Le Grand Oral du CRFPA. Présentation (I)

Dans la perspective du Grand Oral, beaucoup de candidats aux écoles d’avocats sont obsédés par l’idée qu’il leur faut « tout savoir ». Du coup il arrive souvent que ceux des candidats qui croyaient « tout savoir » et qui n’ont pas réussi leur Grand Oral ne comprennent pas pourquoi tel ou tel candidat qui n’a apparemment pas « avalé » des encyclopédies juridiques a pu, pour sa part, faire un bon Grand oral.

Ce type de réactions est révélateur de la fausse idée que beaucoup de candidats se font de ce qu’est un bon juriste ; ils s’imaginent que le bon juriste – en l’occurrence le bon avocat – est celui qui a une connaissance encyclopédique du droit. Or cette connaissance encyclopédique est rationnellement impossible ; surtout, la connaissance des énoncés du droit n’est pas synonyme de qualité juridique, puisque cette dernière renvoie plutôt à la qualité de l’argumentation et du raisonnement éprouvés par une personne.

Ce type de réactions est révélateur de la fausse idée que beaucoup de candidats se font du Grand Oral d’entrée aux CRFPA. En effet, beaucoup de candidats s’imaginent que le Grand Oral est un moment de détection de « têtes bien pleines » alors qu’il s’agit plutôt d’un moment de détection de « têtes bien faites », c’est-à-dire de personnes ayant une bonne culture juridique, politique, économique, sociale et capable de rapporter cette culture aux modes d’argumentation et de raisonnement des juristes.

Si l’objectif du Grand Oral du CRFPA était de détecter des « encyclopédies vivantes », pourquoi mettre à la disposition des candidats des codes et autres ouvrages dans lesquels figurent les informations nécessaires au traitement des différents sujets ?

Malgré tout, la difficulté prêtée par les candidats au Grand Oral de Libertés fondamentales sanctionnant l’accès aux Écoles d’avocats n’est pas factice. Cette difficulté est imputable aussi bien à des facteurs propres aux « Libertés fondamentales » qu’à des facteurs propres à l’exercice même du Grand Oral. C’est la connaissance de ces difficultés qui doit éclairer la préparation du candidat.

I. L’identité trouble du Grand Oral

L’arrêté organisant les épreuves de l’examen d’entrée aux CRFPA fixe, s’agissant du Grand Oral de « libertés et droits fondamentaux », le programme suivant :

Origine et sources des libertés et droits fondamentaux :

  • histoire des libertés : évolution générale depuis l’Antiquité jusqu’à la période contemporaine en France et dans le monde ; les générations de droits de l’homme ;
  • sources juridiques, internes, européennes et internationales ;
  • libertés publiques, droits de l’homme et libertés fondamentales.

Régime juridique des libertés et droits fondamentaux :

  • l’autorité compétente pour définir les règles en matière de libertés et la hiérarchie des normes.
  • l’aménagement du statut des libertés fondamentales : – régime répressif ; – régime préventif ; – régime de la déclaration préalable ; – régime restitutif et droit à réparation ;
  • la protection des libertés fondamentales : – les protections juridictionnelles (internes, européennes et internationales) ; – les protections non juridictionnelles (par les autorités administratives indépendantes, par l’effet du système constitutionnel, politique, économique et social) ; – les limites de la protection des libertés fondamentales dans les sociétés démocratiques et dans les différents systèmes politiques ; – les régimes exceptionnels d’atténuation de la protection des libertés et droits fondamentaux.

Les principales libertés et droits fondamentaux :

  • les principes fondateurs et leurs composantes : – dignité de la personne humaine (droit à la vie et à l’intégrité physique de la personne, bioéthique) ; – liberté (liberté d’aller et venir, droit à la sûreté personnelle) ; – égalité (devant la justice, en matière de fonction publique, devant les charges publiques, entre les hommes et femmes, entre Français et étrangers) ; – fraternité ;
  • les droits et libertés de la personne et de l’esprit (liberté d’opinion, liberté de croyance, liberté d’enseignement, liberté de communication) ;
  • les droits et libertés collectifs (association, réunion, liberté syndicale, droit de grève) ;
  • les droits économiques et sociaux (droit de propriété, liberté du commerce et de l’industrie, droit à la protection de la santé, droit aux prestations sociales, droit à l’emploi) ;
  • les droits du citoyen (droit de vote, liberté des partis politiques, droit dans les relations avec l’administration) ;
  • la laïcité.

Or ce programme veut à la fois tout dire et… pas grand chose !

Il veut dire que l’objet du Grand Oral ce sont : les aspects philosophiques, politiques, juridiques de la démocratie, du libéralisme politique et de l’économie de marché.

Il ne dit pas grand chose dans la mesure où il ne préfigure pas le type d’exercice ou de problématique que le candidat au CRFPA devra « gérer » au Grand Oral. Cela veut dire que l’on peut très bien avoir « bachoté » un Manuel, un Traité de « libertés fondamentales » ou des encyclopédies entières et « se planter » au Grand Oral. Et pour cause :

– l’on peut avoir bien bachoté et ne pas savoir mettre ses informations au service de l’exercice que l’on doit traiter au Grand Oral.

– l’on peut avoir bien bachoté et ne pas être au courant de l’actualité politique, économique et sociale alors que cette actualité est utile pour mettre en évidence « l’actualité du sujet » et qu’elle peut être sollicitée par le jury au cours de la discussion. Il ne faut pas l’oublier : les tribunaux sont des lieux qui témoignent de la vie tout court ; on y parle donc politique, économie, société, mœurs, etc.

Exemple : « L’enfer c’est les autres ». Commenter. – Exemple : « Le colonialisme, atteinte aux droits de l’homme ».

Ces deux sujets ne correspondent à aucun chapitre d’un manuel de Libertés fondamentales. Pourtant, ce sont des sujets d’actualité qui intéressent néanmoins le droit des libertés fondamentales. Le colonialisme renvoie ainsi à deux séries de préoccupations en rapport avec les libertés fondamentales, les unes sur le principe même de la colonisation (I) les autres sur le droit colonial (II). Le principe de la colonisation et les théories racistes (I-A) ; le principe de la colonisation et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (I-B) ; le droit colonial, un droit inégalitaire par essence (II-A) ; le droit colonial un droit attentatoire à la dignité de la personne humaine (II-B).

– l’on peut avoir bien bachoté son « droit des libertés fondamentales » et être très faible en droit constitutionnel, en droit civil, en droit administratif, en droit pénal, en droit social. Or les cas pratiques ainsi d’ailleurs que les dissertations proposés au Grand Oral sont d’authentiques objets de droit civil, de droit administratif, de droit pénal, de droit social mais des objets sur lesquels se greffent des enjeux intéressant la protection des libertés et des droits fondamentaux.

Exemple : « Le juge d’instruction a-t-il trop de pouvoirs ? ». Ce sujet renvoie au droit pénal, à la procédure pénale, à la CESDH, à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, au statut des magistrats. Or ce sujet sera d’autant plus « facile » au candidat qu’il aura une bonne culture de base en droit pénal, en procédure pénale.

 Autrement dit, le Grand Oral exige des candidats cinq types de ressources intellectuelles :

– Le candidat doit avoir une culture juridique générale, recouvrant notamment les matières fondamentales des trois premières années de droit.

– Le candidat doit avoir une solide maîtrise de la nomenclature des droits et des libertés.

– Le candidat doit démontrer le jour de l’examen sa capacité de mettre en évidence les aspects droit constitutionnel, droit administratif, droit civil, droit pénal, droit international, etc. de son sujet.

– Le candidat doit démontrer qu’il maîtrise les modes d’argumentation (argumentation juridique – argumentation de type « moral », sociologique ou philosophique) et les méthodes d’interprétation des juristes, qu’il s’agisse de méthodes générales (interprétation littérale, interprétation téléologique, interprétation systémique, interprétation fonctionnelle) ou de méthodes propres à certains sous-systèmes de normes (ex. : interprétation stricte de la loi pénale).

– Sur des sujets « très juridiques », le candidat doit pouvoir éclairer le problème dont il est saisi à partir de certains principes d’argumentation propres aux libertés :

a) le principe de la prééminence du droit ou de l’État de droit ;

b) le principe de la hiérarchie des normes ;

c) le principe selon lequel « la liberté est le principe et la restriction l’exception » ;

d) le principe d’effectivité des libertés (il faut garantir aux personnes des droits concrets et non des droits théoriques) ;

e) le principe de proportionnalité entre la restriction d’une liberté et l’objet poursuivi à travers cette restriction.

II. L’objet nébuleux du Grand Oral

La plupart des candidats aux écoles d’avocats n’ont pas véritablement l’expérience d’une conversation avec un jury. Or cet exercice n’a pratiquement aucun rapport avec les exposés auxquels les étudiants avaient été habitués en Travaux dirigés, ni même avec les oraux de fin de semestre. Il importe donc pour le candidat de savoir à quoi sert le Grand Oral et en quoi il consiste.

 La vocation du Grand Oral

Cette épreuve doit permettre au jury de savoir si le candidat possède les qualités que tout justiciable est en droit d’attendre d’un bon avocat, c’est-à-dire : le bon sens ; la force de conviction ;  la clarté du raisonnement ; le sens critique ; l’ouverture d’esprit ; la capacité d’écoute ; la réactivité face à des situations imprévues ; la faculté de s’adapter à ses interlocuteurs ; une souplesse et une vivacité de la pensée.

La consistance du Grand Oral

Le Grand Oral est composé de deux parties : l’exposé liminaire du candidat d’une part et la discussion avec le jury proprement dite.

Le jury

Le Grand Oral a lieu devant un jury composé de trois personnes dont un magistrat, un professeur de droit (ou un maître de conférences) et un avocat. Cette composition en elle-même est signifiante.

  1. Le candidat s’adresse à des juristes: dans cette mesure il doit s’attacher à donner au jury le sentiment qu’il a tout ou presque tout pour faire partie de la « communauté des juristes » : la même culture juridique de base, les mêmes modes d’argumentation juridique, les mêmes références intellectuelles, la même rhétorique.
  2. En même temps, le candidat s’adresse à des juristes qui n’ont pas le même rapport au droit. L’un des membres du jury a théoriquement du droit une approche doctrinale ; les deux autres en ont une approche plus pratique et pragmatique puisqu’ils sont des acteurs de procès opposant généralement des prétentions contraires, avec d’ailleurs une différence entre magistrat et avocat liée au fait que l’un doit « dire le droit » tandis que l’autre cherche à le faire dire dans l’intérêt de son client.
  3. Toujours est-il que le bon Grand Oral est celui au cours duquel le candidat traite de son sujet et répond au jury en prenant également en considération les « nuances mentales » qui peuvent séparer les trois juristes qu’il a en face de lui. Le candidat doit supposer :

que le Professeur de droit ne sera pas indifférent à sa rigueur analytique et à sa faculté à remonter jusqu’aux principes ;

que le magistrat ne sera pas indifférent à sa familiarité avec le travail, la jurisprudence de ses pairs ;

que l’avocat ne sera pas indifférent à son « pragmatisme »;

qu’en toute hypothèse, les trois membres du jury ne seront pas indifférents à sa force de persuasion et à son humanité ou à son humanisme.

L’exposé liminaire

Cet exposé peut porter, selon les Instituts d’études judiciaires (IEJ), sur un sujet théorique, sur un cas pratique ou sur un commentaire d’un texte (soit un texte de caractère juridique, soit un texte de caractère général et touchant aux aspects sociaux, juridiques, politiques, économiques et culturels du monde actuel).

Cet exposé doit faire ressortir la qualité de la réflexion personnelle du candidat sur le sujet choisi. Et cette qualité est éprouvée aussi bien quant au fond que quant à la forme.

  • Sur le fond :

. le candidat doit faire apparaître qu’il a compris le sujet ou qu’il a discerné les idées essentielles relatives au sujet ;

. en même temps, le candidat doit s’attacher à exposer une réflexion personnelle sur le sujet proposé ou sur les idées développées dans le texte proposé, lorsqu’il s’agit d’un commentaire de texte.

  • Sur la forme :

. le candidat doit décliner sa pensée avec un souci de logique et de cohérence ;

. le candidat doit s’exprimer avec clarté, avec un sens didactique, notamment par une invocation systématique des références textuelles ou jurisprudentielles qui viennent à l’appui de chacun de ses arguments ;

. l’exposé du candidat doit être « suffisamment attractif pour retenir l’attention des auditeurs » ;

. le candidat doit respecter le temps de parole qui lui est imparti ;

. le candidat doit s’attacher à ne pas lire ses notes mais s’efforcer de partir d’elles.

La discussion proprement dite avec le jury

Le « point de départ » en est l’exposé du candidat. Il ne s’agit pas d’une discussion au sens ordinaire de cette expression, mais plutôt d’une conversation, ce qui suppose notamment de la part du candidat une manière d’être : ni trop décontracté, ni trop « compassé » ; ni trop idéologue, ni exclusivement technique ; etc.

Cette discussion doit être l’occasion pour le candidat d’expliquer, de nuancer, voire de corriger ses positions initiales « avec une suffisante souplesse d’esprit sans, toutefois, renoncer systématiquement à la défense de ses options ». Une règle d’or en la matière est que le candidat « ne doit jamais perdre pied face aux questions qui lui sont posées tout en ayant l’honnêteté intellectuelle de reconnaître son ignorance lorsqu’il est incapable d’apporter une réponse pertinente à une question précise posée par un membre du jury (…) ».