Judaïsme orthodoxe hassidique. De l’« intérêt de l’enfant » en cas de divorce pour incompatibilité de mœurs (Weisberger v. Weisberger, 2017).

Le judaïsme orthodoxe (ou ultra-orthodoxe comme l’est le hassidisme) fait advenir devant les juridictions civiles américaines un certain nombre de litiges mettant en balance la liberté de religion et un ou plusieurs autres droits ou intérêts protégés. Il en a été ainsi de la « controverse de la circoncision » ou des litiges relatifs à l’Eruv. Tel n’est pas moins le cas avec l’affaire Weisberger v. Weisberger jugée en 2017 par la cour d’appel de l’État de New York.

Naftali H. Weisberger et Chava Weisberger se sont mariés en 2002 alors qu’ils étaient à peine âgés de 20 ans et après avoir fait connaissance chez un shadchan(intermédiaire en mariages juifs) de la petite ville de Monsey, soit une ville de l’État de New York où est installée une importante communauté juive orthodoxe et où leurs familles respectives appartenaient à l’Emunas Yisroel, une branche du judaïsme orthodoxe hassidique.

Après leur mariage, Naftali et Chava Weisberger s’installèrent à Boro Park, un quartier de Brooklyn, de manière à permettre à l’époux de poursuivre ses études religieuses. Aussi Naftali Weisberger quittait-il le domicile conjugal chaque matin pour ne rentrer que le soir, les enfants étant couchés. Le couple eut trois enfants (un garçon et deux filles), qu’ils élevèrent initialement dans le strict respect des croyances et des rites hassidiques. Dans cette mesure, le domicile familial était « strictement casher », les uns et les autres ne s’exprimaient qu’en yiddish, ne dérogeaient jamais à l’observation de shabbat et ne s’habillaient qu’en vêtements traditionnels, la conviction de Naftali Weisberger étant inébranlable que le hassidisme interdisait de porter des T-shirts ou des shorts, de la même manière qu’il interdisait de couper les cheveux des garçons avant qu’ils n’aient atteint l’âge de trois ans. Autant d’interdits auxquels s’ajoutait celui de toute présence de la télévision ou d’internet à la maison.

Le mariage de Naftali et de Chava Weisberger péréclite en 2003 lorsque l’épouse confie à son époux son « indisposition à des relations sexuelles avec des hommes ». Le couple conçut d’abord de faire appel à un thérapeute et à un rabbin. Et, bien que Naftali Weisberger ait fait part à son épouse de ce qu’il consentait à lui accorder un Get (un divorce juif), ils se résolurent à sauver les apparences à travers un compromis aux termes duquel Chava Weisberger n’était tenue d’agir et d’apparaître selon les règles du hassidisme que lorsqu’elle était à la maison, au milieu des deux familles ou dans leurs sociabilités respectives.

En 2008, le couple se décide à un nouveau compromis, plus formel, puisqu’il consista à introduire dans leur contrat de mariage des stipulations consignant les « accommodements » auxquels l’un et l’autre s’obligeait, aussi bien dans « l’intérêt des enfants » que dans l’intérêt de « l’honneur » du père auprès de la communauté orthodoxe en général et de la communauté hassidique en particulier. Ainsi, la résidence principale des enfants serait le domicile de la mère, le père aurait d’abord droit à deux heures de visite par semaine, puis à trois heures de visite par semaine de son fils lorsque ce dernier aurait eu huit ans et ce dans l’intérêt de ses études religieuses, le père n’avait pas moins droit à une visite hebdomadaire au titre de shabbat, entre le vendredi soir et le samedi soir, ainsi que deux semaines de garde consécutives durant l’été. Quant aux gardes pendant les vacances et les jours fériés, elles devaient obéir à un principe d’alternance.

Le 6 mars 2009, le couple Weisberger divorce. Un mois plus tard, Naftali Weisberger épouse une autre femme, avec laquelle il eut immédiatement de nouveaux enfants. Dans la foulée de ce nouveau mariage, il ne consentit plus, pendant dix-huit mois, à recevoir chez lui les enfants nés de son premier mariage, ni même à leur rendre la visite hebdomadaire liée à shabbat. Ses relations avec sa première épouse se détériorèrent encore plus à partir de 2012, après que Naftali Weisberger apprit que son ex-épouse fréquentait désormais un transsexuel. Ses enfants ne lui firent pas moins savoir que seul un paravent séparait leur chambre de celle du couple formé par sa mère, que l’ami de celle-ci s’obligeait à être présent lorsqu’ils prenaient leur bain et les instruisait des différentes ressources sexuelles du corps humain. Naftali Wisberger ne fut pas moins contrarié d’apprendre que son ex-épouse habillait désormais leurs enfants de manière « laïque », qu’elle avait fait couper les payos du garçon, qu’elle les avait inscrits dans des écoles dans lesquelles l’on parlait l’anglais, qu’elle ne leur faisait plus faire leurs prières ni manger casher, qu’ils regardaient désormais des films, « y compris des films sur Noël », qu’ils chassaient même des œufs de Pâques « comme les autres enfants », qu’ils avaient pu lire des livres dans lesquels les enfants avaient deux pères, ainsi que des livres avec des récits sur l’homosexualité.

Naftali Weisberger voulut donc un nouvel accord avec son ex-épouse relativement aux enfants. Il saisit la justice à cette fin, en invoquant un changement de circonstances dû au passage de la mère d’un strict mode de vie orthodoxe hassidique à un mode de vie plus « progressiste » et « séculier » qui, tout en étant juif, ne faisait plus de la religion un facteur primordial dans la détermination de la garde des enfants. Aussi demanda-t-il au juge de lui accorder la garde exclusive des enfants (autrement dit un transfert de leur résidence) sous réserve d’un droit de visite limité de la mère, de lui accorder le pouvoir exclusif de décision sur les questions relatives à la santé des enfants (questions médicales, soins dentaires, santé mentale, etc.), de rendre effectives les stipulations de l’accord initial relatives à l’obligation pour la mère de respecter les règles et les rites hassidiques dans toutes les circonstances où les enfants étaient sous la garde de leur mère. La mère répliqua en demandant pour sa part la modification des clauses religieuses de l’accord de 2008, notamment celles relatives aux visites et à la garde des enfants pendant les vacances : elle souhaitait voir le tribunal décider que le père ne pourrait plus avoir de droit de visite que pour toutes les fêtes juives et qu’il ne pourrait plus avoir de garde que pendant deux semaines au cours des vacances d’été ; elle aurait pour sa part un droit de visite pendant tous les congés scolaires non-religieux, sauf pendant les deux semaines d’été réservées au père.

La juridiction de première instance accéda à l’essentiel des demandes du père, en se prévalant de ce que les parties s’étaient mises d’accord en 2008 pour que la mère, lorsque les enfants étaient sous sa garde, les élève selon les croyances et les rites hassidiques. Ce qui revenait à dire que la mère ne pouvait se prévaloir de sa prise de distance vis-à-vis du judaïsme orthodoxe et de son changement d’orientation sexuelle pour revenir sur son acceptation initiale d’élever les enfants dans le respect des convictions et des rites hassidiques.

Saisie par la mère, la cour d’appel conclut le 16 août 2017 qu’il y avait bien eu un changement de circonstances justifiant le réexamen de la situation des enfants en matière de visite et garde parentales, mais elle considéra que dans sa détermination de l’« intérêt de l’enfant », le premier juge, avait accordé plus d’importance à la religion qu’il n’aurait fallu et ne s’était pas montré aveugle à l’orientation sexuelle de la mère, alors que d’une part, l’orientation sexuelle des parents doit être exclue de ces questions et que, d’autre part, les facteurs d’admissibilité par le juge d’un changement des règles de garde parentale au regard de l’« intérêt de l’enfant » devaient tenir principalement à des considérations telles que la qualité de l’« environnement domiciliaire » hypothétique, l’aptitude du parent vouée à avoir la garde de pourvoir au « développement émotionnel et intellectuel de l’enfant ». Vraisemblablement la cour d’appel savait-elle que dans ce type de débats, il est régulièrement allégué que l’« identité religieuse » dans laquelle les enfants sont nés est une composante de leur « développement émotionnel » (voir, mutatis mutandis, en matière de circoncision religieuse, l’« intérêt supérieur de l’enfant » à hériter d’un important marqueur de l’identité « culturelle » de ses parents), au point que le droit des parents à voir leurs enfants être « instruits » dans le respect de leurs convictions religieuses à eux parents est consacré par des instruments internationaux. Aussi la cour d’appel poursuit-elle en faisant valoir que sa préférence pour des critères d’évaluation de l’intérêt de l’enfant que l’on peut qualifier de laïques ne voulait pas dire qu’il serait idéal que les enfants fussent « complètement détachés de la foi dans laquelle ils sont nés et ont grandi ».

De cette dialectique quelque peu sommaire, la cour d’appel conclut qu’il était dans l’intérêt des enfants Weisberger… de bénéficier d’un statu quo quant à l’importance du hassidisme dans leur éducation, puisque tel est le contexte dans lequel ils ont grandi (fréquentation d’écoles et de sociabilités hassidiques, relations familiales hassidiques…). Ce qui … ne revenait pas à accorder au père la garde des enfants, comme en avait décidé la juridiction de première instance, mais à obliger la mère à respecter les choix du père en matière d’éducation des enfants, à leur faire respecter les règles du hassidisme lorsqu’ils sont sous son autorité ou à travers des écoles revendiquant cette affiliation religieuse, à leur offrir un hébergement et une alimentation casher. C’est plutôt d’abord le droit de visite du père que la cour d’appel élargit quelque peu (les enfants seraient sous sa garde pendant les « vacances juives », sans que la cour précise s’il s’agissait aussi bien des vacances majeures [Pourim, Pessah, Chavouot, Tisha Beav, Rosh Hachana, Yom Kippour, Souccot, Sim’hat Torah, Hanoucca…] que des vacances mineures (*)) ainsi que son droit de garde résiduel (deux semaines consécutives pendant les vacances d’été).

Il resta à la cour d’appel, dans le style ecclésial caractéristique du langage des juridictions chargées des affaires familiales, de conjurer les parents Weisberger de ne pas laisser se développer chez leurs enfants de mauvais affects pour l’un ou l’autre de leurs géniteurs.

24 juin 2018.

(*) Etant par ailleurs admis que le judaïsme lui-même distingue entre fêtes (et donc vacances) « toraïques » et fêtes (et donc vacances) « rabbiniques ».

Lire la décision Weisberger v. Weisberger