Les juifs sont-ils une race ?

Oui, au sens du droit fédéral sur la discrimination raciale : Joshua Bonadona v. Louisiana College et al., 13 juillet 2018.

Joshua Bonadona, né d’un père catholique et d’une mère juive, se définit comme « juif caucasien ». Il fut élevé dans la tradition juive mais s’est converti au christianisme à l’université, ces années d’étude et de foi chrétienne notoire au Louisiana College, étant également celles d’une grande pratique du football américain. Quelques années plus tard, l’entraîneur de l’équipe du Louisiana College l’incite à faire acte de candidature à un poste d’entraîneur adjoint. Ce que Joshua Bonadona fit, mais sans succès puisque Rick Brewer, le président de Louisiana College écarta sa candidature parce qu’il se serait avisé de ce que Joshua Bonadona avait du « sang juif ». Joshua Bonadona engagea une action civile devant une juridiction fédérale contre le Louisiana College et Rick Brewer sur le fondement de la loi fédérale américaine qui réprime la discrimination dans l’embauche et dans l’emploi à raison de « la race, de la couleur, de la religion, du sexe, de l’origine nationale ». Son refus d’embauche, soutint-il, a constitué une discrimination à raison de la race au sens du Titre VII du Civil Rights Act de 1964. Il a renoncé à alléguer la discrimination à raison de l’origine nationale compte tenu de la jurisprudence des cours fédérales ayant constamment décidé que le fait d’être juif ne désignait pas « un pays d’origine de la personne ou de ses ancêtres ».

Le juge fédéral Mark L. Hornsby n’était convié à se prononcer que sur la recevabilité de l’assignation de Joshua Bonadona, suivant le protocole de procédure civile fédérale qui fait souvent trancher les questions de recevabilité préalablement et distinctement des questions de fond. Rick Brewer et le Louisiana College justifiaient leur motion de rejet pour irrecevabilité de l’assignation par cette idée que discriminer un individu au motif de son héritage ethnique juif n’était pas assimilable à une discrimination à raison de la race au sens du droit fédéral. Le juge fédéral Mark L. Hornsby rejette ce moyen, après avoir précisé que sa décision est circonscrite à l’interprétation de la législation fédérale relative à la discrimination à raison de la « race ».

Cette ambition, modeste en apparence, permet au juge de se tenir à distance des doctrines et idéologies associant pour les uns « l’identité juive » à la judéité (une nation, une ethnicité), pour les autres au judaïsme (une religion), pour certains autres, enfin, à l’ethnicité et à la religion. Ce qui importe en droit, soutient le juge Hornsby, c’est l’intention du législateur, qui s’exprime de prime abord à travers son refus de définir la « race » au sens du droit fédéral. Cette autolimitation n’a pas empêché la Cour suprême de tirer de l’intention du Congrès l’idée que le droit fédéral anti-discriminations compte les juifs et les personnes d’origine arabe dans le champ d’application des catégories de personnes protégées par différents textes destinés à lutter contre la discrimination à raison de la race dans différents contextes sociaux. Aussi, au sens de la loi fédérale relative à la lutte contre les discriminations dans l’emploi, le concept de race englobe nécessairement tout groupe de personnes dont le Congrès a voulu assurer la protection parce que, en raison de leurs ancêtres ou de leurs caractéristiques ethniques, ils ont été traités comme un groupe racial ou ethnique. Ce qui est le cas des juifs puisqu’ils ont fait l’objet en Amérique de discriminations en matière d’emploi, de lieux résidence et de logement, d’accès dans les universités, de sociabilités diverses, parce qu’ils étaient juifs et sans considération particulière de leurs croyances religieuses.

Le juge fédéral Mark L. Hornsby ne va pas au-delà de cette doctrine, sinon lui aurait-il fallu définir, par exemple, d’autres groupes susceptibles de se la voir appliquer. De la même manière qu’il lui aurait fallu dire de quelle race sont précisément les juifs, alors qu’il a voulu éviter les débats scientifiques, pseudo-scientifiques, sociopolitiques, politiques, ou bien sur la question de savoir si « les juifs » sont des Blancs, ou bien sur « l’identité juive ». Des débats vertigineux si l’on songe, notamment :  ̶  au fait que le concept nazi de « race aryenne » n’est pas équivalent des différentes définitions ayant existé en Europe ou aux Amériques de la catégorie lexicale ou légale de Blanc (depuis la référence religieuse à la chrétienté jusqu’à la référence morphobiologique à la « couleur ») ;  ̶  au fait qu’il existe des « juifs de couleur » sur tous les continents … ;  ̶  au fait que la réception légale et la perception sociale des juifs n’ont pas toujours été accordées aux États-Unis ;  ̶  au fait que la thèse du « gène juif » a ses érudits et encore plus, ses croyants.

La question à laquelle a répondu le juge Hornsby a été posée en des termes sensiblement équivalents au tribunal suprême fédéral du Brésil à propos de l’expression « crime de racisme » dans le droit fédéral brésilien à propos d’un accusé, écrivain et associé d’une maison d’édition, qui avait été condamné pour crime de discrimination contre les juifs, du fait de n’éditer, de ne distribuer et de ne vendre que des ouvrages antisémites.  Acquitté en première instance, la condamnation de l’accusé n’avait été possible qu’en vertu de la non-prescription du crime, sur la base de l’article 5, XLII, de la Constitution fédérale qui stipule que « la pratique du racisme constitue un crime non-cautionnable et imprescriptible, sujet à la peine de réclusion, aux termes de la loi. » L’accusé avait formé une demande d’habeas corpus, soutenant que le délit de discrimination contre les juifs n’a pas de connotation raciale, et en demandant que ce crime ne soit pas considéré imprescriptible et que l’extinction de la punissabilité soit reconnue en raison de la prescription de la prétention punitive de l’Etat.

La question de droit soulevée par l’affaire était donc de savoir « si les juifs sont ou non une race, aux fins de considérer le crime de discrimination auquel l’accusé a été condamné, comme délit de racisme ? ». Le 17 septembre 2003, l’Assemblée plénière du tribunal suprême fédéral, par majorité, a jugé que le racisme est avant tout une réalité sociale et politique sans aucune référence à la race, en tant que caractérisation physique ou biologique, et reflète, en vérité, un comportement reprochable qui découle de la conviction qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains suffisante pour justifier des actes de ségrégation, d’infériorisation et même d’élimination de personnes. En conséquence, l’Assemblée plénière du tribunal, à la majorité, rejeta la demande d’habeas corpus.