Qu’est-ce qu’une « information » au sens du « droit à l’information » ?

Et si la catégorie la plus prestigieuse du droit des médias – la notion d’information – était elle-même un standard ? L’on est tenté de répondre par l’affirmative par le fait qu’il n’en existe aucune définition, ni légale, ni jurisprudentielle, lors même que les occurrences juridico-légales[1] en sont nombreuses, qu’il s’agisse des textes relatifs à l’Agence France-Presse[2], des textes régissant les subventions, les aides fiscales ou postales accordées aux « publications périodiques » ou aux sites Internet[3] ou des textes régissant les entreprises de communication audiovisuelle[4]. Quant à la doctrine juridique[5], si elle traite constamment de la « liberté d’information », du « droit à l’information » ou du « droit de l’information », c’est toujours sans envisager la question de savoir ce qu’est une information[6]. Cette question est d’autant plus difficile qu’elle engage hypothétiquement à de nombreuses distinctions langagières ou parmi les classes de discours et d’images dont les médias sont le support : la distinction entre « l’information » et « l’information des lecteurs (des téléspectateurs ou des internautes) »[7] ; la distinction entre « l’information » et la « communication »[8] ; la distinction entre l’« information », l’« opinion » et l’« idée »[9] ; la distinction entre « l’information », le « divertissement », la « variété »[10]. C’est dire si, au moins dans le contexte du droit des médias, une définition réelle de la notion d’information est proprement impossible. L’on doit donc se satisfaire d’une définition nominale, qui consiste à considérer qu’une information est une donnée ou une allégation éditée par un service de presse ou de communication et n’ayant pas été disqualifiée par une autorité de régulation ou par un juge en tant qu’elle serait légalement fausse[11] ou indicible[12].

Cette définition demande à être précisée. En premier lieu, si elle est indifférente à la division du champ médiatique entre des « professionnels de la communication », des « animateurs », des « rédacteurs amateurs » et des « journalistes », c’est pour cette raison que d’un point de vue légal ce n’est précisément pas « l’information » qui caractérise l’originalité statutaire du journaliste (ou du « journaliste professionnel » au sens du droit français), mais le traitement de l’« actualité » ou des « nouvelles » (news) – autrement dit un type d’informations – et même, plus exactement, certaines manières de traiter de celles des informations qui substantialisent l’« actualité » ou les « nouvelles ». Ce fait est vérifiable dans la rédaction de nombreux textes juridiques : les textes et la jurisprudence administrative relatifs à la dévolution de la carte de presse aux « journalistes »[13]; la définition du « service de presse en ligne » par l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse[14] ; les textes, la doctrine de la Commission paritaire des publications et agences de presse et la jurisprudence administrative relatifs à l’éligibilité aux aides publiques à la presse. S’agissant de ce dernier point en particulier, on notera que si traditionnellement, le fait pour une publication périodique d’avoir un contenu présentant « un caractère d’information politique et générale » était l’une des conditions d’éligibilité à ces aides publiques, les termes de cette condition d’éligibilité ont été redéfinis de manière remarquable par le décret n° 2007-734 du 7 mai 2007 modifiant les articles 72 et 73 de l’annexe III au code général des impôts et le décret n° 2007-787 du 9 mai 2007 modifiant certaines dispositions du code des postes et des communications électroniques. Il est plutôt désormais question des « journaux et écrits périodiques présentant un lien direct avec l’actualité, apprécié au regard de l’objet de la publication et présentant un apport éditorial significatif (…) », et remplissant par ailleurs d’autres conditions, dont celle d’avoir « un caractère d’intérêt général quant à la diffusion de la pensée : instruction, éducation, information, récréation du public »[15].

La définition de l’information qui vient d’être proposée, en retenant comme critère l’existence d’une donnée ou d’une allégation, pose par ailleurs la question de savoir s’il peut y avoir de l’information dans des images[16], plus exactement dans des images qui ne sont pas porteuses en elles-mêmes d’une ou de plusieurs allégations[17] – ce qui est le cas de la quasi-intégralité des images contemporaines. Pour ainsi dire, et en dehors de tout débat entre iconophilie et iconophobie : est-ce l’assassinat de John Kennedy à Dallas qui « fait » information ou bien cette qualité est-elle imputable à telle ou telle image de cet assassinat ? Est-ce l’assassinat du préfet Érignac en Corse qui « fait » information ou bien cette qualité est-elle imputable à telle image du préfet gisant ensanglantée sur une rue ? Sont-ce les attentats du 11 septembre qui « font » information ou bien cette qualité est-elle imputable à tout ou partie des milliers d’images disponibles sur ledit événement ? Si l’on répond par la négative à la question de savoir si une simple image peut, non pas seulement « vouloir dire quelque chose » ou « parler »[18] mais contenir une allégation, il faut alors au juriste analyser juridiquement[19] la subsomption des images dans la « liberté de l’information » ou dans le « droit à l’information ». Sous bénéfice d’inventaire, on suggèrera que cette subsomption cesse peut-être d’être juridiquement paradoxale si l’on accepte l’idée qu’il s’agit d’une fiction juridique et que, loin de ne connaître que des standards juridiques, le droit des médias éprouve précisément aussi… des fictions juridiques.

[1] Voir l’entrée « Information » du Dictionnaire de droit des médias d’Emmanuel Derieux (Éditions Victoires, 2004, p. 192-193).

[2] L’AFP a ainsi pour objet : « 1° De rechercher, tant en France et dans l’ensemble de l’Union française qu’à l’étranger, les éléments d’une information complète et objective ;  2° De mettre contre payement cette information à la disposition des usagers » (article 1er de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l’agence France-Presse).

[3] Voir les articles D. 18 du code des postes et communications électroniques et 72 de l’annexe III au code général des impôts.

[4] La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication compte de très nombreuses occurrences de la notion, à propos notamment des sujétions en matière de pluralisme, de « programmes d’information », de publicité ou de parrainage, de limitation des concentrations.

[5] Voir par exemple : E. Dreyer, Droit de l’information. Responsabilité pénale des médias, Litec, 2002 ; A. Guedj, Liberté et responsabilité du journaliste dans l’ordre juridique européen et international, Bruylant, 2003 ; D. de Bellescize, L. Franceschini, Droit de la communication, PUF, 2005 ; B. Beignier, B. de Lamy, E. Dreyer (dir.), Traité de droit de la presse et des médias, Litec, 2009 ; E. Derieux et A. Granchet, Le droit des médias, Dalloz, 2010.

[6] L’étude que la Cour de cassation a consacrée en 2010 au Droit de savoir (cette étude, qui porte en quelque sorte sur la transparence en droit privé français, ne s’approprie donc pas le droit des médias en tant que tel), s’articule autour de la notion d’information mais sans qu’elle n’e propose non plus initialement une définition (Cour de cassation, Rapport 2010, La documentation française, 2011). Une place à part est à faire à l’« Ébauche d’une théorie juridique de l’information » publiée en 1984 par Pierre Catala (Recueil Dalloz, 1984, p. 97-104), même si sa réponse à la question qu’il s’est posée « Qu’est-ce donc que l’information ? » est ou bien lexicologique, ou bien, comme il reconnaît lui-même, d’une « grande généralité sémantique » (« l’information est un message quelconque ») (p. 98). Et que la réflexion de P. Catala est principalement déterminée par le développement de l’informatique.

[7] Dans le premier cas, les propriétés de « l’information » sont, pour ainsi dire, intrinsèques ; dans l’autre elles sont relationnelles.

[8] Cette distinction est structurante des représentations professionnelles qui traversent la partie du champ journalistique qui voit dans la « communication » des individus et des institutions ou des organisations (publiques ou privées) le repoussoir absolu. Cette distinction est également constitutive des « sciences de l’information et de la communication » sans que la « communication » n’y soit nécessairement assortie d’une représentation négative. Voir par exemple l’ambition développée par D. Wolton de « renverser le stéréotype dominant et [de] montrer pourquoi le vrai défi [contemporain] concerne davantage la communication que l’information » (D. Wolton, Informer n’est pas communiquer, CNRS Éditions, 2009, p. 11).

[9] La distinction entre « informations » et « idées » est faite par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

[10] Cette distinction est structurante de la régulation de la communication audiovisuelle (radios, télévision). On s’est interrogé par ailleurs sur le fait de savoir si non seulement cette distinction n’était pas en elle-même un arbitraire légal et si elle était toujours exigible empiriquement, compte tenu de la porosité contemporaine entre les différentes catégories de programmes audiovisuels (exception faite peut-être de la diffusion des films) dont rend par exemple compte le concept d’infotainment et la substitution progressive dans les textes de référence et les conventions signées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel avec les chaînes du concept d’« honnêteté des programmes » au concept de l’« honnêteté de l’information » (voir P. Mbongo, La liberté d’expression en France. Entre nouvelles questions et nouveaux débats, Mare et Martin, 2011).

[11] L’on pense ici à la répression administrative, civile ou pénale des « fausses nouvelles », des « diffamations », des publicités « fausses » ou « de nature à induire en erreur » (etc.), sachant par ailleurs que la « vérité légale » a ses propres critères de certification.

[12] L’on pense ici aux polices juridiques des injures, des outrages, des offenses, des atteintes à la vie privée, des atteintes à la présomption d’innocence, des atteintes aux secrets étatiques, des incitations et des provocations à certains agissements, etc.

[13] Nous nous permettons de renvoyer ici à notre étude : « Une catégorie impériale du droit français : la notion de journaliste professionnel », in La liberté d’expression en France. Entre nouvelles questions et nouveaux débats, op. cit., p. 25-41.

[14] Dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 (art. 27), cet article dispose notamment : « (…) On entend par service de presse en ligne tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale.

Un décret précise les conditions dans lesquelles un service de presse en ligne peut être reconnu, en vue notamment de bénéficier des avantages qui s’y attachent. Pour les services de presse en ligne présentant un caractère d’information politique et générale, cette reconnaissance implique l’emploi, à titre régulier, d’au moins un journaliste professionnel au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail ».

[15]  Articles D. 18 du code des postes et communications électroniques et 72 de l’annexe III au code général des impôts.

[16] La notion d’image est moins aisée à définir que ne le suggère son usage généralisé. « Une définition restreinte et classique », écrit Nicolas Journet, « nous invite à exiger que l’image manifeste un degré minimum de deux propriétés : celle de représenter quelque chose d’autre qu’elle-même (un vrai chandelier n’est pas une image de chandelier) et celle de présenter un minimum de similitude ou de relation indicielle avec l’objet ou l’idée désignés, l’une n’excluant pas l’autre. Mais (…) l’image est aussi symbolique. De manière plus large, n’importe quel espace renfermant des signes plastiques interprétables est une image. Inversement, toute icône peut présenter des propriétés plastiques signifiantes » (N. Journet, « Comment définir l’image ? », Sciences humaines, hors série n° 43, décembre 2003/janvier-février 2004, p. 23).

[17] Ce qui est le cas d’une image contenant un message codé.

[18] Autrement dit avoir un ou plusieurs sens.

[19]  C’est-à-dire au-delà de l’évidence sociologique du « règne » contemporain des images.

Source : in La régulation des médias et ses standards juridiques, Mare et Martin, 2011, p. 181-186.