Anglicisation de la langue française

Question écrite de Mme Emmanuelle Ménard, députée, Non-inscrit, Hérault, JO, 1er mars 2022, p. 1243.

Mme Emmanuelle Ménard appelle l’attention de Mme la ministre de la culture sur l’anglicisation de notre langue. L’Académie française a adopté mardi 15 février 2022 un rapport intitulé Pour que les institutions françaises parlent français, dénonçant les troubles causés par l’anglicisation, avec un risque de « perte de repères linguistiques ». L’Académie, gardienne de la langue de Molière, y voit « une évolution préoccupante », à cause d’une « envahissante anglicisation ». Air France, qui impose à ses clients sa « skyteam », la SNCF avec son application « Zenway », ou encore le « hashtag » « One Health » du ministère des solidarités et de la santé, autant d’entreprises ou d’institutions françaises qui ont adopté le « franglais » dans leur communication. Au-delà du lexique, l’Académie française déplore « des conséquences d’une certaine gravité sur la syntaxe et la structure même du français ». À cause de « la disparition des prépositions » et de « la suppression des articles », « la syntaxe est bousculée, ce qui constitue une véritable atteinte à la langue ». Cette alerte donnée par l’Académie française fait également écho à sa volonté de contester le nouveau modèle de la carte d’identité française qui est intégralement bilingue français-anglais, ce qui n’est pas une obligation. La volonté de la France de porter une diplomatie forte se trouve affaiblie dès lors que sa langue, qui transmet notre histoire et notre façon de penser, est sacrifiée au profit de l’anglais. Le français, cinquième langue la plus parlée dans le monde, avec 300 millions de locuteurs, ne peut se résoudre à appauvrir son vocabulaire avec l’apparition massive d’anglicismes. Il est donc légitime de se pencher sérieusement sur ce problème grandissant et de prendre les dispositions nécessaires, le manque de réaction du Gouvernement étant à déplorer. Hélène Carrère d’Encausse, le secrétaire perpétuel de l’Académie française, incite d’ailleurs à : « un éveil des consciences [pour] permettre un redressement de la situation. Il y a un moment où les choses deviendront irréversibles ». Elle lui demande quelles mesures elle compte mettre en œuvre pour donner à notre pays les moyens de se battre pour défendre la richesse de la langue française et si une sensibilisation à la préservation de notre langue et de son vocabulaire est envisagée auprès de la jeunesse du pays.

Réponse du ministère de la Culture, JO, 29 mars 2022, page : 2088

Malgré un discours alarmiste trop souvent répandu, force est de constater que la langue française connaît toujours un fort rayonnement, partagé avec 300 millions de francophones présents sur les cinq continents, comme avec les millions de personnes qui font le choix à travers le monde d’apprendre le français, deuxième langue enseignée sur la planète. La mondialisation croissante des échanges et la mutation numérique contribuent cependant à conforter la place de la langue anglaise comme langue des échanges internationaux, favorisant, en France, la diffusion de termes et expressions issus du vocabulaire anglo-américain, dans les entreprises, dans l’espace public ou dans les médias. Le rapport publié le 15 février dernier par l’Académie française alerte ainsi sur le recours croissant aux anglicismes dans la communication institutionnelle des organismes publics et privés, en faisant valoir un risque de fracture sociale et générationnelle, comme de pertes de repères linguistiques pour le grand public. Le ministère de la culture partage ce constat. Ces évolutions sont suivies de près par le ministère de la culture, qui a pour mission, en lien avec les autres ministères concernés, de garantir l’emploi de la langue française dans la société et de favoriser la diversité linguistique. Le Président de la République, en mars 2018, a lancé à l’Institut de France un plan d’action répondant à ces enjeux : « Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme », fort de mesures concrètes et volontaristes, auxquelles le ministère de la culture a pris toute sa part. La Cité internationale de la langue française, qui ouvrira ses portes à l’automne 2022 au château de Villers-Cotterêts, en est une illustration majeure. Conjuguant création, formation et recherche, la Cité privilégiera une approche participative et innovante afin de sensibiliser le plus large public, et notamment les plus jeunes, aux enjeux et aux atouts de la langue française. En 2021, le Dictionnaire des francophones, sous la forme d’une application mobile et interactive, a permis de rassembler, de façon inédite, plus de 500 000 termes et expressions issus de l’ensemble de l’espace francophone, reflétant la richesse et la diversité de la langue française. Enfin, en 2022, la Présidence française du conseil de l’Union européenne a fait du plurilinguisme une priorité. Dans ce cadre, le forum « Innovation, technologies et plurilinguisme », porté par le ministère de la culture, a été l’occasion de mettre en avant les possibilités permises par la mutation numérique en faveur du plurilinguisme. Cet effort de sensibilisation se joue aussi sur le plan national, auprès des Français, très attachés à leur langue. Le ministère de la culture est en effet le garant de l’application de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi du français, dite « loi Toubon ». Il s’implique au quotidien, à travers la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), pour veiller à la présence et à la diffusion de la langue française dans tous les secteurs de la société. Il conduit une politique qui vise à garantir aux citoyens un « droit au français » dans leur vie sociale, qu’il s’agisse de la consommation, de la communication dans l’espace public, des médias, du monde du travail ou de l’enseignement. Cette action est menée en lien avec les autres services et organismes concernés – direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ministère chargé du travail, autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, autorité de régulation professionnelle de la publicité… Le cadre légal est, de plus, particulièrement exigeant pour les institutions et les agents du service public, qui ont l’obligation d’employer la langue française dans leur activité, des conditions plus restrictives s’appliquant aux services et établissements de l’État ainsi qu’aux marques et aux contrats publics. Ainsi, la DGLFLF intervient systématiquement, dès lors qu’elle constate ou que son attention est appelée sur un manquement aux dispositions légales. À cet effet, elle a récemment alerté plusieurs entreprises et établissements publics sur l’illégalité d’intitulés en anglais, comme le passe « Navigo Easy » d’Île-de-France Mobilités ou la dénomination « Ma French Bank » d’une filiale du groupe La Poste. Les intitulés « Cold Case », « Trackdéchets » ou encore « Welcome Box » ont également été signalés aux services concernés de l’État et des collectivités territoriales afin d’être remplacés par des expressions françaises. En ce qui concerne la nouvelle carte d’identité bilingue entrée en vigueur en 2021, en vertu du règlement européen 2019/1157 du 20 juin 2019, le ministère de la culture a suggéré d’ajouter une seconde traduction dans une langue étrangère européenne, de façon à mieux prendre en compte la dimension plurilingue de l’Union européenne. On le sait, la loi du 4 août 1994 n’a pas vocation, en vertu du principe de liberté d’expression et de communication, à interdire les anglicismes ni à sanctionner l’emploi incorrect de la langue française. Il est donc essentiel de rappeler aux décideurs, élus, communicants, l’importance des enjeux qui s’attachent à la langue, facteur de cohésion sociale, et le devoir d’exemplarité qui s’impose. Dans trop de collectivités territoriales, la mise en œuvre de stratégies de « marketing territorial » s’est ainsi traduite, au cours des dernières années, par un important développement des slogans et intitulés en anglais. La DGLFLF entend donc poursuivre et renforcer la sensibilisation des élus à la question de l’emploi de la langue française. Les acteurs publics et privés peuvent, enfin, s’appuyer sur le dispositif d’enrichissement de la langue française, coordonné par la DGLFLF, qui produit chaque année plus de trois cents termes, permettant de désigner les réalités nouvelles du monde contemporain dans une langue compréhensible par tous. La langue française peut ainsi demeurer une grande langue internationale, riche et vivante.