Les réinventions de Jean-Luc Godard (David Hudson, The Criterion, 14 septembre 2002)

« Revenir à zéro est un désir que Godard a réitéré tout au long de sa carrière », écrivait Amy Taubin il y a quelques années, et l’observation astucieuse frappe différemment – et un peu plus douloureusement – maintenant que nous savons que Jean-Luc Godard est mort mardi à l’âge de quatre-vingt-onze ans par suicide assisté. Son conseiller juridique, Patrick Jeanneret, explique au New York Times que Godard souffrait de « multiples pathologies invalidantes ». Il ne pouvait pas vivre comme vous et moi, alors il a décidé avec une grande lucidité, comme il l’a fait toute sa vie, de dire : ‘Maintenant, ça suffit’. »

La nouvelle est difficile à encaisser car, comme l’écrit Glenn Kenny au Decider, le « monde de Godard était un monde en perpétuelle agitation ». Après le sprint de sept ans qui a marqué l’époque, de À bout de souffle (1960) à Week-end (1967), Godard s’est associé à Jean-Pierre Gorin pour « faire des films politiques » plutôt que des « films politiques », puis a collaboré avec Anne-Marie Miéville sur une série de longs métrages innovants mais peu diffusés et sur des œuvres vidéo pour la télévision européenne avant de se concentrer sur ses derniers films, densément allusifs et techniquement éblouissants.

Dans le New Yorker, Richard Brody, l’auteur de Everything Is Cinema : The Working Life of Jean-Luc Godard, écrit que « laissant sa légende derrière lui, son œuvre est devenue, très simplement, la réalité centrale du cinéma moderne. » Lorsque Brody a rendu visite à Godard en 2000, celui-ci « m’a dit qu’il pensait que le cinéma était presque terminé : « Quand je mourrai, ce sera la fin. Il avait tort – et c’est de sa propre faute ». Fernando F. Croce le dit succinctement sur Twitter : « Encore et encore, il a tué le cinéma pour le ressusciter magnifiquement ».

« Que faire de l’esprit godardien ? », demandait J. Hoberman dans un article essentiel pour The Nation en 2015. L’occasion de cet essai, qui retrace les influences d’André Bazin, de Sergei Eisenstein, de Roberto Rossellini et de plusieurs autres sur l’œuvre de Godard, était la publication en anglais de Introduction to a True History of Cinema and Television, un volume rassemblant une série de conférences que Godard a prononcées à l’Université Concordia de Montréal en 1978. « Le Godard qui émerge d’Une histoire vraie », écrit Hoberman, « est la quintessence du grand modernisme du XXe siècle – l’auteur d’un projet en cours, pas encore achevé, comparable en ambition à À la recherche du temps perdu ou aux Cantos, composé dans un idiolecte qui, comme chez Joyce, Picasso ou Gertrude Stein, a effectivement réinventé un médium ».

Lire la suite