Le sacerdoce des serviteurs de l’Etat : le fonctionnaire et l’intérêt général

Lorsque la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 a fait de la vertu une qualité exigible des candidats aux « dignités, places et emplois publics », elle a par la même occasion voulu en faire une valeur exigible dans l’exercice des fonctions publiques.

L’Ancien Régime ne disposait d’ailleurs pas moins d’un droit de la moralité des agents publics, des incriminations pénales ou des récriminations simplement « éthiques » de la « déviance publique ». L’on gardera néanmoins à l’esprit que l’historiographie de l’état en France entre le XVIe siècle et le XVIIIe siècle insiste sur le fait que l’on n’est pas alors dans le cadre d’un fonctionnement bureaucratique, ni même pré-bureaucratique. Maryvonne Génaux résume à cet égard asse bien les travaux de Robert Descimon, Jean-Frédéric Schaub et Bernard Vincent lorsqu’elle écrit : « La logique du pouvoir y était domaniale. Le roi était seigneur justicier. Ses administrateurs, essentiellement des officiers dont il était le seigneur direct ou des commissaires immédiatement liés à sa personne politique, géraient le bien commun, dont l’entretien justifiait la puissance royale. Loin de préfigurer le fonctionnaire, ces hommes étaient des serviteurs publics dans la mesure où ils participaient à la mission divine confiée au prince »[1]. Pour autant, l’Ancien Régime ne s’accommodait déjà pas du « péculat », de la « prévarication », de la « malversation », de la « concussion », de la « collusion », de la « forfaiture », de la « corruption » et elle exaltait déjà la « probité », l’« intégrité », le « devoir », la « droiture ».

Avec la Révolution naît le serviteur de l’Etat tel qu’il est entendu de nos jours, une sorte d’auxiliaire de la « volonté générale » exprimée par la loi. Matrice du principe d’égal accès des citoyens des emplois publics[2] et du principe de séparation de l’Administration et du Politique[3], cette nouvelle conception justifie autrement les infractions pénales ou politico-administratives attachées à la manière de servir des agents publics.

Il n’est d’ailleurs plus question de « déviance publique » mais des « atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique », celles-ci étant une liste d’infractions définies par le Code pénal[4] : les « abus d’autorité dirigés contre l’administration » ; les « abus d’autorité commis contre les particuliers » tels que l’atteinte à la liberté individuelle commise par une personne exerçant une fonction publique, la discrimination commise par une personne exerçant une fonction publique ; l’atteinte à l’inviolabilité du domicile commise par une personne exerçant une fonction publique, l’atteinte au secret des correspondance commise par une personne exerçant une fonction publique ; ‒ les manquements au devoir de probité tels que la concussion, la corruption passive et du trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique, la prise illégale d’intérêts ; les atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ; la soustraction et le détournement de biens.

Ces infractions sont l’interface pénal des principes déontologiques de probité, de correction, de dignité et de préservation du crédit et du renom de l’institution dont les textes contemporains ne proposent pas de définition et qui sont mobilisés isolément ou cumulativement dans des procédures disciplinaires visant, par exemple, le fait de se prévaloir de sa qualité pour en tirer un avantage personnel, le fait d’utiliser à des fins étrangères à sa mission des informations dont l’agent a connaissance dans le cadre de ses fonctions, le fait d’accepter un avantage ou un présent directement ou indirectement lié à ses fonctions ou dont on peut imaginer qu’il est justifié par une décision prise ou par la perspective d’une décision à prendre, le fait d’accorder quelque avantage pour des raisons d’ordre privé, ou le conflit d’intérêts, ce dernier étant « une situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions »[5].

Aujourd’hui comme hier, le dévouement des serviteurs de l’état à la volonté générale et/ou à l’intérêt général comprend un certain nombre de points de tension entre les principes idéaux de la citoyenneté démocratique et républicaine d’une part, les droits et les libertés dont les agents publics sont titulaires en tant qu’ils sont eux-mêmes citoyens d’autre part.

I. Loyalisme constitutionnel des agents publics

Une institution juridique rend compte de l’importance prise à partir de 1789 par la question du loyalisme des serviteurs de l’état au régime et aux institutions : le serment.

Sous la Révolution, le serment de loyalisme constitutionnel ne concernait pas uniquement les agents publics, comme le montrent le tout premier serment civique créé par la Révolution, celui des évêques et curés à la Constitution civile du clergé (12 juillet 1790), le serment civique du 14 juillet 1790, celui de la Constitution du 3 septembre 1791 :

« Je jure d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution du royaume, décrétée par l’Assemblée nationale constituante aux années 1789, 1790 et 1791. »

D’autres constitutions retiendront des formulations plus exigeantes pour le citoyen :

« Je jure haine à la royauté et à l’anarchie, attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. » (serment républicain du 12 janvier 1797)

« Je jure haine à la royauté, attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. » (serment républicain du 10 mars 1796).

La définition des serments de loyalisme constitutionnel exigés des serviteurs de l’état (élus, magistrats, fonctionnaires) a spécialement fait l’objet de nombreuses dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires sous différents régimes après la Révolution, spécialement sous le Consulat, l’Empire et le Second Empire : serment des agents diplomatiques, différents serment des militaires (serment des amiraux, serment des capitaines de vaisseaux, serment des colonels, serment des colonels généraux, serment des maréchaux), serment des Grands dignitaires de l’Empire, serment des inspecteurs généraux de l’Empire, serment des conseillers d’état, serment des députés, serment des sénateurs, serment des Représentants, serment des ministres, serment de l’Empereur, serment du président de la République et du vice-président en 1848. Mais aussi le serment des fonctionnaires civils[6] et celui des magistrats[7].

Le serment de loyalisme constitutionnel a généralement une double fonction pour un régime politique. Il lui permet d’empêcher l’accès aux « dignités, places et emplois publics » de personnes revendiquant non pas seulement une hostilité au principe même du régime mais plus généralement une idéologie jugée incompatible avec les valeurs politiques économiques ou sociales du régime. Le serment de loyalisme constitutionnel permet encore de pratiquer des épurations des institutions publiques avec les apparences de la légalité constitutionnelle. Ces deux dimensions de l’histoire politique et administrative ne sont guère documentées, en dehors des épurations judiciaires[8] et de l’épuration administrative et judiciaire pratiquée par le régime de Vichy et à la Libération[9].

Différents documents datés de la fin du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle suggèrent que des épurations administratives et judiciaires ont pu avoir lieu durant cette période. Les Archives publiques comptent ainsi des comptes rendus d’épurations administratives adressés à Paris par des représentants du pouvoir central. Dans une proclamation adjointe à son arrêté d’épuration pris le 14 floréal an II, Maignet, « Représentant du peuple » envoyé dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse, écrit ainsi : « La marche du gouvernement révolutionnaire était partout entravée. (…) Tout languissait ; un affreux modérantisme paralysait les mesures les plus révolutionnaires. L’on ne se doutait pas dans cette commune que l’heure dernière de l’aristocratie eût sonné. Poursuivie de toutes les parties de la République, elle avait trouvé ici un asile d’autant plus paisible qu’il lui était plus hautement garanti. De tous les moyens que nous avons pris pour faire cesser une situation aussi déplorable, le plus salutaire sans doute est celui du changement d’une grande partie des fonctionnaires publics. ».

Un pamphlet du monarchiste Pierre de Witt publié en 1887, L’épuration sous la Troisième République d’après le « Journal officiel » et l’« Almanach national »[10], rapporte l’existence d’une épuration administrative sous la nouvelle République, celle des préfets, celle des fonctionnaires des finances, celle des directeurs des postes, celle des agents diplomatiques, celle encore des instituteurs catholiques. Le livre de Pierre de Witt souffre des limites du genre puisqu’il range indistinctement dans la catégorie « épuration » la pratique des dépouilles, les véritables radiations des cadres ou exclusions d’emplois publics, les refus d’admission à concourir à des emplois publics, notamment ceux opposés aux prêtres pour l’exercice dans l’enseignement public et que le Conseil d’état a validés dans un célèbre arrêt « laïque » de 1912, abbé Bouteyre[11].

La question du statut à accorder rétrospectivement au loyalisme constitutionnel des fonctionnaires de Vichy[12] fut sous-jacente de l’arrêt Papon du Conseil d’état de 2002, soit une décision qui ne peut avoir un caractère de principe que si la répétition du pire était certaine. Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture de la Gironde de juin 1942 à août 1944 avait été condamné le 2 avril 1998 par la cour d’assises de la Gironde à la peine de dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité assortie d’une interdiction pendant dix ans des droits civiques, civils et de famille. Les faits reprochés à Maurice Papon consistaient en son « concours actif à l’arrestation et à l’internement de plusieurs dizaines de personnes d’origine juive, dont de nombreux enfants, qui, le plus souvent après un regroupement au camp de Mérignac, ont été acheminées au cours des mois de juillet, août et octobre 1942 et janvier 1944 en quatre convois de Bordeaux à Drancy avant d’être déportées au camp d’Auschwitz où elles ont trouvé la mort ». La Cour d’assises de la Gironde ayant condamné l’ancien haut fonctionnaire à payer aux parties civiles les dommages et intérêts demandés, il se tourna en vain vers son ministère de tutelle, le ministère de l’Intérieur, pour lui faire prendre à sa charge les sommes décidées par la Cour d’assises.

Dans son recours contre le ministère de l’Intérieur, Maurice Papon fit valoir qu’il n’avait jamais fait qu’obéir à des ordres reçus de ses supérieurs hiérarchiques ou n’avait jamais agi que sous la contrainte des forces d’occupation allemandes, qu’ainsi une « faute personnelle » au sens du droit administratif ne pouvait lui être reprochée qui justifie qu’il doive lui-même prendre en charge les dommages et intérêts décidés par le tribunal. Autrement dit, Maurice Papon se retranchait derrière le devoir d’obéissance hiérarchique du fonctionnaire dont le Conseil d’état ne dispensait alors les agents publics que lorsque l’ordre reçu avait « de toute évidence un caractère illégal » et « compromettait gravement le fonctionnement du service public »[13]. Le Conseil d’Etat rejeta cette argumentation en se tenant à distance de la question du loyalisme constitutionnel.

Loin de conclure de manière générale que le devoir d’obéissance hiérarchique n’était invocable par un agent public que dans la mesure où le régime qu’il a servi était légitime, le Conseil d’Etat s’en tint exclusivement au zèle particulier dont Maurice Papon avait fait preuve dans l’exercice de ses fonctions :

« [Il] résulte de l’instruction que M. X… a accepté, en premier lieu, que soit placé sous son autorité directe le service des questions juives de la préfecture de la Gironde alors que ce rattachement ne découlait pas de la nature des fonctions occupées par le secrétaire général ; qu’il a veillé, en deuxième lieu, de sa propre initiative et en devançant les instructions venues de ses supérieurs, à mettre en œuvre avec le maximum d’efficacité et de rapidité les opérations nécessaires à la recherche, à l’arrestation et à l’internement des personnes en cause ; qu’il s’est enfin attaché personnellement à donner l’ampleur la plus grande possible aux quatre convois qui ont été retenus à sa charge par la cour d’assises de la Gironde, sur les 11 qui sont partis de ce département entre juillet 1942 et juin 1944, en faisant notamment en sorte que les enfants placés dans des familles d’accueil à la suite de la déportation de leurs parents ne puissent en être exclus ; qu’un tel comportement, qui ne peut s’expliquer par la seule pression exercée sur l’intéressé par l’occupant allemand, revêt, eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, un caractère inexcusable et constitue par là-même une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions ; que la circonstance, invoquée par M. X…, que les faits reprochés ont été commis dans le cadre du service ou ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service est sans influence sur leur caractère de faute personnelle pour l’application des dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983. »[14]

Ce refus du Conseil d’Etat de rapporter les actes de Maurice Papon à la question de la légitimité ou de l’illégitimité de Vichy lui était en quelque sorte imposé par la solution à laquelle il voulait aboutir : l’admission d’une responsabilité de l’Etat dans la persécution et la déportation des Juifs ‒ et par suite l’obligation pour l’Etat de prendre en charge la moitié des indemnités dues par Papon à ses victimes ‒  une responsabilité qu’il a voulu concurrente de la « responsabilité personnelle » imputée spécialement à Maurice Papon à la suite de la Cour d’assises de la Gironde. Or jusqu’au début des années 2000, le Conseil d’état se refusait à imputer à l’état une « faute de service » dans ces persécutions et ces déportations, à partir de la fiction gaullienne selon laquelle le régime de Vichy n’incarnait pas la continuité étatique française. Le Conseil d’état avait fait de l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine, lequel posait la nullité absolue de tous les actes du Gouvernement de Vichy ayant créé des discriminations fondées sur la qualité de Juif, l’une des expressions juridiques de cette fiction. La porte entrouverte en 2001 lorsque le Conseil d’état a validé le décret du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation en faveur des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites[15] a ainsi pu être complètement ouverte dans l’arrêt Papon.

II. Impartialité et neutralité des agents publics

Le principe éthique et juridique d’impartialité des agents publics a une part relativement subjective, soit l’obligation d’accorder la même attention et le même respect à toute personne. L’impartialité a également une part relativement objective lorsqu’elle interdit à l’agent public de commettre dans ses actes ou ses paroles toute distinction de nature à constituer l’une des discriminations énoncées à l’article 225-1 du code pénal ou lorsqu’elle interdit à l’agent public, notamment dans le cadre de jurys de concours ou d’examens ou de commissions d’avancement, de contrarier ou de pouvoir contrarier les chances d’un candidat.

La valeur éthique et juridique de neutralité des agents publics correspond pour sa part à ce que les juges sont convenus d’appeler l’« obligation de réserve » ou le « devoir de réserve ». Cette obligation est issue de la pratique administrative. L’Administration avait cru pouvoir prendre des sanctions disciplinaires contre certains de ses agents après que ceux-ci avaient professé leurs opinions personnelles, notamment à caractère politique, dans le service ou en dehors du service. Le Conseil d’Etat admit le principe de telles sanctions tout en développant une jurisprudence faite de nuances diverses. Le principe est donc que les agents publics fonctionnaires et contractuels ne sont pas exclus du bénéfice de la liberté d’expression mais que cette liberté peut se prêter à des limitations liées à leur appartenance au service public. Ces limitations qui caractérisent l’obligation de réserve s’imposent aux agents publics fonctionnaires et contractuels des administrations publiques, des établissements publics administratifs et des assemblées parlementaires, même dans le silence de la loi en général, du statut général des fonctionnaires et des statuts particuliers propres aux corps de fonctionnaires.

L’« obligation de réserve » ou le « devoir de réserve » est généralement définie comme le devoir pour les agents publics fonctionnaires ou contractuels de n’exprimer qu’avec retenue leurs opinions, sous peine de sanctions disciplinaires. Cette définition n’est cependant pas satisfaisante. Ou plutôt, l’obligation de réserve n’est pas aisément réductible à une définition pour plusieurs raisons.

En premier lieu, elle ne dispose pas d’une justification univoque. Elle est tout à la fois le corollaire de la neutralité idéologique et politique que le service public doit à ses usagers, le corollaire du principe constitutionnel de séparation de l’administration et du pouvoir politique ‒ ce dernier seul ayant la légitimité découlant de l’élection pour définir les politiques que doivent mettre les agents publics fonctionnaires et contractuels, et elle participe de la garantie du crédit, voire du prestige des administrations et corrélativement, de la préservation de l’autorité des agents publics.

D’autre part, cette triple justification a elle-même cette conséquence que l’obligation de réserve est opposable aussi bien à des discours (à des paroles ou à des écrits) qu’à des actes, à des agissements, à des comportements (par exemple le refus d’exécuter des actes législatifs ou administratifs pour des motifs idéologiques et non parce qu’ils seraient « manifestement illégaux »[16].

En troisième lieu, l’obligation de réserve est opposable aussi bien à des discours et des actes professés ou commis pendant le service qu’à des discours et des actes professés ou commis en dehors du service.

Et, lorsqu’elle est opposée à des discours, cette obligation est opposable disciplinairement sans considération de l’application par les juridictions pénales et civiles des sanctions prévues par la législation en vigueur et qui s’appliquent en toute hypothèse devant les juridictions pénales et civiles (les incriminations de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ainsi que par le Code pénal et d’autres textes pénaux, les polices civiles prévues par le Code civil).

En cinquième lieu, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, lorsqu’elle est rapportée à des discours, l’obligation de réserve doit être conciliée par l’Administration avec la « liberté d’opinion » garantie par le statut général des fonctionnaires. La rédaction maladroite de la loi sur ce point a été « corrigée » par le Conseil d’État qui comprend cette « liberté d’opinion » comme désignant en réalité la liberté d’expression. Cela emporte cette conséquence que le seul fait d’exprimer une opinion ne suffit jamais à lui seul à caractériser une violation de l’obligation de réserve.

Enfin, cette obligation est évaluée par les juridictions administratives à l’aune de nombreux critères tels que : ‒ la nature des fonctions (magistrats, policiers et militaires sont plus rigoureusement soumis à l’obligation de réserve) ; ‒ le rang de l’intéressé dans la hiérarchie administrative, un critère qui a cette conséquence que les fonctionnaires d’autorité sont soumis plus rigoureusement soumis à l’obligation de réserve que les fonctionnaires d’exécution[17] ; ‒ les circonstances et le contexte des discours ou des actes litigieux, étant admis que les discours proférés par les agents publics fonctionnaires ou contractuels pendant les campagnes électorales politiques bénéficient d’une protection renforcée par rapport à l’obligation de réserve.

Certaines catégories d’agents publics fonctionnaires ou contractuels ne sont susceptibles de se voir opposer l’obligation de réserve que pour des discours ou des actes ayant des caractéristiques particulières d’extravagance. Ce sont ceux des agents publics fonctionnaires ou contractuels qui exercent des charges syndicales[18] ou des mandats politiques. Il s’agit également des enseignants-chercheurs, en vertu du « principe fondamental reconnu par les lois de la République » de l’indépendance des enseignants-chercheurs. Ce principe a été consacré en 1984 par le Conseil constitutionnel en tant que principe d’« indépendance des professeurs d’université »[19]. Ce principe n’accorde pas, en effet, une immunité totale aux enseignants-chercheurs, comme le montrent les termes de l’article L. 952-2 du Code de l’éducation : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. »

[1] Maryvonne Génaux, « Les mots de la corruption : la déviance publique dans les dictionnaires d’Ancien Régime », Histoire, économie et société, 2002, volume 21, n° 4, p. 514.

[2] Alexis Zarca, L’égalité dans la fonction publique, Bruxelles, Bruylant, 2014.

[3] Pascal Mbongo, « Etat administratif et responsabilité politique », in La séparation entre Administration et Politique en droits français et étrangers, Paris, Berger-Levrault, 2014.

[4] Art. 432-1 à 432-17.

[5] Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, Paris, La Documentation française, 2011, p. 19.

[6] Senatus consulte organique du 28 floréal an XII, art. 36 ; Constitution de 1852, art. 14 ; Senatus consulte du 23 décembre 1852, art. 16 ; Senatus consulte du 21 mai 1870, art. 21.

[7] Senatus consulte organique du 28 floréal an XII, art. 40, 56 ; Constitution de 1852, art. 14 ; Senatus consulte du 23 décembre 1852, art. 16 ; Senatus consulte du 21 mai 1870, art. 21.

[8] Association française pour l’histoire de la justice, L’épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération, Paris, Éditions Loysel, 1994.

[9] Péter Novick, L’épuration française. 1944-1949, Paris, Balland, 1985, rééd. Paris, Seuil, « Points », 1991.

[10] Paris, Société anonyme de publications périodiques, 1887.

[11] CE, 10 mai 1912, Abbé Bouteyre, Lebon, p. 561.

[12] Sur ce loyalisme, voir Marc Olivier Baruch, Servir l’État français : l’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997.

[13] CE, 10 novembre 1944, Sieur Langneur, Lebon, p. 248. La jurisprudence administrative a redéfini depuis cette dispense pour ne l’admettre que si « l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ».

[14] CE, Ass. pl., 12 avril 2002, Papon, Lebon, p. 139.

[15] CE Ass., 6 avril 2001, Pelletier et autres, Lebon, p. 173.

[16] CE, 27 mai 1955, Kowaleswki, Lebon, p. 297.

[17] CE, Ass., 13 mars 1953, Teissier, Lebon, p.133.

[18] CE, 18 mai 1956, Boddaert, Lebon p. 213.

[19] Cons. const., n° 83-165 DC, 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur.