique – après avoir d’abord été chargé de commettre des photographies de grands criminels, finira par étendre sa compétence à toute personne arrêtée et écrouée au dépôt de la préfecture de police – et après que ce service a été rattaché au service d’identification anthropométrique en 1888 qu’Alphonse Bertillon « révolutionne » l’identité judiciaire[3].

Après la Première Guerre mondiale, l’usage par l’état de la photographie comme ressource d’identification sort du domaine pénal pour s’étendre au contrôle des déplacements des personnes, d’abord les nomades et l’obligation qui leur est faite en 1912-1913 d’être porteurs d’un carnet anthropométrique, puis les étrangers avec l’obligation qui leur est faite en 1917 d’être porteurs d’une carte d’identité, ces deux documents d’identité étant agrémentés de photographies, comme l’est la carte nationale d’identité à laquelle sont obligés tous les français en 1940. Et, s’il est vrai que depuis la Libération, il n’est pas plus obligatoire d’être titulaire d’une carte nationale d’identité que de l’avoir par devers soi, c’est parce que lorsque la loi dispose que l’identité s’établit « par tout moyen » dans le cadre d’un contrôle d’identité[4], ceux des moyens qui ne sont pas assortis d’une photographie (livret de famille, livret militaire, extrait d’acte de naissance avec filiation complète, carte d’électeur ou de sécurité sociale…) font courir un plus grand risque d’une vérification d’identité – celle-ci étant légalement une rétention policière.

De fait ce sont des documents administratifs d’identité assortis de photographies (carte d’identité, passeport, permis de conduire, carte d’étudiant) qui sont communément utilisés, les résistances à cette universalité de l’identification photographique étant aussi faibles en France qu’elles peuvent être fortes ailleurs[5]. Au demeurant, l’on ne saurait considérer comme une défiance à l’égard de documents administratifs d’identité assortis de photographies la demande formée par certains individus de pouvoir arborer leurs signes d’appartenance religieuse sur lesdites photographies. Ces demandes ont été annihilées par le Conseil d’État lorsque la Haute juridiction administrative a jugé que les pouvoirs publics peuvent exiger l’absence de signes d’appartenance religieuse (foulards, kippas, turban sikh, etc.) sur les photographies figurant sur des documents administratifs d’identité (passeports, carte d’identité, permis de conduire). Ce principe a d’abord été posé par le Conseil d’État dans  une ordonnance de référé rendue le 6 mars 2006, Association United Sikhs et M. Shingara Mann Singh (photographie figurant sur le permis de conduire) avant d’être confirmé dans un arrêt rendu le 15 décembre 2006, Association United Sikhs. Cette restriction à la liberté d’expression religieuse, a jugé le Conseil d’État, repose sur un motif légitime, soit la nécessité de limiter les risques de fraude ou de falsification des permis de conduire « en permettant une identification par le document en cause aussi certaine que possible de la personne qu’il représente ».

Si l’appropriation de la photographie par la défense d’un ordre public matériel a des frontières stables depuis le milieu du XIXe siècle, il en va autrement avec l’ordre public symbolique, des sensibilités nouvelles ayant donné naissance à l’énonciation légale de nouveaux « abus » de la « liberté de photographier » : l’atteinte au droit à l’image des personnes ou au droit à l’image des biens, les « mauvais genres » photographiques définis par la législation pénale au titre de la protection des mineurs ou d’autres intérêts sociaux. Pour deux raisons, ces déplacements juridiques sont rapportés ici à distance de l’habitude prise dans la littérature disponible de déplorer le « déclin » de la liberté ou le « développement de la censure ». D’une part, rapporté à la masse considérable des photographies produites à différents titres, le contentieux de la photographie est statistiquement « insignifiant ». D’autre part, une véritable histoire juridique et sociale des polices de la photographie doit plutôt prendre en compte le chassé-croisé des sensibilités qui fait que des images autrefois disponibles dans l’espace public peuvent avoir cessé de l’être (par exemple des photographies représentant la dissection humaine) et qu’à l’inverse des images autrefois indisponibles dans l’espace public sont désormais banalement et légalement exposées à la vue du public (par exemple des photographies figurant des femmes nues et enceintes, et plus généralement la nudité de sujets masculins ou féminins majeurs).

Étant admis que les représentations photographiques de la violence (même extrême) échappent largement aux rigueurs légales auxquelles sont assujetties les représentations audiovisuelles, la véritable subversion morale et juridique consisterait en la levée des interdits relatifs à la représentation d’activités sexuelles et excrémentielles, soit ces choses « qu’on ne juge pas « immorales » quand on les fait, mais qu’on a tendance à considérer ainsi quand elles sont représentées par des mots, des gestes, des images ou des écrits »[6]. Loin de défendre absolument une telle subversion, Ruwen Ogien n’a pas moins suggéré qu’une distinction initiale est nécessaire entre les représentations d’activités sexuelles et les représentations d’activités excrémentielles dans la mesure où les premières ont « une fonction cognitive » (en l’occurrence nous apprendre des choses dans le domaine du sexe) que les secondes n’ont pas. Toutefois, lorsqu’on s’attend à ce que Ruwen Ogien suggère dans un second temps une distinction au sein des représentations d’activités sexuelles, son propos devient contradictoire : « mon ambition », écrit-il « n’est pas de « sauver » une partie des représentations sexuelles explicites : c’est de contester la présomption d’immoralité qui les frappe toutes »[7]. Il ne poursuit pas moins, dans une rhétorique différentialiste, qu’« à [son] avis, les seules limites légales et morales à la fabrication, à la diffusion et à la contemplation de représentations sexuelles explicites ne peuvent être que celles qu’on peut imposer aux offenses en général »[8].

Amateurs, Professionnels, Artistes

La photographie est donc ouverte à un très large public. Mais le droit y différencie par ailleurs des pratiques professionnelles, celle des artisans-photographes – qu’ils exercent en boutique ou disposent de studios au service de personnes physiques ou morales ou qu’ils soient photographes-filmeurs – celle des photographes reporters d’images, celle des artistes photographes.

Au début du XXe siècle, alors que le droit à l’image des personnes avait fini de s’installer dans le droit français – l’influence allemande et italienne aidant[9] − les photographes-filmeurs furent les premiers professionnels à soulever des questions de droit ardues à la faveur des barrages administratifs opposés par des maires ou par le préfet de police à Paris aux « photographes opérant sur la voie publique » encore qualifiés de « photographes qui prennent par surprise la photographie des passants dans les rues ». Lorsqu’une circulaire du préfet de police en date du 11 mai 1927 interdisait purement et simplement la profession de photographe-filmeur à Paris, rien de tel n’existait en province. Ce n’est qu’à la Libération que cette profession prospéra dans le midi de la France, provoquant des récriminations des photographes en boutique pour concurrence déloyale et pour « discrédit jeté sur la profession de photographe ». Aussi des maires conçurent-ils ou bien d’interdire à des photographes professionnels de prendre des photographies des passants sur la voie publique ou bien de soumettre l’exercice de cette profession à un régime d’autorisation particulièrement vexatoire.

Tel qu’il est étudié dans les facultés de droit, le contentieux des interdictions municipales de la profession des photographes-filmeurs est entièrement réductible à la question de la liberté du commerce et de l’industrie et des conditions dans lesquelles cette liberté peut faire l’objet de restrictions. Or cette dimension était assez accessoire puisque le problème juridique initial était celui de l’admissibilité d’une police administrative de « la prise même (de) clichés » de personnes, concurremment à la protection civile de leur droit à l’image. En 1950, le tribunal correctionnel de Grasse, statuant sur une exception d’illégalité soulevée contre un arrêté du maire de Grasse réprimant d’une contravention l’exercice de la profession de photographe-filmeur, avait conclu qu’« il est (…) en soi, licite, à raison des abus de toute sorte auxquels peuvent donner lieu la prise sur la voie publique et par surprise de photographies de passants non avertis et non consentants, de l’interdire ou de la limiter ; (…) ce pouvoir de réglementation du maire répond à la nécessité d’assurer le respect de la personne humaine et la liberté de la clientèle »[10].

Le doyen Jean carbonnier ne s’y était pas trompé lorsqu’il fit valoir que l’idée d’un préjudice pour le photographié « dans le seul fait de la photographie – indépendamment (…) de tout danger de publicité ultérieure » consacrait un vision « prélogique » du droit, « car pour en arriver là, il faut sans doute commencer par le déclarer [l’individu] propriétaire de son corps ; et puis, de ses traits on fera une sorte d’émanation, voire une parcelle de son corps, comme dans la mentalité prélogique, où, en vertu d’une loi de participation, l’image, raconte Lévy-Bruhl, est consubstantielle à l’individu, où mon image, mon ombre, mon reflet, mon écho, c’est littéralement ma personne, où celui qui possède mon image me tient magiquement en son pouvoir »[11]. C’est ce raisonnement que s’approprie explicitement le rapporteur public (« commissaire du gouvernement ») François Gazier pour convaincre le Conseil d’État de décider en 1950[12] que les maires portaient atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et excédaient leurs pouvoirs aussi bien en subordonnant l’exercice de la profession de photographe-filmeur à la délivrance d’une autorisation ou en l’interdisant « de façon générale et absolue »[13].

La distinction des photographes reporters d’images est pour sa part formellement accessoirisée en France à l’obtention de la qualité de « journaliste-professionnel » – autrement dit de la « carte de presse » − dans les conditions définies par le code du travail. En effet, si l’article L 7111-3 du code du travail entend par « journaliste professionnel » − cette labellisation juridique étant assortie de droits sociaux, de privilèges fiscaux et pénaux  − toute personne « qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources », l’article L 7111-4 du même code précise que « sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle »[14].

Le développement exponentiel de la photographie amateur a été sans préjudice de la photographie d’art, qui n’est pas moins prospère. L’enjeu de la labellisation artistique s’est d’abord posé indépendamment de toute considération juridique mais de reconnaissance à l’intérieur même du champ artistique et eu égard de ce que la photographe paraissait irréductible à la technique. De fait, tout en défendant à la fin du XIXe siècle l’idée que « la photographie n’est pas un procédé mécanique autonome mais un ensemble d’opérations physico-chimiques où l’artiste intervient en dosant, filtrant, tamisant et adoucissant matières, ombres et lumières, et en choisissant son sujet et le cadre »[15], les pictorialistes considéraient encore la peinture comme « une référence et une source d’inspiration »[16].

Pour être aussi ancienne que la photographie elle-même, la question de la distinction de la photographie d’art et de la photographie profane n’est pas moins saisie par le droit, la gageure étant pour des États démocratiques et libéraux qu’ils ne peuvent revendiquer et/ou consacrer une définition substantialiste de ce qu’est une œuvre d’art. De la même manière que les idéologies officielles sont en principe incompatibles avec la liberté d’expression, les esthétiques officielles sont incompatibles avec la liberté artistique – ce qui ne veut certes pas dire que factuellement il n’existe pas des « appareils idéologiques d’État » ou des esthétiques ayant les faveurs des décideurs publics. Il reste que le droit des États démocratiques et libéraux ne définit pas ce que serait constitutivement une œuvre d’art : il est théoriquement aveugle au fait de savoir si le beau est le critère unique, ultime ou indépassable de l’art (et, par suite, à l’étalonnage de cette valeur) ; loin encore des représentations populaires, il fait de l’originalité un point de fixation des droits de l’auteur (droit de la propriété intellectuelle) et non un élément d’évaluation de la qualité d’une œuvre (esthétique).

La circonscription par le droit de la photographie d’art n’a d’ailleurs véritablement d’importance que dans le cadre des politiques publiques de promotion de l’art et de la création artistique, puisque le marché de l’art pour sa part peut fonctionner sans critères formalisables contractuellement de l’œuvre d’art. Il reste que même dans les contextes normatifs dans lesquelles les personnes juridiques publiques (état, collectivités territoriales, établissements publics, entreprises publiques) font de la photographie d’art un objet de leurs politiques, celle-ci n’est pas définie.

Le premier contexte est celui des politiques publiques en matière culturelle, lorsque l’État conçoit par exemple, à travers le Centre national des arts plastiques, « de soutenir et de promouvoir la création artistique dans ses différentes formes d’expression plastique, y compris la photographie, les arts graphiques, le design et les métiers d’art, de [concourir] à l’enrichissement et à la valorisation du patrimoine artistique contemporain de l’état par des acquisitions et commandes d’œuvres d’art plastique et la diffusion de celles-ci, [de contribuer], pour la création contemporaine, à la valorisation et à la transmission des techniques anciennes des métiers d’art et à l’application des technologies et matériaux nouveaux, [d’apporter] son soutien aux artistes plasticiens, aux professionnels du secteur de l’art contemporain et au développement de leurs activités, [de mettre] en œuvre des actions de formation du public et des professionnels dans son domaine d’activité »[17]. À ce titre, comme tous les arts plastiques, la photographie d’art fait l’objet de commandes publiques (de l’État, comme des collectivités territoriales), elle a accès aux subventions publiques pour des expositions, des actions de promotion, des activités d’édition.

Le deuxième contexte est fiscal, avec la dation de photographies d’art (ou ayant une valeur historique) en paiement de dettes fiscales (droits de succession,  droits sur les mutations à titre gratuit entre vifs, droits de partage, impôt de solidarité sur la fortune), le régime spécial de taxation sur la valeur ajoutée applicable aux biens d’occasion, œuvres d’art, objets de collection et d’antiquité (sont notamment considérées ici comme œuvres d’art les «- photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus »), ou l’exonération de la cotisation foncière des entreprises (taxe professionnelle) des photographes auteurs « pour leur activité relative à la réalisation de prises de vues et à la cession de leurs œuvres d’art au sens de l’article 278 septies ou de droits mentionnés au g de l’article 279 et portant sur leurs œuvres photographiques ».

Cette nomenclature juridique des pratiques professionnelles de la photographie ne se recoupe pas avec les nomenclatures à caractère sociologique ou économique[18]. Par exemple la photographie anthropologique ou ethnologique des chercheurs n’est légalement pas un exercice professionnel de la photographie. D’autre part, les artistes-photographes ne représentent finalement qu’une forme de distinction étatique au sein d’un ensemble professionnel dit d’auteurs photographes travaillant pour des annonceurs (directement ou indirectement via des agences de communication) ou pour des agences de mannequins. Au demeurant, les photographies de presse, d’édition ou de publicité peuvent aussi bien être le fait d’auteurs photographes, de photographes reporters d’images, d’artisans photographes, voire de photographes amateurs dont les droits ne sont pas moins protégés que ceux des professionnels, même si c’est à propos de ces derniers que se posent d’importantes questions de protection effective de leurs droits d’auteurs. D’où le Manifeste pour les Photographes promu en 2012 par l’Union des Photographes Professionnels.

« L’avènement du numérique », faisait valoir ce texte, « a ouvert le marché à la concurrence d’offres de photographies low cost, ou gratuites, proposées par des entreprises étrangères, microstocks (ex : Fotolia) ou hébergeurs (ex : Flick’r). Ce dumping, initié par des sociétés américaines, a fragilisé les structures et le fonctionnement même de ce secteur économique. Les grandes agences françaises ont globalement disparu ou souffrent de difficultés économiques, et le métier de photographe s’est précarisé. Cette crise de la valeur des droits patrimoniaux touche le cœur même de ce secteur d’activité à savoir le photographe professionnel. En parallèle, les diffuseurs, qu’ils soient des éditeurs de presse, agences de publicité ou clients corporate, imposent des contrats de cessions de droits de plus en plus larges, intégrant des exploitations numériques. Mais les photographes professionnels ne voient pas leur rémunération augmenter, bien au contraire, et leurs charges augmentent. La loi, qui garantit en principe une protection particulière aux auteurs, est régulièrement bafouée et n’assure pas une protection satisfaisante de ce secteur d’activité (…) »[19]. Entre autres enjeux réformistes de ce débat sur la « valeur économique équitable et raisonnée » de la photographie, il y a ainsi la création d’une présomption légale d’originalité des œuvres utilisées à des fins professionnelles, la protection effective des œuvres photographiques orphelines, la création d’une présomption légale de caractère onéreux de l’usage professionnel d’œuvres photographiques, l’institution de barèmes minimums de prix pour les cessions de droit sur les œuvres photographiques, l’institution d’une rémunération obligatoire (et assortie d’une gestion collective) des auteurs à l’occasion des présentations publiques, « à l’exception toutefois de celles rendues nécessaires pour les ventes de leurs œuvres (galeries, ventes aux enchères, etc.) avec mise en place ».

NOTES

[1] Yves Michaud, « Le déluge des images », 14 février 2013 : http://www.philomag.com/blogs/philosopher/le-deluge-des-images

[2] Sylvie Aubenas, « Les Photographies de l’Enfer », in L’Enfer de la bibliothèque. Eros au Secret, Bibliothèque nationale de France, 2007, p. 249-250.

[3] Préfecture de police, « Historique de la police scientifique » : http://www.police-scientifique.com/historique – Pierre Piazza (dir.), Aux origines de la police scientifique. Alphonse Bertillon, précurseur de la science du crime, Paris, Karthala, 2011 ; Jens Jäger, « Photography: a means of surveillance ? Judicial photography, 1850 to 1900 »in Crime, Histoire & Sociétés, 5, 1, 2001, p. 27-51.

[4] Article 78-2 du code de procédure pénale.

[5] Il s’agit des états-Unis, pour ne pas les citer. Voir Craig Robertson, The Passport in America. The History of a Document, Oxford University Press (USA), 2011. Voir également le débat contemporain sur l’authentification des électeurs par la présentation de documents d’identité assortis de photographies, in Le droit américain dans la pensée juridique française contemporaine (Pascal Mbongo & Russell L. Weaver, dir.), Institut universitaire Varenne-LGDJ, 2013.

[6] Ruwen Ogien, La liberté d’offenser. Le sexe, l’art et la morale, La Musardine, 2007, p. 57.

[7] Ibid., p. 100.

[8] Ibid.

[9] Voir par exemple Rennes, 23 novembre 1903, D. P. 1905.2.69. Voir René Savatier, Traité de la responsabilité civile, 2e édition, tome 2, n° 534 ; Henri Fougerol, La figure humaine et le droit, thèse, Paris, 1913 ; Roger Nerson, Les droits extrapatrimoniaux, thèse, Lyon, 1930, n°s 74 et s. L’article 10 du code civil italien prohibait alors déjà l’« abus de l’image d’autrui ».

[10] Tribunal correctionnel, Grasse, 8 février 1950, Recueil Dalloz, 1950, p. 712, note Jean Carbonnier.

[11] Jean Carbonnier, Recueil Dalloz, 1950, p. 714.

[12] Conseil d’État, 22 juin 1951 (2 arrêts) : Daudignac  (1re espèce) – Fédération nationale des photographes-filmeurs (2è espèce), Recueil Dalloz, 1951, p. 589-593

[13] L’activité irrégulière de photographe-filmeur sur la voie publique est sanctionnée pénalement dans les conditions définies par l’article R. 644-3 du code pénal.

[14] Sur l’interprétation de ces dispositions par la Commission de la Carte d’identité des journalistes professionnels et par les juges, voir Philosophie juridique du journalisme. La liberté d’expression journalistique en Europe et en Amérique du Nord, Pascal Mbongo (dir.), Mare et Martin, 2011.

[15] David Rosenberg, Art Game Book. Histoire des Arts du XXe siècle, Assouline, 2003, p. 86.

[16] Ibid.

[17] Décret n° 82-883 (modifié) du 15 octobre 1982 portant création du Centre national des arts plastiques. Voir également l’arrêté du 19 décembre 1985 (modifié) portant création d’une commission consultative de la création artistique compétente en matière de photographie.

[18] Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux, « Économies des droits d’auteur. IV – La photographie », Ministère de la culture et de la communication (DEPS), Culture études, 2007/7 – n°7. Article disponible en ligne à l’adresse:

http://www.cairn.info/revue-culture-etudes-2007-7-page-1.htm

[19] http://www.upp-auteurs.fr/actualites.php?actualite=689