Chose lue : Jean-Pierre Dupuy, « Misère scientifique dans l’intelligentsia française », Cités, 2022.

« Le face-à-face entre le sociologue Bronner et le sociologue Latour résume la misère de l’intelligentsia française. Le rationaliste centriste et l’épistémologue gauchiste partagent une même prémisse : il n’y a de croyances que de croyances non rationnelles.

Le premier veut les chasser ; le second les tient pour irréductibles, au motif que c’est ainsi que les scientifiques, sans s majuscule, travaillent.

Les sciences sociales à la française ont ceci de bon que, quel que soit leur désir de scientificité, elles conservent un substratum philosophique qu’elles ne craignent pas de revendiquer.

Comment alors expliquer que nos sociologues aient oublié leur Platon ? Ils devraient se souvenir que, dans le 𝘛𝘩𝘦́𝘦́𝘵𝘦̀𝘵𝘦, celui-ci définit le savoir comme croyance vraie justifiée.

Et, sauf s’ils sont fâchés avec la philosophie analytique de l’esprit, ils savent que cette dernière a repris et considérablement raffiné cette définition.

Le savoir des scientifiques est 𝘱𝘢𝘳 𝘥𝘦́𝘧𝘪𝘯𝘪𝘵𝘪𝘰𝘯 croyance, ce que Bronner s’interdit d’envisager, mais leurs croyances sont, peuvent et doivent être rationnelles, tournées vers la quête de la vérité, ce que Latour feint d’ignorer.

Dire que le savoir implique la croyance, c’est dire qu’on ne peut savoir si l’on ne croit pas. Il est aussi ridicule de vouloir extirper la croyance de la connaissance (Bronner) que de rabattre la connaissance sur la seule croyance (Latour).

Dans le savoir, il y a autre chose, qui est la vérité – le goût et la quête de la vérité, qui est aussi la quête de sens. Ces mots sont inaudibles par la sociologie 𝘩𝘢𝘳𝘥 des sciences. »

Jean-Pierre Dupuy, 𝘔𝘪𝘴𝘦̀𝘳𝘦 𝘴𝘤𝘪𝘦𝘯𝘵𝘪𝘧𝘪𝘲𝘶𝘦 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭’𝘪𝘯𝘵𝘦𝘭𝘭𝘪𝘨𝘦𝘯𝘵𝘴𝘪𝘢 𝘧𝘳𝘢𝘯𝘤̧𝘢𝘪𝘴𝘦, Cités, n° 90, 2022.