Langue française. Histoire. Joseph de Mourcin et les Serments de Strasbourg (842)

Les Serments de Strasbourg sont le premier texte connu en roman, ce dernier étant analysé comme étant l’ancêtre du français. « À peine issue du latin au IXe siècle, peut-on désormais lire couramment, la langue française fut écrite, dans un contexte éminent et à des fins politiques (Serments de Strasbourg, 842) ; c’est singulièrement tôt. Un petit-fils de Charlemagne, prince diplomate, guerrier latiniste, eut l’idée de son usage écrit ; Nithard est l’inventeur de la langue française. Il en fut aussi le premier écrivain : la littérature en français est née de son chagrin. L’essor du français et de ses Lettres doit donc beaucoup à Nithard, envers qui les siècles se sont montrés ingrats avec constance » (Bernard Cerquiglini, L’Invention de Nithard, Editions de minuit, 2018).

Bien que cette présentation soit discutée par des linguistes, des historiens et des historiens du droit, elle rend néanmoins compte de ce que ce document a quitté depuis quelques années la littérature savante (notamment l’historiographie de la langue française) pour faire partie de la mémoire de la langue française, voire de la culture générale. Ce cheminement doit notamment à Joseph de Mourcin (1784-1856), un authentique savant périgourdin. Bien que docteur en droit, c’est plutôt en tant qu’helléniste que de Mourcin fut consacré par ses pairs et ses contemporains. Le juriste et helléniste s’est avisé de ce que les Serments de Strasbourg  semblaient ne pas être connus des acteurs de la discussion linguistique sous la Révolution, le Consulat et l’Empire. Aussi leur consacra-t-il une étude  en 1815 une étude qui aida à leur « visibilisation ». A partir de l’œuvre de Nithard, il en proposa une traduction en français, avec des notes grammaticales et critiques, des observations sur les langues romane et francique.

« Depuis la renaissance des lettres, écrit-il, plusieurs savants se sont livrés avec succès à l’étude du moyen âge ; mais, toujours occupés des monuments latins, presque tous ont dédaigné le langage rustique (lingua rustica velromana), que nos pères ont parlé pendant plus de huit siècles, et qu’on doit regarder comme le passage de la langue de Virgile à celle de Racine et de Fénelon. À peine quelques hommes ont daigné le suivre dans ses changements continuels ; aussi on voit les autres errer à chaque pas, soit qu’ils veuillent traduire ce langage qu’ils n’entendent point, soit qu’ils traitent de l’origine de notre langue actuelle ou de sa grammaire.

Je n’entrerai point ici dans de longs détails pour prouver son utilité ; les esprits sages savent l’apprécier : je me bornerai à faire connaître d’une manière exacte le plus ancien monument que nous ayons dans cette langue : je veux parler des serments que Louis-le-Germanique et l’armée de Charles-le-Chauve prêtèrent à Strasbourg en 842. Les mêmes serments furent faits en langue francique par Charles et l’armée de Louis. Je les rapporterai aussi : ils me serviront à expliquer les premiers, dont ils ne sont que la copie. D’ailleurs, comme les uns et les autres ont toujours été mal lus et mal entendus, je crois utile de remettre, autant qu’il sera possible, dans son intégrité cet ancien et précieux monument (1).

Publié par Bodin en 1578, ce fragment de notre ancienne littérature a été cité et commenté depuis par un grand nombre de savants. Fréher est le premier qui en a donné une dissertation ; elle parut au commencement du XVIIe siècle, et se trouve dans le Rerum germanicarum aliquot Scriptores. C’est la seule qu’on puisse citer jusqu’à l’année 1751, que Bonamy fit de ces serments le sujet d’un long et intéressant mémoire ; mais peu familiarisé avec les principes de la langue romane, cet académicien distingué n’a pas même su toujours profiter des leçons de ceux qui l’avaient précédé.

J’ai donc cru pouvoir remettre l’ouvrage sur le métier ; j’ai revu le manuscrit, je l’ai collationné avec grand soin , et y après en avoir fait la traduction, j’ai donné la valeur, la prononciation et l’étymologie de chaque mot ; ce qui m’a conduit à plusieurs règles générales sur la grammaire et la formation de notre vieux langage. J’ai été souvent minutieux ; mais j’ai dû l’être pour combattre l’erreur, et j’ose espérer que ce faible travail ne sera pas sans utilité.

Je saisis cette occasion pour témoigner ma reconnaissance à messieurs les conservateurs de la Bibliothèque du Roi, qui ont bien voulu me confier avec la plus grande obligeance les ouvrages dont j’avois besoin. Je dois aussi des remerciements à mon savant confrère M. de Roquefort, pour avoir bien voulu mettre à ma disposition la planche du spécimen dont il avait orné son glossaire, et me permettre d’y faire les changements que je croyais convenables.

(…)

Poussé par l’ambition, l’empereur Lothaire cherchait tous les moyens de déposséder ses frères et d’accroître son autorité, lorsque Charles, roi de France, et Louis, roi de Germanie, sentirent enfin la nécessité de se liguer contre leur ennemi commun. Ils gagnèrent sur lui la célèbre bataille de Fontenay ; mais, comme ils usèrent avec trop de modération de la victoire, il ne perdit pas de vue ses projets ; il se disposait encore à les attaquer. C’est alors qu’ils crurent devoir cimenter leur alliance.

Après avoir opéré leur jonction à Strasbourg, ils se promirent mutuellement de rester étroitement unis, et d’employer toutes leurs forces contre Lothaire: mais afin que les peuples ne doutassent pas de la sincérité de cette union, et pour avoir eux-mêmes moins de moyens de rompre leur alliance, ils résolurent de se prêter serment en présence de l’armée. D’abord chacun d’eux harangue ses soldats, leur expose ses griefs contre Lothaire, et les motifs de l’alliance qu’il va contracter ; ensuite il leur déclare que si jamais, ce qui à Dieu ne plaise, il violait sa promesse, il les absout de la foi et de l’obéissance qu’ils lui ont jurées. Ces discours finis, ils font leur serment, Louis en langue romane, pour être entendu des sujets de Charles, et Charles en langue francique pour l’être de ceux de Louis ».

*

(1) Nithard nous a conservé ces serments dans les deux langues. Malheureusement on ne les trouve que dans un seul manuscrit. Ce manuscrit est à la Bibliothèque du Roi, sous le n° 1964. Jadis il faisait partie de celle du Vatican. Le n° 419 n’est qu’une copie de celui-ci, faite dans le XVe siècle. La place des serments y est laissée en blanc.

Référence : Serments prêtés à Strasbourg en 842 par Charles-le-Chauve, Louis-le-Germanique, et leurs armées respectives . Extraits de Nithard, manusc. de la Bibl. du Roi, n° 1964 ; traduits en françois, avec des notes grammaticales et critiques, des observations sur les langues romane et francique, et un specimen du manuscrit, par M. de Mourcin, Paris, Didot l’aîné, 1815.

 

 

 

Exposition. « Regeneration. Black Cinema 1898-1971 », Musée de l’Académie des Oscars, 21 août 2022-9 avril 2023.

Le Dictionnaire du cinéma américain, de Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, est une référence. C’était une raison de s’étonner de son très faible intérêt pour le cinéma afro-américain, voire de certaines de ses analyses un peu clichetonnes sur le racisme. En 2001, avec son Dictionnaire du cinéma afro-américain (acteurs, réalisateurs, techniciens) (Séguier, coll. Ciné-Séguier), Régis Dubois combla donc un manque dans la littérature francophone. Son livre permet aujourd’hui de naviguer dans l’exposition consacrée au cinéma afro-américain par l’Académie des Oscars.

« L’exposition phare du Musée de l’Académie Regeneration: Black Cinema 1898–1971 explore la culture visuelle du cinéma noir dans ses multiples expressions, depuis l’aube du cinéma à la fin du XIXe siècle jusqu’aux mouvements des droits civiques des années 1960 et leurs conséquences jusqu’au début des années 70. L’exposition est un regard approfondi sur la participation des Noirs au cinéma américain. Regeneration met en lumière le travail des cinéastes afro-américains et crée des dialogues avec des artistes visuels tout en élargissant simultanément les discussions autour de l’histoire du cinéma américain.

La série démarre avec la première mondiale d’un film racial « perdu » récemment restauré, Reform School (1939). Les films raciaux étaient des œuvres réalisées avec des acteurs entièrement noirs qui étaient distribués presque exclusivement à un public noir à travers les États-Unis ségrégationnistes.

Couvrant la même période de plus de 70 ans que l’exposition, cette série va de la présentation de pionniers de l’ère muette tels que les drames à petit budget d’Oscar Micheaux, scénariste-producteur-réalisateur, aux allégories révolutionnaires de Spencer Williams et aux œuvres d’innovateurs produites indépendamment et défiant les genres comme Melvin Van Peebles. Des stars largement inconnues des cinéphiles grand public sont mis en avant – Ralph Cooper, Clarence Brooks et Francine Everett – aux côtés des légendes emblématiques de l’écran Paul Robeson, Josephine Baker, Harry Belafonte, Sidney Poitier, Lena Horne, etc. »

Découvrir le site internet de l’exposition

Oscar Micheaux et des acteurs afro-américains d’avant la Blaxploitation

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Sélection d’actrices afro-américaines d’avant la Blaxploitation

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Chose lue. Florian Cafiero, Jean-Baptiste Camps : « Affaires de style : du cas Molière à l’affaire Grégory, la stylométrie mène l’enquête », Le Robert, 2022.

En passant au crible les textes et leurs styles, linguistes et statisticiens mènent l’enquête grâce à la stylométrie. Cette méthode d’investigation révolutionnaire qui prend ses sources chez les scribes de Galilée, s’est solidifiée il y a plus d’un demi-siècle dans les couloirs de Harvard avant d’arriver dans nos tribunaux. L’objectif ? Identifier qui se cache derrière n’importe quel texte.
De César à Shakespeare, en passant par les complotistes de l’affaire QAnon, Elena Ferrante ou encore le corbeau de l’affaire Grégory, la stylométrie n’épargne rien ni personne… au point d’élucider certains des plus vieux cold cases et mystères de l’histoire. Pour le meilleur – et pour le pire ?

CHAPITRE 1
La stylométrie au service des plus vieux cold cases de l’histoire
 

  • L’affaire de la Bible
  • L’affaire Homère

CHAPITRE 2
En quête des auteurs disparus 

  • L’affaire César
  • L’affaire des troubadours et des trouvères
  • L’affaire Chrétien de Troyes
  • L’affaire du Roman de la Rose

CHAPITRE 3
De Shakespeare à Molière : la malédiction des comédiens poètes

  • L’affaire Shakespeare
  • L’affaire Molière

CHAPITRE 4
Le masque et la plume.

  • Bienvenue chez les AA
  • L’affaire Emily Brontë
  • L’affaire Colette
  • L’affaire Elena Ferrante

CHAPITRE 5
American crime stories

  • L’affaire Unabomber
  • L’affaire Charlene Hummert

CHAPITRE 6
Le style sur le banc des accusés 

L’affaire Kurt Cobain
L’affaire QAnon
L’affaire Grégory
L’affaire « OMAR M’A TUER »

Chose lue. Anthony Guyon : Histoire des Tirailleurs Sénégalais. De l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours, Perrin, 2022.

La première histoire globale d’un corps d’armée mythique.
Créé par décret impérial en juillet 1857, le premier bataillon de tirailleurs n’a de sénégalais que le nom : en effet, ce corps de militaires constitué au sein de l’empire colonial français regroupe en réalité toute la « force noire » – c’est-à-dire les soldats africains de couleur qui se battent pour la France.
Si les études portant sur le rôle des tirailleurs sénégalais dans les deux conflits mondiaux sont légion, rares sont les ouvrages qui retracent toute leur histoire, de la création de ce corps au XIXe siècle à sa dissolution en 1960. S’intéressant aux trajectoires collectives comme aux destins individuels (le militant Lamine Senghor, le résistant Addi Bâ ou encore le Français libre Georges Koudoukou), Anthony Guyon propose ici la première synthèse globale sur le sujet. Il revient sur les moments de gloire de cette armée – comme la défense de Reims en 1918, la bataille de Bir Hakeim en 1942 ou l’opération Anvil en 1944 –, autant que sur les tragédies qui jalonnent également son parcours (citons notamment les terribles massacres commis par la Wehrmacht à leur encontre lors de la campagne de France).
Loin des habituels clichés qui font que, aujourd’hui encore, l’iconographie dégradante incarnée par « Y’a bon Banania » demeure l’un des premiers éléments associés à l’identité des tirailleurs sénégalais, cet ouvrage à la fois complet et accessible illustre toute la complexité de leur position à mi-chemin entre les sociétés coloniales et l’autorité métropolitaine. À mettre entre toutes les mains.

Chose lue. Maya Angelou : Et pourtant je m’élève, éditions Seghers, 2022.

Longtemps, Maya Angelou a été méconnue du public français, avant d’être célébrée à sa juste mesure depuis 2008 pour ses romans autobiographiques, dont le célèbre Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage. Activiste et écrivaine, Angelou l’était bien sûr, mais elle se considérait aussi comme une poète. Au début de sa carrière, elle alternait la publication de chaque texte autobiographique avec un recueil.
Et pourtant je m’élève, son troisième opus publié en 1978, demeure l’un de ses plus emblématiques. Composé de 32 poèmes, divisés en trois parties, il révèle une Maya Angelou dans sa pleine maturité poétique, tour à tour sentimentale ou engagée, évoquant aussi bien des motifs intimes (l’amour, la maternité, la famille), que les thèmes ouvertement politiques (les difficultés de la vie urbaine, la maltraitance, la drogue, le racisme du vieux Sud). Ce qui caractérise sa voix est une détermination sans faille à surmonter les épreuves, quelle qu’elles soient, et la confiance, la force, la fierté qu’elle puise dans son identité de femme noire. Si Maya Angelou réjouit le lecteur d’aujourd’hui, c’est parce que son sens de la provocation et de la formule ne se départit jamais d’humour et ne verse jamais ni dans le désespoir, ni le communautarisme ou la haine de l’autre. Elle est cette femme phénoménale dont le poème éponyme brosse le portrait, et nous enjoint de le devenir à notre tour :
Je dis,
C’est le feu dans mes yeux,
Et l’éclat de mes dents,
Le swing de mes hanches,
Et la gaieté dans mes pieds.
Je suis une femme
Phénoménalement
Femme phénoménale
C’est ce que je suis.

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Livre traduit par Santiago Artozqui.

Chose lue. Isabelle Mity, Les Actrices du IIIe Reich. Splendeurs et misères des icônes du Hollywood nazi

Le portrait de dix actrices au cœur du star system nazi.
Nous le savons, la production cinématographique a été intense en Allemagne sous le IIIReich. Mais si l’on connaît les films de propagande exaltant l’esprit guerrier (tels Stukas ou Kolberg) ainsi que les incontournables documentaires de Leni Riefenstahl (notamment celui sur les Jeux olympiques de 1936), le cinéma de divertissement est souvent mis de côté, voire totalement ignoré.
C’est pourtant entre 1933 et 1945 que les studios allemands comme la UFA produisent le plus de films (comédies, mélodrames, films d’amour, policiers, etc.) et élèvent nombre d’actrices au rang d’icônes (Zarah Leander, Brigitte Horney, Camilla Horn…). Largement inspirée du modèle hollywoodien, cette industrie est une véritable usine à rêves qui présente alors deux avantages majeurs : d’une part, divertir les citoyens allemands et leur faire oublier la guerre en leur offrant un monde de glamour et de paillettes ; d’autre part, délasser les « grands » – tels Goebbels – qui se consolent facilement dans les bras des actrices…
Pour la première fois, cet ouvrage explore et analyse le star system nazi : le statut particulier et ambigu des comédiennes, leurs carrières étonnantes, leurs vies hors du commun, leurs rapports avec les hauts dignitaires, le rôle qui leur a été dévolu à l’écran… En dévoilant cette face cachée de l’univers national-socialiste, Isabelle Mity revisite de manière originale et inattendue l’histoire de l’Allemagne au XXe siècle.

Chose lue. Rubens et Brueghel. Une amitié de travail

Au début du XVIIe siècle, Pierre Paul Rubens et Jan Brueghel l’Ancien étaient les deux peintres les plus célèbres d’Anvers. Ils étaient également des amis proches et de fréquents collaborateurs qui, pendant vingt-cinq ans, de 1598 à 1625 environ, ont exécuté ensemble environ deux douzaines d’œuvres. Les deux artistes avaient beaucoup en commun – ils ont tous deux supervisé des ateliers productifs et ont eu l’honneur et la distinction de servir de peintres de cour aux régents des Pays-Bas du Sud – mais leur œuvre commune a grandement bénéficié de leurs différences. Paysagiste prolifique et peintre de natures mortes, Brueghel était réputé pour ses œuvres remarquablement méticuleuses et ressemblant à des bijoux, ce qui lui a valu le surnom de « Velours Brueghel ». » Rubens était un peintre ambitieux de grands retables et de peintures d’histoire, qui réussissait notamment à capter l’émotion et l’énergie corporelle. L’union de leurs styles distinctifs de coups de pinceau et de modes visuels individuels a produit de belles compositions richement allusives qui sont aussi recherchées aujourd’hui qu’elles l’étaient par les contemporains des artistes.

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Chose lue. Philosophie pragmatiste. Introduction à John Dewey.

Avec Peirce et James, l’Américain John Dewey (1859-1952) est l’un des fondateurs de la philosophie pragmatiste. Connu pour sa théorie de l’éducation par l’expérience, pour sa théorie conséquentialiste de la morale et de la connaissance ainsi que pour sa défense de la démocratie libérale, il s’est aussi attelé à la tâche de « reconstruire » la philosophie sociale. Ce livre propose une introduction à cette œuvre philosophique considérable.
Avec Charles S. Peirce et William James, John Dewey (1859-1952) est un fondateur de la philosophie pragmatiste. Connu pour sa théorie de l’éducation par l’expérience, pour sa philosophie de l’art ou pour sa théorie de l’enquête, il s’est aussi attelé à la tâche de « reconstruire » la philosophie sociale. Son projet fait de lui un fondateur de la démocratie radicale et participative. Au lieu de se limiter au rôle de la critique sociale, Dewey a pour ambition de proposer une définition du « social » telle que la « société » soit mise en quelque sorte « à la portée » de ses membres.
Les questions qui animent ses textes de 1898 à 1948 sont les suivantes : comment concevoir la société et la socialisation de manière à garantir une « action sociale » efficace qui soit, en fonction des circonstances, individuelle, commune ou collective ? Comment se représenter la société non seulement pour supprimer tout un cortège de faux problèmes, mais surtout pour atténuer les divers blocages qui menacent ou même suppriment la participation des individus à l’existence des groupes dont ils sont membres et, ce faisant, leur individualité ?

Chose lue. Thierry Billard : Paul Deschanel. Le Président incompris, Perrin, 2022.

De Paul Deschanel, la postérité a retenu un mandat présidentiel de sept mois au lieu de sept ans, écourté par une démission pour problèmes de santé et marqué par des évènements – une chute du train officiel à Montbrison, d’autres incidents – qui l’ont rangé au rayon des Présidents dits « fous ». Une rumeur, colportée depuis lors, à coups de récits amplifiés, erronés, d’anecdotes inventées. Or celui qui a battu Georges Clemenceau dans la course à l’Elysée au lendemain de la Grande guerre mérite mieux que ce portrait caricatural. Penseur du courant progressiste à la fin du XIXe siècle, député d’Eure et Loir, orateur hors pair, figure de la Chambre au point d’en devenir président de 1898 à 1902, puis de 1912 à 1920, l’homme est une figure emblématique de cette IIIe République opportuniste. Alors qu’un film librement adapté de sa présidence comme de ses batailles avec Clemenceau va sortir, au casting impressionnant –  Jacques Gamblin, André Dussolier, Anna Mouglalis, Christian Hecq, Astrid Whettnall, Cyril Couton –, il est temps de découvrir qui était vraiment cet homme politique désireux d’abolir la peine de mort, donner le droit de vote aux femmes et leur indépendance aux colonies. La biographie historique écrite par Thierry Billard, riche des archives familiales, le permet.

Chose lue. Léonard Burnand : Benjamin Constant, Perrin, 2022.

A la fin de sa vie, Benjamin Constant déclarait : « Je veux qu’on dise après moi que j’ai contribué à fonder la liberté en France. » La postérité ne lui a pourtant pas rendu suffisamment justice, célébrant plutôt le romancier d’Adolphe, chef d’œuvre pionnier de l’autofiction, que le combattant inlassable de « la liberté en tout », selon son expression. Né en 1767 à Lausanne dans une famille protestante d’origine française, orphelin de mère dès sa naissance, il mena une existence vagabonde à travers l’Europe, où il se fit remarquer aussitôt par la puissance de son esprit et son extraordinaire facilité d’expression, ainsi que par ses amours erratiques et ses dettes de jeu. En 1795, formant avec Germaine de Staël un couple exceptionnel et orageux, il s’engage en politique. Par la plume et par l’action, sa ligne ne variera jamais : conjurer la tentation totalitaire par un gouvernement représentatif équilibré et garantissant toutes les libertés, celle de la presse comme celle des Noirs. C’est pourquoi il s’opposa vivement à l’Empire autoritaire puis à la Restauration réactionnaire. Parmi ses innombrables écrits et discours, les Principes de politique furent le bréviaire de la jeunesse libérale, et ses obsèques, en décembre 1830, donnèrent lieu à Paris à une énorme manifestation de foule, qui saluait la liberté faite homme. Dans une démocratie en crise, Benjamin Constant est plus actuel  que jamais.

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